"La finance est comme un marteau qui peut casser ou construire"

Nicolas Hazard, 34 ans, président et fondateur du Comptoir de l'Innovation, le fonds de financement solidaire d'Inco qui finance des startups inclusives et durables, était l'invité de La Tribune Toulouse ce vendredi 24 février à l'occasion du Forum Citoyen 3.0. L'opportunité de faire le point avec lui sur le mouvement des entrepreneurs sociaux, le financement social et leur impact sur l'économie. Nicolas Hazard est le coauteur du livre "La Ruée des licornes, startups une révolution mondiale" et le conseiller entrepreneuriat du candidat à la présidentielle Benoît Hamon. Entretien.
Entretien avec Nicolas Hazard, président du Comptoir de l'Innovation

En quoi la finance solidaire peut-elle, selon vous, permettre la construction d'une nouvelle économie ?

Aujourd'hui, la vision dominante de la nouvelle économie consiste à se demander combien de "licornes" nous avons en France et quelle est leur valorisation. Avoir une boîte valorisée à un milliard de dollars mais qui a détruit des milliers d'emplois, je ne vois pas en quoi l'on peut être fier de cela. La nouvelle économie sera inclusive sur le plan social et durable, ou ne sera pas. La vraie question qui se pose à nous dans ce tournant majeur de nos économies est : "Comment les nouveaux acteurs qui voient le jour aujourd'hui peuvent servir à créer une société plus juste ?" Soit on se contente du statu quo qui risque de conduire au repli, soit on propose de nouvelles recettes. C'est ce dernier choix que j'ai fat.

J'ai créé le Comptoir de l'Innovation il y a six ans car, selon moi, la finance n'est pas une fin en soi, mais un outil au service de l'économie et de la société. La finance c'est comme un marteau, cela peut servir à casser une maison ou à la construire. La finance solidaire participe à l'émergence de nouveaux acteurs économiques, à la fois plus durables et qui œuvrent à une meilleure inclusion de tous les citoyens.

L'idée est séduisante mais n'avez-vous pas l'impression d'aller à contre-sens du courant économique dominant ?

C'est vrai qu'il n'y a pas encore de mutation claire dans les pratiques économiques ou managériales. Par contre, sur le plan des idées, les choses sont en train de bouger. Il y a encore beaucoup de travail pédagogique à réaliser pour montrer que l'on peut allier rentabilité et entrepreneuriat social. Les pratiques changeront dès lors que l'on utilisera le langage de la preuve.

Concrètement, quelle est la spécificité du Comptoir de l'Innovation comme financeur solidaire ?

Nous intervenons en haut et bas de bilan pour des montants compris entre 200 000 euros et 2 millions d'euros. Nous réalisons des prises de participation minoritaires jusqu'à 49 % du capital.

Notre spécificité est que, dans l'étude des dossiers qui nous sont soumis, nous analysons à la fois les critères économiques classiques et des critères extra-financiers. Sur 600 critères analysés, 300 sont des critères économiques et 300 des critères sociaux et environnementaux. Les candidats doivent répondre à un minimum requis à la fois sur les critères économiques et sur les critères sociaux et environnementaux. Si le candidat n'a pas le minimum requis sur l'un des deux volets, il n'est pas retenu.

Nous restons minoritaires car nous avons confiance dans les managers pour gérer convenablement leur entreprise. Nous n'avons pas vocation à nous substituer à eux.

Non seulement nous soutenons des projets novateurs en termes sociaux et environnementaux, mais en plus nous sommes profitables. Depuis notre création, nous dégageons une rentabilité moyenne de 4 à 5 % par an.

Nous soutenons des projets comme Ethiquable ici en Midi-Pyrénées, la scop de vente de produits bio issus du commerce équitable, ou UpCycle, une entreprise s'appuyant sur l'économie circulaire pour réutiliser le marc de café usagé dans l'autoproduction à domicile de champignons. Nous avons aussi incubé Reconnect, une startup qui propose un coffre-fort numérique pour les documents d'identité des SDF.

Quelles sont les perspectives à court ou moyen terme pour le financement solidaire ?

Plusieurs rapports (Cambridge, JP Morgan), montrent que le financement solidaire - l'"impact investing" pour reprendre l'expression anglo-saxonne - est amené à croître considérablement dans les années à venir. D'ici une dizaine d'années, il devrait représenter 5 à 10 % de l'économie mondiale.

Nous jouons un rôle de défricheurs, nous sommes les pionniers en France du financement solidaire mais d'autres acteurs comme Amundi ou Aviva sont en train de suivre cette voie.

Vous estimez, à l'instar de l'économiste américain Jeremy Rifkin, que la transformation numérique en cours constitue la troisième révolution industrielle. Que cela va-t-il changer pour l'économie et la finance ?

Il faut tout repenser. Les vieilles recettes héritées du modèle des Trente Glorieuses, où les acteurs économiques créaient de la richesse et l'État intervenait pour "réparer" l'économie, ne fonctionnent plus, car l'État est financièrement exsangue. Dans ce modèle ancien, l'impôt servait à combler les externalités négatives issues du système économique. Il faut réfléchir à un nouveau partage des responsabilités. Il serait opportun d'intégrer ces externalités au sein même des entreprises. L'impôt sur les sociétés fixe de 33 % n'a plus de sens. Il faudrait repenser le système fiscal avec un impôt qui soit positif ou négatif selon l'impact social et environnemental de l'entreprise.

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