La fronde des investisseurs de Talao "dans le flou" après une ICO de 2,6 millions d'euros

ENQUÊTE. À l'été 2018, la startup Talao fait la une de la presse après avoir levé 2,6 millions d'euros en cryptomonnaie. Elle ambitionne de réaliser à terme la plus grande ICO de France et se targue de collaborer avec Airbus, l'expert mondial en intelligence artificielle Luc Julia ou encore l'essayiste Gaspard Koenig. Mais deux ans et demi plus tard, La Tribune révèle qu'une vingtaine d'investisseurs sont prêts à lancer des poursuites contre la société, estimant que les promesses n'ont pas été tenues. De son côté, Talao met en avant des difficultés à trouver un modèle économique et un pivotage de son activité.
Talao avait récolté l'équivalent de 2,6 millions d'euros en cryptomonnaie en 2018.
Talao avait récolté l'équivalent de 2,6 millions d'euros en cryptomonnaie en 2018. (Crédits : Reuters)

"Cette startup toulousaine veut lancer la plus grosse ICO de France (Avec Airbus, Havas et Thales)", "Talao, blockchain & réacteurs : la plus importante ICO française pourrait être spatiale"... En mars 2018, Talao fait les gros titres de la presse économique. La jeune société ambitionne de récolter l'équivalent de 60 millions de dollars en cryptomonnaie pour développer une plateforme de travail à la demande d'un nouveau genre.

Elle veut mettre en relation entreprises et indépendants avec la possibilité "de certifier leurs compétences sur la blockchain et de stocker les certificats dans un coffre-fort numérique accessible grâce au token Talao et donner aux talents les clés de la gouvernance de la plateforme, de façon transparente et équitable, grâce à un système de vote basé sur la réputation". Objectif affiché : 5 millions d'utilisateurs en 2022. L'été suivant, elle annonce avoir réuni 7.300 Ethereum, soit environ 2,6 millions d'euros, comme nous le rapportions dans nos colonnes.

Désillusion d'une partie des investisseurs

Mais aujourd'hui un vent de fronde s'élève chez une partie de ces investisseurs. D'après les informations de La Tribune, une vingtaine d'entre eux se sont réunis pour faire entendre leur voix et pourraient aller jusqu'à engager des poursuites judiciaires contre Talao.

"En tant qu'investisseur, nous sommes rompus à la perte d'argent. Mais il y a la manière. Perdre un investissement après plusieurs mois parce que le projet a rencontré des difficultés, cela fait partie du jeu. Là, nous avons l'impression que le projet s'est arrêté aussi sec une fois que les fonds ont été levés partout dans le monde", témoigne Jérémi Lepetit.

Cet entrepreneur, lui-même créateur d'une fintech à Genève, avait misé deux Ethereum,  l'équivalent à l'époque de 1.300 dollars. Marc-Emmannuel V. est lui agent d'entretien. Sur son temps libre, il investit sur des projets de cryptomonnaies. Il avait décidé d'apporter sa contribution ("l'équivalent de moins de 1.000 euros") après avoir découvert une vidéo de Hasheur, youtubeur spécialisé dans les cryptomonnaies.

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Chaîne Youtube de Hasheur, spécialisé dans les cryptomonnaies.

"C'est quelqu'un de très influent. Talao mentionnait aussi les logos d'Airbus et l'appui de personnalités. Le projet avait l'air vraiment sérieux. Mais, aujourd'hui, Talao n'est plus indexé sur aucune plateforme d'échange de cryptomonnaies. Du coup, nos fonds sont bloqués. Nous ne pouvons plus les vendre ou les échanger. C'est le grand flou", explique-t-il.

Nicolas, un troisième investisseur qui a déjà investi dans d'autres ICO, résume : "La hype autour des ICO (initial coin offering) en 2018 a représenté la solution inespérée pour des entrepreneurs qui ne savaient pas comment lever des fonds. Mais dans le lot, certains sont partis avec les fonds. La communication de Talao est aujourd'hui réduite à néant. Les chaînes Telegram sont éteintes. Sur la dernière qui était en activité il y a encore peu de temps, nous ne pouvons plus envoyer de messages. Dans le jargon, on dit que ça sent le scam (arnaque en anglais)".

"Des difficultés pour trouver le bon modèle économique"

Nicolas Muller, cofondateur de Talao, assure pourtant "ne rien lâcher".

