Spatial : les menus gourmets des spationautes pensés à Toulouse

Caponata, magret de canard confit aux câpres et gâteau au chocolat : pour les grandes occasions, les spationautes aussi ont le droit de se régaler. Si l'approvisionnement de base de la station spatiale internationale est assuré par la Nasa et le Roscosmos, c'est le Cnes qui fournit les repas les plus élaborés. Entretien avec Alain Maillet, responsable d'expériences menées en physiologie au Cadmos, à Toulouse.
Les spationautes Mikhail Tyurin (à gauche), Thomas Reiter et Michael E.Lopez-Algeria partagent un repas préparé par le chef cuisinier Alain Ducasse à bord de la Station Spatiale Internationale, en 2006 © NASA

Que mange-t-on aujourd'hui dans l'espace ?
La nourriture est à 50 % russe et à 50 % américaine. Les premiers fournissent des conserves et les seconds envoient des aliments thermo-stabilisés ou lyophilisés que l'on réhydrate avec de l'eau froide ou chaude en fonction de la recette. Lorsque des véhicules arrivent à la station, ils apportent des aliments frais : des fruits, des légumes. La Nasa a 200 recettes et les Russes sans doute à peu près autant.

L'Europe est-elle absente de l'alimentation spatiale ?
Lors des vols franco-russes vers la station Mir, le spationaute Jean-Pierre Haigneré avait fait des retours négatifs sur les repas. Le Cnes avait alors développé des repas de qualité et comme les retours étaient positifs, nous avons relancé l'opération en 2004 pour la station spatiale internationale.

Aujourd'hui, le Cnes fournit des repas dits événementiels pour des anniversaires, des fêtes ou pour l'arrivée d'un équipage, et essaie de produire des repas de qualité avec les contraintes du vol spatial. Ceci dit, les spationautes ne doivent pas en consommer tous les jours, sinon ils s'en lasseraient.

Combien de recettes proposez-vous ?
Nous avons 35 recettes disponibles. L'objectif est d'en avoir 40. Nous avons arrêté certaines car elles ne plaisaient pas, comme une recette de volaille à la sauce thaï. Celle qui fonctionne le mieux est une entrée de légumes appelée Caponata, un mélange d'aubergine, de tomates, de raisons sec, de miel et d'amande. C'est une adaptation d'une recette du Sud-Est de la France.

Où sont produits ces repas ?
Nous avons une convention de collaboration avec le groupe Alain Ducasse Formation, basé en région parisienne, avec qui nous travaillons depuis 2004. Ils nous proposent des recettes en fonction des critères demandés, et les produisent. Nous les envoyons ensuite à la Nasa après les avoir faits goûter par les spationautes. Ce n'est pas la peine de monter quelque chose qu'ils n'aimeraient pas manger.

Le Cnes est-il le seul en Europe à produire des repas ?
Nous sommes le seul fournisseur régulier hors Nasa et Roscosmos. D'autres agences spatiales fournissent des repas de façon irrégulière quand ils ont un spationaute à bord : japonais, canadien, britannique, allemand, italien. Des choses sont en préparation pour le spationaute anglais Tim Peake qui va monter à bord à la fin de l'année.

À quoi servent ces repas de qualité ?
Ils permettent d'accompagner le spationaute pendant son vol. C'est psychologique. Cela leur permet d'amener un bout de leur pays avec eux. Lors des vols de longue durée, ces repas ne seront pas la base de toute l'alimentation, mais ils seront un support psychologique. Un bon repas de temps en temps, cela fait du bien.

Ces repas sont aussi utilisés comme support pour des expériences de nutrition du type "Énergie". C'est une expérience menée par le CNRS de Strasbourg qui étudie le métabolisme des spationautes à bord de la station pour quantifier leurs besoins en apports calorique en vol de longue durée. Les données existantes concernent uniquement les vols navettes qui durent 15 jours maximum. Après trois mois de vol, on impose au spationaute de consommer quatre repas sur une période d'un jour et demi. À la sortie, on mesure son métabolisme en connaissant exactement les apports, ce qui nous permet de mieux comprendre le métabolisme.

Les besoins sont-ils les mêmes dans l'espace ?
Les recommandations journalières sont les mêmes. Les recettes sont adaptées en fonction de la dépense énergétique réalisée chaque jour par les spationautes s'ils font de l'exercice ou s'ils doivent faire une sortie extra-véhiculaire. Nous essayons de faire des recettes qui passent le mieux possible dans tous les sens du terme, aussi bien au niveau du goût que de la digestion.

Que nous apprend l'étude de l'alimentation dans l'espace ?
Cela nous permet d'affiner nos connaissances sur l'utilisation des graisses et des glucides. La chercheure du CNRS Audrey Bergouignan en parlera ce jeudi 24 septembre lors d'une conférence à la Cité de l'espace sur le thème "se nourrir dans l'espace, entre plaisir et nécessité".

À quoi ressembleront les repas dans quelques années ?
Je ne pense pas que l'alimentation change radicalement. Avec les vols de longue durée, notamment vers Mars, il y aura un problème de masse, donc il faudra trouver des solutions pour réduire cela. La Nasa travaille actuellement sur l'impression 3D de nourriture, même si on n'a pas vu encore les résultats. La production à bord du vaisseau peut être un bon argument.

Y-a-t-il des aliments qui poussent dans l'espace ?
Une première salade a été dégustée cet été dans la station internationale. L'agence spatiale européenne a travaillé sur le cycle de production pour voir quels aliments pouvaient être produits en vol en circuit fermé avec le moins de déchets possible. Neuf aliments rentrent dans cette catégorie : le soja, la laitue, le riz, la pomme de terre, la tomate, les oignons, les épinards, le blé et la spiruline.

Certains livres de science fiction décrivent des aliments remplacés par des petites pilules. On ne s'oriente pas du tout vers cela en définitive ?
Des pilules de vitamines en complément peut-être, mais je vois mal des gens accepter de se nourrir uniquement de ça. Le repas est quasiment le seul moment où les spationautes sont ensemble. Pendant la journée, ils travaillent dans différents modules de la station. Le repas est l'un des seuls liens sociaux qu'ils ont. Le repas du soir est le moment privilégié de liaison entre les différents membres de l'équipage.

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