Comme beaucoup de nouvelles tendances de consommation, le concept est venu tout droit des États-Unis. Après avoir colonisé Paris, les « dark kitchens » essaiment un peu partout dans les grandes villes de France, ces derniers mois: Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille, Toulouse et bientôt Montpellier.
Mais que faut-il entendre par « dark kitchen » ? La traduction française se résume à « cuisine fantôme », mais très concrètement, cette dénomination anglo-saxonne désigne un restaurant sans salle, un lieu pensé et optimisé uniquement pour la réalisation de plats cuisinés et leur livraison directement au particulier via les plateformes de livraison numériques classiques (Deliveroo, Uber Eats...) ou bien via l'application web ou mobile du restaurant virtuel lui-même.
À Toulouse, certaines enseignes situées en centre-ville n'hésitent cependant pas à ajouter à leur palette la vente à emporter (on parle de "drive piéton", un format qui mixe le vénérable "take away" au désormais classique "click & collect")
« Avec les dark kitchens, on se retrouve dans une situation classique. Comme beaucoup d'innovations ces dernières années, celles-ci ne viennent pas de la technologie mais de l'usage qui en est fait. C'est cela qui est innovant. C'est le client qui constitue son niveau de service avec la dark kitchen, tandis qu'avec le restaurant vous payez à la fois le repas et le cadre. C'est un phénomène de déstructuration de l'offre, où cette dernière est reconfigurée par les usages », analyse Jean-Paul Crenn, le président de Fedeo, la fédération du e-commerce en Occitanie.
Après des débuts timides en France, la crise sanitaire a amplifié l'adoption de ce nouveau mode de consommation.
"Aujourd'hui, la dark kitchen est inscrite dans nos usages et l'adoption s'est juste accélérée avec la crise sanitaire mais les prémices étaient déjà présents. Cette activité sera pérenne car on y trouve un certain confort et une autre manière de consommer. Le temps est une donnée limitée et le fait que nous gagnons du temps avec ce service le rend très attractif", poursuit le dirigeant auteur du livre "V.A.D.OR" sur le e-commerce.
Holocène, Foudie... les projets se multiplient dans la Ville rose
Dans la Ville rose, l'enseigne Foudie a été la première marque à importer cette nouvelle méthode de consommation. Félix Fiorio, Thibaut Ghorifa et Clément Mulsant, ont ouvert ce restaurant 4.0 en décembre 2020. Un restaurant sans salle et n'accueillant donc aucun client, totalement pensé pour la livraison de repas, de l'aménagement des cuisines à l'élaboration des recettes. Et la mayonnaise semble prendre puisque l'enseigne frôle chaque jour les 300 commandes. Un rapide succès qui lui a permis de boucler un tour de table prestigieux quelques mois en arrière.
"Le tour de table régional réalisé par Foudie en septembre 2021 auprès de trois acteurs toulousains (Bigflo & Oli, Newrest et le fonds d'investissement Tolosa) a permis l'ouverture du restaurant virtuel montpellierain (lancé en début d'année 2022), et d'ambitionner la création de futurs restaurants d'ici juin 2022", rappelle la société qui vise également des implantations à Bordeaux et Pau.
Au sein de la quatrième ville de France, un autre projet de dark kitchen, Holocène, porté par Julien Sanchez et Stéphane Suarez, a vu le jour en mars 2021. Basée sur la cuisine gastronomique, la singularité d'Holocène réside dans le fait d'avoir transformé la cuisine d'un appartement en cuisine professionnelle destinée à la livraison.
Plus récemment, la PME toulousaine Locacuisines, spécialisée dans l'installation de cuisines modulaires professionnelles et éphémères, investit aussi le secteur de la dark kitchen. La société va installer six box au sein du Min de Toulouse.
« Nous souhaitons accompagner des clients déjà établis (restaurateurs, traiteurs, etc.) qui cherchent à se diversifier dans la vente à emporter », fait savoir le directeur commercial de la société Florent Chaigne.
Pour cela, les intéressés devront débourser un total de 4.500 euros mensuels TTC, avec un contrat minimum d'engagement de six mois de location. Si les délais sont tenus, les premiers intéressés pourraient s'installer dans leur dark kitchen dès le début du mois de mars 2022.
La mairie se dit vigilante sur le sujet
Si d'autres villes ont décidé de mener la guerre contre cette nouvelle activité commerciale, tout comme contre les « dark stores », ces boutiques alimentaires pensées pour la livraison à 10 à 15 minutes, Toulouse, quant à elle, se veut pragmatique sur le développement de ces dark kitchens.
"Nous sommes face à une évolution économique, sociale et sociétale, avec un nouveau modèle de l'offre. Il faut l'accepter et non pas chercher à l'empêcher. Je suis souvent interrogé sur le fait qu'il faudrait la freiner, mais il faut être plutôt vigilant. Le phénomène à Toulouse ne sera pas de la même ampleur qu'à Paris, en raison de la différence en matière de densité de population. La municipalité de Toulouse a donc un regard pragmatique, observateur et vigilant sur la dark kitchen, il faut laisser le concept vivre sa vie et voir ce que cela donne", réagit Olivier Arsac, adjoint de la ville chargé de la vie économique, à l'emploi, au commerce et à l'artisanat.
Des propos plutôt modérés après la gestion du projet polémique Popafood, qui consiste à installer 12 dark kitchens en plein coeur du quartier Les Chalets, un secteur très résidentiel. Une association du quartier s'est activement opposée à ce projet économique, qui prend un peu de retard. À cause de cette opposition ? Joint par La Tribune, les porteurs de projet s'abstiennent de tout commentaire pour le moment. Pour tenter d'apaiser la situation, la mairie de Toulouse a mené une médiation entre les deux parties.
« Nous avons réussi à trouver partiellement un terrain d'entente, avec notamment la promesse des porteurs du projet d'avoir un médiateur devant leurs locaux pour gérer les livreurs et éviter au maximum les nuisances. Car, le sujet, c'est bien la tranquillité autour de ces dark kitchens avec le flux des livreurs, en scooters, voitures ou vélos. Néanmoins, la notion de tranquillité publique est au coeur de l'action municipale de Jean-Luc Moudenc depuis son élection en 2014", explique Olivier Arsac, se disant "pas hostile" à ces nouveaux établissements.
Par ailleurs, la municipalité de la quatrième ville de France travaille sur "un code de la rue", afin de faire cohabiter piétons et cyclistes. Une initiative qui pourrait peut-être inclure par la suite le comportement des livreurs des plateformes de livraison...
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