"L'activité de base, c'est de permettre de créer des CV blockchain ou de certifier des compétences sur la blockchain. La difficulté, c'est de trouver le bon modèle économique, de savoir qui est prêt à payer pour avoir cette identité professionnelle."

Le dirigeant explique avoir eu au total 500 CV enregistrés sur sa plateforme. La société a employé jusqu'à six personnes mais aujourd'hui seuls les trois cofondateurs sont actifs. Nicolas Muller précise qu'ils ne se paient pas pour le moment de salaire sur cette activité. Le chiffre d'affaires de la star-tup n'a pas été rendu public. Talao s'apprête par ailleurs à migrer vers un modèle de "blockchain privée". "La communication est compliquée vis-à-vis des investisseurs car il faut attendre d'avoir quelque chose de concret à présenter pour en parler", indique-t-il.

Une source proche de la société considère pour sa part que cette grogne "est minoritaire", concernant seulement une vingtaine d'investisseurs, des Français et quelques Sud-Coréens "qui étaient là plutôt pour spéculer sur le token (actif échangeable sur la blockchain, ndlr) que véritablement pour le projet". "Leur frustration vient du fait que le projet initial prévoyant un token listé sur une place de marché, ce qui a été le cas jusqu'à encore récemment. Mais il y a un décalage entre ce que vous prévoyez en tant qu'entrepreneur dans ce contexte donné et ce que vous êtes quatre ans après", poursuit-il.

Luc Julia et Gaspard Koenig, conseillers de Talao ?

L'autre point de friction entre les fondateurs de Talao et les investisseurs porte sur les partenariats prestigieux mis en avant lors de l'ICO. Le logo d'Airbus est par exemple affiché.

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Capture d'écran des documents présentés lors de l'ICO de Talao.

Pourtant, selon nos informations, le groupe n'avait pas donné suite au démarchage commercial de la startup qui ne semble pas référencée dans leur fichier fournisseurs. "Talao était en rang 2 chez Airbus. Après il y a eu un appel d'offres avec un renouvellement et on l'a perdu contre Manpower", glisse une source proche de la startup. Talao a également présenté un "proof of concept" de sa plateforme à Sopra Steria mais il n'existe pas actuellement de collaboration avec la startup d'après le groupe.

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Capture d'écran du site internet de Talao.

De même, Talao a affiché lors de la levée de fonds, mais également actuellement sur son site internet, le soutien de conseillers prestigieux comme l'expert en intelligence artificielle et cocréateur de l'assistant vocal Siri pour Apple Luc Julia ou l'essayiste très médiatique Gaspard Koenig. Contacté par La Tribune, Luc Julia nous précise :

"Je n'ai aucune relation avec cette compagnie et n'en suis pas un 'conseiller'. Mes archives emails montrent qu'ils m'ont effectivement contacté en juin 2018, mais aucune action concrète n'en a résulté."

Lire aussi : Luc Julia : "L'IA, ce n'est pas des robots qui vont nous remplacer"

Pour sa part, Gaspard Koenig déclare :"J'ai été contacté par l'équipe de Talao en 2018. Le projet correspondait bien à ma philosophie : travail indépendant + blockchain. J'ai donc accepté de figurer parmi leurs 'conseillers'. Voir l'expérience de l'intérieur m'intéressait. Depuis, plus aucune nouvelle..."

Nicolas Muller rétorque :

"Ces personnes nous ont conseillés, nous n'avons pas menti. J'ai rencontré Luc Julia en Corée, nous nous sommes vus plusieurs fois. J'ai eu Gaspard Koenig plusieurs fois au téléphone même si c'est vrai qu'ils sont moins impliqués dans le projet depuis quelques mois."

Avant de conclure : "Tout le monde parlait de la blockchain comme d'un eldorado. Mais on s'aperçoit aujourd'hui que le time to market est très long."

Au moment de l'ICO de Talao, il n'existait pas en France de système de régulation spécifique dédié aux levées de fonds en cryptomonnaies. Mais la loi Pacte a instauré en France depuis 2019 un régime de visa optionnel pour les levées de fonds en crypto-actifs. Désormais, seules les offres au public de jetons ayant reçu le visa de l'AMF (autorités des marchés financiers) peuvent faire l'objet, en France, d'un démarchage auprès du public.

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