Les ambitions des deux nouvelles directrices du Cnes à Toulouse (1/2)

Elles ont l'ambition des visionnaires, la poigne des leaders et des étoiles dans les yeux quand elles parlent de la conquête spatiale. Marie-Anne Clair et Geneviève Campan sont les nouveaux visages du Cnes à Toulouse. Elles vont opérer la transformation numérique et managériale de cette maison qui compte 2 500 salariés et qui doit à tout prix se moderniser. Des premiers résultats doivent être visibles au prochain salon du Bourget, en juin 2017. Première partie de cet entretien croisé : la réorganisation du Cnes.
Geneviève Campan et Marie-Anne Clair.

Marc Pircher est parti à la retraite et vous prenez chacune la tête d'une nouvelle direction : le numérique et l'exploitation des opérations (DNO) pour Geneviève Campan, et systèmes orbitaux (DSO) pour Marie-Anne Clair. Pourquoi le Cnes se réorganise-t-il ?

Marie-Anne Clair : Les objectifs sont multiples. Il y a la mise en œuvre de tout l'aspect numérique dont va parler Geneviève Campan, mais également le contexte, le panorama général du spatial qui est pleine évolution, en pleine révolution. Force est de constater que les choses vont beaucoup plus vite et que les interlocuteurs se multiplient : nous avons de plus en plus d'intervenants étatiques et privés, et des projets spatiaux de systèmes orbitaux qui sont très différents les uns des autres. Pour conserver notre capacité et notre efficacité à œuvrer au développement du secteur spatial, nous avions besoin de nous organiser différemment.

On a beaucoup entendu "au Cnes, il faut deux femmes pour remplacer un homme", que répondez-vous à cela ?

Geneviève Campan : On ne peut pas présenter les choses ainsi ! J'étais en charge d'une direction qu'était la DSI et Marc Pircher était en charge de la direction du centre technique toulousain. Nous avons regroupé ces deux directions entre DNO et DSO, donc c'est un homme et une femme qui sont remplacés par deux femmes.

Marie-Anne Clair : C'est vrai que Marc Pircher incarnait très fortement le site toulousain. Aujourd'hui, c'est Geneviève Campan qui reprend la direction de l'établissement, mais il y a au centre spatial de Toulouse trois directions majeures, pas seulement deux. En effet, il ne faut pas oublier la direction créée l'année dernière, avec à sa tête Lionel Suchet, qui est directeur de l'Innovation, des applications et de la science. Finalement, on arrive à un mode de gouvernance un peu plus moderne, où l'on n'a pas un grand patron qui couvre tout et qui tient en plus de ses autres fonctions un rôle très "représentatif". On est dans une gouvernance plus dynamique et réactive, avec moins de personnalités charismatiques mises en avant.

G campan directrice cnes toulouse

Geneviève Campan © Rémi Benoit

Comment cette nouvelle organisation va-t-elle moderniser le Cnes ?

Geneviève Campan : La façon dont on a travaillé n'a pas été de corriger des choses qui ne vont pas, mais de se projeter sur les enjeux de demain. Marie-Anne Clair a parlé du fait que le spatial évolue beaucoup, qu'il y a beaucoup plus d'intervenants qu'avant. L'autre aspect, c'est la numérisation qui est de plus en plus présente dans tous les domaines. La transformation numérique, l'intégration du numérique dans toutes les dimensions de nos projets est une nécessité et la transformation numérique de notre maison une obligation. On voit bien dans la vie quotidienne que l'on a de plus en plus de numérique, qu'il prend de la place partout. La numérisation est de plus en plus importante, même dans nos projets spatiaux : c'est un des axes sur lequel nous voulons mettre l'accent, et c'est une des raisons de la création de ces  deux directions.

Pour simplifier, la DSO est en charge de préparer les missions et est en charge du développement des projets (les satellites, les instruments, le système complet en incluant les performances et les compétences techniques associées). La DNO est chargée de toute la partie qui est au sol (développement des segments sol et système d'information, infrastructures associées, environnement de travail, sécurité, etc.) et de la partie exploitations et opérations des systèmes. Cela veut dire qu'on travaille ensemble : pour tout satellite, il faut un segment sol pour le contrôler et le programmer. La DNO apporte à la DSO sa compétence pour cette partie. De même, quand la DNO réalise les opérations ou de l'exploitation (acquisition, traitement, qualification, diffusion, valorisation) de données, il est nécessaire qu'elle dispose d'expertises bord qui lui sont données par la DSO. Un vrai travail d'équipe !

Est-ce que cela signifie que, jusque ici, le Cnes recueillait énormément de données qui n'étaient pas analysées ?

Geneviève Campan : On ne peut pas le dire comme ça, mais c'est vrai qu'on franchit des étapes. Le big data, on y est rentré du temps de Gaia (cartographie d'étoiles), c'était en 2011, et on était sur des choix technologiques encore à la limite de la R&D. Aujourd'hui, le cas Gaia dans le domaine du big data, ce serait - toute proportion gardée - presque un cas simple. Nous avons des données et nous nous sommes toujours préoccupés de les exploiter, de les diffuser, de les valoriser, mais aussi de les pérenniser parce que c'est un patrimoine absolument gigantesque. Aujourd'hui, on veut franchir les étapes d'après, profiter du numérique pour aller un peu plus loin dans les aspects applications spatiales.

Qu'implique cette réorganisation en termes de management ?

