À l'Onera de Toulouse, on expérimente le drone de demain

Directeur du programme drones de l'Onera, Henry de Plinval participera au FabLab Festival de Toulouse ce vendredi à l'occasion d'une présentation sur la coopération entre drones. À quel stade de maturité est le marché professionnel des drones ? Que penser des projets plus futuristes comme le drone-taxi d'Airbus ? Comment lutter contre les engins malveillants ? Interview.
Henry de Plinval est le directeur du programme drones de l'Onera

Pouvez-vous nous présenter l'activité drones de l'Onera ?

Pour rappel, l'Onera est le laboratoire public de recherche pour les domaines de l'aéronautique, de la défense et du spatial. Notre mission est d'innover au profit ultime de l'industrie française. Une centaine de chercheurs travaille plus spécifiquement sur les drones, via une cinquantaine de projets. Nous cherchons à répondre à trois grandes problématiques : sécuriser le vol des drones, améliorer leurs performances et lutter contre les drones malveillants. Cette activité a commencé à Toulouse dès les années 90 alors qu'il existait très peu d'activités sur les drones dans le monde. Aujourd'hui, nous travaillons en partenariat avec les principaux industriels (Airbus, Thales, Safran, Dassault), de plus petites sociétés comme Delair-Tech ou Boréal mais également de grands donneurs d'ordre qui n'ont pas de lien historique avec l'aéronautique comme la SNCF (qui a créé en début d'année une filiale drone), RTE ou Enedis.

En France, les drones de loisirs connaissent un essor grandissant mais le marché professionnel est plus timoré. Cela peut-il changer ?

Ce qui est nouveau c'est qu'il y a 25 ans, les laboratoires de recherche imaginaient très bien le potentiel de ces machines mais il n'existait pas de marché, ni de grands programmes industriels. Depuis quelques années, on voit l'émergence d'un marché potentiel autour, notamment, de la surveillance par drone. Les grandes entreprises se retrouvent autour d'un même grand besoin : utiliser un drone assez gros (environ 25 kg) et être capable de le faire voler sur 100 km afin de surveiller sur de grandes distances, par exemple des voies ferrées pour la SNCF, des réseaux électriques pour RTE et Enedis, des autoroutes pour Vinci...

Quels sont les freins au développement à grande échelle de cette surveillance par drone ?

À ce jour, nous pouvons réaliser des tâches de surveillance de manière ponctuelle mais pas de façon routinière. La règlementation n'autorise pas la surveillance généralisée par drone car nous n'arrivons pas, notamment, à atteindre le niveau de fiabilité requis en termes de sécurité, et le présenter de manière acceptable par la DGAC (direction générale de l'aviation civile). L'un des freins est de pouvoir garantir un lien de télécommunication fiable, même si le drone est très éloigné de l'opérateur humain chargé de la supervision, pour qu'il soit capable de suivre son évolution et, éventuellement, les problèmes qui surviendraient.

Le deuxième verrou est d'apporter des preuves sur la fiabilité de la machine afin d'atteindre un niveau de risque acceptable pour tout le monde. Par exemple, on pourrait imaginer que le drone obtienne une autorisation de vol dans un tunnel aérien de rayon donné, au-dessus des voies ferrées. Mais dans ce cas, il faudrait que le constructeur prouve que le drone ne va jamais sortir de ce tunnel. L'Onera travaille avec les autres partenaires impliqués pour débloquer tous ces verrous.

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L'Onera teste différents types de drones à Toulouse (Crédit : Rémi Benoit).

Vous allez intervenir ce vendredi au FabLab Festival de Toulouse avec une conférence sur le thème de la coopération entre robots et drones. À quoi peut servir cette coopération ?

Un premier projet mené par l'Onera entre 2007 et 2015 nous a permis de démontrer, en situation réelle, qu'une flotte de drones et de robots est capable de se partager une mission pour accomplir de manière autonome une tâche complexe comme, par exemple, l'exploration d'un village. Nous avons testé une flottille de 10 engins avec des robots virtuels, des robots roulants et des drones. Ils sont capables de se répartir la mission en fonction des capacités de chacun. Ainsi, le robot roulant peut facilement entrer dans un bâtiment du village. S'il se trouve confronté à un obstacle il est en mesure d'appeler les secours ou un drone qui va cartographier la zone et lui donner des conseils d'orientation en localisant les obstacles.

Un second projet (réalisé entre 2012 et 2015) nous a permis de tester le maintien des liaisons de télécommunications avec les drones à distance. Une flotte de robots pourrait être utilisée en période de crise sur un site industriel ou d'incident nucléaire (type Fukushima). Beaucoup d'industriels s'intéressent à ces expérimentations.

Quels progrès peut-on imaginer dans les années à venir ?

Aujourd'hui, nous savons gérer une flotte de drones qui se partage une tâche complexe. Nous savons aussi traiter un certain nombre d'aléas. Ainsi, si un drone est mort ou en panne, les autres drones sont capables de se reconfigurer. Mais il reste des progrès à accomplir pour que la flotte de drones soit plus résiliente, qu'elle soit capable de se reconfigurer face à des aléas plus complexes. Un exemple : si un capteur tombe en panne et que cela remet en cause la capacité de cette machine à accomplir sa part de la mission (sans pour autant être un danger en termes de sécurité), il faut que la flotte soit capable de se répartir à nouveau la tâche de la mission.

Que pensez-vous de PopUp, le projet de drone-taxi d'Airbus ? Le drone peut-il devenir à terme un mode de transport collectif ?

Techniquement, nous serions capables de faire voler ce type de machine mais le maître-mot reste la question de la sécurité. D'abord, il faut convaincre les autorités de la fiabilité intrinsèque de la machine et mieux gérer les aléas (pannes...). Ensuite, comment ces machines vont s'insérer dans l'espace aérien ? Il faut éviter les collisions et, là aussi, gérer les aléas vis-à-vis du trafic. Par exemple, si un drone tombe en panne et que sa progression est ralentie, il faut que les autres engins volants puissent adapter leur vitesse. Sur ces sujets, l'Onera dispose à Toulouse d'un outil de simulation sur ordinateur - IESTA - qui permet de tester diverses hypothèses de trafic avec différents modèles de drones, en faisant varier leur vitesse.

Plusieurs sites sensibles français ont été récemment survolés par des drones. La France est-elle suffisamment armée face aux engins malveillants ?

Il y a deux ans et demi, un certain nombre de survol de sites sensibles par les drones a été enregistré. L'État a donc lancé un appel à projets pour mieux protéger ces sites sensibles avec des drones. Pendant un an et demi, l'Onera a coordonné le projet Angelas afin de développer des compétences, des technologies et des méthodes pour détecter, identifier et neutraliser les drones malveillants.

Nous avons évalué des technologies encore prospectives dans ce domaine, comme le radar passif. À la différence d'un radar classique, qui envoie une onde et mesure en retour la présence d'un drone, le radar passif "écoute" les ondes existantes pour détecter une onde ayant "rebondi" sur un drone. Ce type de technologie est beaucoup plus discret qu'un radar classique. Dans un aéroport, par exemple, il est impossible de mettre un radar qui va émettre des ondes et perturber l'environnement aérien. Par ailleurs, parmi les technologies de rupture, nous avons testé un laser capable d'éclairer une scène et qui permet de voir des menaces la nuit.

Grâce à ces projets, la France est désormais très bien positionnée sur ces sujets. Il faut continuer à travailler pour suivre l'évolution de la menace.

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