ICO : la fin de l’incertitude réglementaire ?

Collecter des millions en seulement quelques jours tel est le rêve porté par les Initial coin offering (ICO). Derrière cet acronyme se cache un nouveau mode de financement né directement des cryptomonnaies, et qu’ont adopté de nombreuses startups. Cependant, de nombreuses arnaques ont été détectées. À l’occasion de la Mêlée numérique, des professionnels de la blockchain toulousains ont échangé sur cette nouvelle façon de lever des fonds. Mais également du nouveau cadre juridique instauré par la loi Pacte autour de cette pratique.
À l’occasion de la Mêlée numérique, des professionnels de la blockchain toulousains ont échangé sur cette nouvelle façon de lever des fonds.
À l’occasion de la Mêlée numérique, des professionnels de la blockchain toulousains ont échangé sur cette nouvelle façon de lever des fonds. (Crédits : Israa Lizati)

"Une ICO est une bonne façon d'obtenir de l'argent. C'est une sorte de levée de fonds", lance Christopher Villegas, le fondateur de Digital Service. Cette entreprise toulousaine propose la vente de bitcoins en ligne ainsi que de cartes prépayées en cryptomonnaie depuis des commerces de proximité. Au premier trimestre de 2018, les ICO réalisées dans le monde représentent l'équivalent de 6,3 milliards de dollars, selon le site spécialiste de la Blockchain, Coindesk. C'est plus que la totalité des montants levés en 2017 (4 milliards de dollars) pourtant considérée comme une année record.

 "Une ICO, c'est ni plus ni moins que la vente d'un crypto-actif ou token (actif numérique) à des populations données différentes, cela peut être autant le grand public que des bitcoineurs, avec des juridictions différentes et des obligations différentes. Comme on peut acheter des actions pour avoir le bout d'une boîte, on peut acquérir des crypto-actif en échange de cryptomonnaie", explique plus en détail Denis Lafont-Trévisan, co-fondateur et CEO de Talao, une plateforme toulousaine qui met en relation entreprises et talents et qui a pour ambition de lever 60 millions de dollars (environ 52 millions d'euros) en cryptomonnaie.

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 "Leurs projets étaient des scams "

De plus, comme les fonds sont levés sur Internet, tout le monde peut y participer. Les contributeurs proviennent des quatre coins du globe. Plus rapide, et simple que les traditionnelles levées de fonds généralement initiées par des financements participatifs ou des business angels, ce mode de financement séduit les jeunes pousses.

Cependant, les ICO peuvent présenter des risques pour les investisseurs. En effet, celles-ci ne sont soumises à aucun contrôle, aucun cadre juridique. N'importe qui peut créer une ICO, en faire la promotion, recevoir de la cryptomonnaie et ne jamais produire aucun service, sans que personne ne puisse agir. Les fraudes aux ICO se comptent par dizaines. Selon une étude du groupe Statis, un cabinet spécialisé en ICO, 80 % des ICO réalisées les 2017 ont été identifiées comme des scams (arnaques) où les porteurs de projets disparaissaient avec la caisse.

 "2017 a été le boum des ICO. Il y a eu plusieurs startups qui avaient une idée et ils ont fait des ICO pour monter leur projet. Certaines ont touché parfois des millions d'euros, mais il s'est avéré que les porteurs de projet avaient menti sur leurs documents officiels  et sont partis avec l'argent", raconte Julien Labatut, co-fondateur et CEO de Stoby, une plateforme toulousaine référençant des offres d'emploi chez des particuliers à destination des étudiants et qui s'apprête à lever près de 4,3 millions d'euros en cryptomonnaie.

 Dernier épisode en date près de Toulouse, après avoir été évincé de la tête de Morning, startup basée à Saint-Élix-le-Château, spécialisée dans les cagnottes en ligne et paiements entre particuliers, Éric Charpentier avait lancé fin 2017 une ICO afin de fonder Hush, la néo-banque qui devait voir le jour à la fin de cette année. Mais voilà, d'après le site Mind Fintech, après avoir récolté 540.000 euros sur les 20 millions qu'il espérait, Éric Charpentier a disparu avec la caisse. Il a supprimé ses comptes sur les réseaux sociaux et laisserait derrière lui plusieurs investisseurs dans un embarras financier.