Geneviève Campan : Le numérique entraîne de nouvelles formes de management. Nous voulons tirer le Cnes vers plus d'agilité, de réactivité, d'adaptabilité. Mais quand vous avez un centre avec 1 700 personnes (effectifs sur Toulouse, NDLR), il ne faut pas négliger l'aspect humain et créer l'adhésion à ce projet. Par exemple, nous souhaitons éviter le contrôle pour le contrôle, et donc supprimer des niveaux de validation hiérarchique qui font perdre du temps, en pariant sur le fait que les gens sont responsables.

Marie-Anne Clair : Nous travaillons toutes les deux sur ce sujet de façon proche, nous nous lançons ensemble dans cette grande réforme de façon conjointe et solidaire : ce sera un gros travail. Notre volonté est de rénover les techniques de management, et de responsabiliser davantage les différents agents du Cnes. Il y a ici un niveau d'intelligence et de motivation qui est très élevé. Profitons-en. Nous prônons toutes les deux l'intelligence collective.

Pouvez-vous rappeler le nombre de personnes qui sont sous votre direction à chacune ?

Geneviève Campan : Nous sommes quasiment 2 500 sur l'ensemble du Cnes. Il y a quatre centres : le siège, la direction des lanceurs, le centre spatial guyanais et Toulouse. À Toulouse, toutes les directions sont représentées sauf celle de Guyane. Il y a donc ici les RH, la communication, les achats, la finance, la sécurité et au total nous sommes un peu plus de 1 700. Donc sur les 2 500, il y en a 1 700 sur Toulouse. Sur les 1 700, il y en a 800 à la DSO et 600 à la DNO.

Marie-Anne Clair © Rémi Benoit

Vous évoquiez une multiplication des acteurs dans le spatial (acteurs privés et publics) : donc tout le monde veut se mettre au spatial ?

Marie-Anne Clair : On voit très bien que le spatial apporte énormément au niveau des usages : il n'est plus réservé à quelques "happy few" qui pouvaient avoir des photos satellites. Aujourd'hui, tout le monde se sert de satellites, donc la puissance publique dans toutes ses composantes se rend bien compte qu'il y a un énorme créneau sociétal. Par ailleurs, l'arrivée du secteur privé montre que le spatial présente une vraie dimension économique et commerciale. Certains acteurs privés apportent des financements qui sont énormes. Pour certains milliardaires, en particulier américains, le spatial porte une part de rêve. Ils mettent leur puissance financière au service du spatial dans un but un peu allégorique, du moins, en façade. On voit Elon Musk qui prône d'aller sur Mars, et lui-même veut y aller avec tous ses enfants !

Geneviève Campan : Il y a un troisième volet qui est important : l'arrivée des géants du numérique comme Google ou Amazon qui captent tout pour générer des applications relativement bluffantes, pas forcément utiles en premier point, mais quand même très intéressantes, typiquement Google Earth ou Google Maps. C'est à nous de s'assurer que la continuité du service sera réelle : quand le satellite sera HS au bout de 5 ans, l'appli va-t-elle disparaître ? Non !

Marie-Anne Clair : Cela nous pose la question de qu'elle est notre position en tant que puissance publique. Notre objectif n'est évidemment pas de financer ou d'aider Google d'une façon ou d'une autre mais en revanche, la mission du Cnes est de faire en sorte que les citoyens puissent accéder aux services proposés par les satellites.

L'arrivée d'un acteur comme Space X vous a-t-elle remis en question ?

Marie-Anne Clair : Les acteurs du new space vont très vite. Notre méthode de travail, très codifiée, a largement fait ses preuves avec de grands succès, comme le lanceur Ariane 5, par exemple. Je dirais que Space X, dont on parle beaucoup, nous a posé une problématique très positive parce qu'il nous pousse à bouger, à réfléchir différemment, donc forcément c'est générateur de nouvelles idées, de création, de créativité. Par ailleurs, nous verrons quels sont les résultats que Space X obtient vraiment au bout du compte, car les choses du spatial sont techniquement difficiles et la réussite est très proche de l'échec.

--> La suite de cet entretien croisé sera diffusée mercredi 25 janvier sur latribunetoulouse.fr

Qui sont-elles ?

Geneviève Campan est diplômée de l'ENSEEIHT (École Nationale Supérieure d'Électrotechnique, d'Électronique, d'Informatique, d'Hydraulique et de Télécommunications) et titulaire d'un DEA en mathématiques appliquées de l'Université Paul Sabatier à Toulouse. Elle intègre le Cnes dès 1980 au département des mathématiques spatiales, où elle occupera un poste de chef de service. Elle prend en 2001 la sous-direction des opérations des satellites opérés par le Cnes, en 2008, elle devient sous-directrice mission et exploitation avec un objectif de valorisation des données des missions exploitées par le Cnes, avant d'être nommée, en 2011, directrice du système d'information. Impliquée et reconnue dans des sujets d'actualité tels que le big data ou la valorisation des données, Geneviève Campan exerce aussi les fonctions de chef d'établissement du Centre Spatial de Toulouse.

Marie-Anne Clair est diplômée de l'ESTA (École Spéciale des Travaux Aéronautiques) et de l'École Polytechnique Féminine et a également gravi les échelons au Cnes où elle est entrée en 1983. Chef de division microsatellite, puis en charge du service des satellites scientifiques, elle est devenue sous-directrice ballons en 2009. Depuis 2013, elle était directrice adjointe à la Direction des lanceurs. Au cours de sa carrière, Marie-Anne Clair a acquis une expérience solide en matière de développement de projets spatiaux qui sera mise au service des activités de la Direction des Systèmes Orbitaux.

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