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"Une régulation nécessaire et obligatoire"

Si les pratiques frauduleuses ont pu se répandre facilement c'est que la plupart des ICO financées le sont alors qu'elles ne sont encore que des idées. En effet, selon une étude publiée par le cabinet d'audit financier EY en décembre 2017, 84% des projets financés par une ICO le sont à l'état d'idée, 11% à l'état de prototype et 5%, seulement, concernent des entreprises déjà actives.

"La régulation est nécessaire et obligatoire. Néanmoins, ce n'est pas facile pour le régulateur. Si vous êtes trop coercitif et que vous cherchez trop à bloquer le système, des ICO ne seront plus ouvertes en France, mais ailleurs. Au niveau de la fiscalité, ça ne me dérange pas de payer des impôts, je le fais depuis des années. Par contre, je ne veux pas que le taux change tout le temps parce que sinon je ne peux plus gérer. La régulation oui, mais à condition qu'elle soit claire et un tout petit peu incitative", suggère Denis Lafont-Trévisan.

 Un visa pour les acteurs des ICO

Au lieu de bannir les ICO comme la Corée du Sud ou encore la Chine, le gouvernement français a choisi de fixer un cadre réglementaire comme aux États-Unis et au Japon. Le 12 septembre dernier, Bruno Le Maire, ministère de l'Économie et des Finances, annonçait sur son compte Twitter l'adoption de l'article 26 du projet de loi Pacte, Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, qui prévoit un cadre juridique dédié aux ICO. Cette loi devrait être mise en vigueur en 2019.

Cet article autorise l'Autorité des marchés financiers (AMF) à "délivrer un visa aux acteurs qui souhaiteraient émettre des jetons destinés notamment au marché français pour le financement d'un projet ou d'une activité, sous réserve qu'ils respectent certaines règles de nature à éviter des abus manifestes et à informer et protéger l'investisseur", dispose le texte officiel.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale, qui examine le projet de loi Pacte, avait également adopté un amendement qui dans le futur aidera les porteurs de projets d'ICO labellisés par l'AMF à ouvrir un compte bancaire en France, car beaucoup d'entre eux ne parviennent généralement pas à ouvrir de comptes corporate dans les banques françaises et se retrouvent dans l'obligation de le faire à l'étranger. Cet amendement ne s'adresse qu'aux startups qui ont recours aux ICO et ne concerne en aucun cas les particuliers qui investissent dans les cryptomonnaies ou les professionnels qui n'ont pas recours aux ICO.

 De la transparence pour éviter les fraudes

Dans la soirée du 28 septembre, ces deux amendements ont été adoptés par l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet loi Pacte en plus d'autres dispositions. Parmi celles-ci figurent l'obligation d'établir une liste blanche, destinée "à donner toute information utile au public sur l'offre proposée et sur l'émetteur", la mise en place d'un mécanisme de séquestre des fonds récoltés "afin d'éviter leur disparition par surprise" et l'exigence de la constitution d'une personne morale pour éviter les données sous pseudonyme.

 Ce régime juridique a pour objectif de faire émerger des offres "les plus vertueuses" tout en dissuadant l'émission d'ICO frauduleuses. De son côté, le co-fondateur de la startup Talao, Denis Lafont-Trévisan, voit ce cadre juridique d'un bon oeil, lui pour qui l'apparition de la blockchain est une 'chose comparable à l'arrivée d'internet dans les 90 et qui va tout révolutionner" : "Avec la loi Pacte, les régulateurs commencent à reprendre progressivement pied, les investisseurs professionnels qui étaient au départ sceptiques vis-à-vis des crypto-actifs ont bien compris qu'une révolution est là."

Selon le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, qui ambitionne de faire de l'hexagone "le leader européen de la blockchain", ce sont "la liberté technique et de la sécurité juridique", garantis notamment par la l'article 26 de la loi Pacte, "qui feront que le modèle français pourra inspirer d'autres nations".

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