Digital Girls : "Le numérique s'est structuré sans les femmes"

Le numérique est-il l’apanage des hommes ? Alors que les métiers du numérique et les startups du web explosent, les femmes n’ont pas encore véritablement investi les professions du digital. En effet, elles ne représentent que 27% des salariés de l'informatique et du numérique et seulement 13% des effectifs des écoles d'ingénieur spécialisées. À Toulouse le mouvement, composé par des femmes des domaines de la tech, Digital Girls vise à booster la mixité dans le secteur et rééquilibrer la présence des femmes à travers plusieurs actions notamment des marathons de l'innovation, Wo'Mixcity, portés par des femmes.
Carole Maurage est la fondatrice et présidente du mouvement Digital Girls.
Carole Maurage est la fondatrice et présidente du mouvement Digital Girls. (Crédits : Rémi Benoit)

L'écosystème du numérique et du digital n'a pas encore produit son Bill Gates, Mark Zuckerberg ou Travis Kalanick au féminin.

Le mouvement Digital Girls a été créé après un simple constat de sa fondatrice et présidente Carole Maurage : le manque de femmes dans le secteur de l'innovation, du digital, de la data, de l'IA et plus généralement dans les domaines de la tech.

"Je baigne dans l'écosystème de l'innovation et du digital depuis une quinzaine d'années maintenant et je l'ai vu se structurer au fur et à mesure sans les filles. Cela a eu pour résultat aujourd'hui : un manque de filles à la gouvernance des entreprises du numériques, startuppeuses, directrices des organes de l'écosystème... elles peuvent être comptées sur les doigts de la main", se désole Carole Maurage.

Cette vision est également partagée par Nadia Pellefigue vice-présidente de la Région Occitanie, en charge du développement économique, de la recherche, de l'innovation et de l'enseignement supérieur et marraine de Digital Girls.

"Les choses sont très largement imparfaites, il y a encore de nombreux combats. En 2018, il n'y a que 27% à 28% de femmes qui travaillent dans le secteur du numérique. On parle beaucoup de startups mais la réalité c'est que les startuppeuses représentent moins de 10% des startuppeurs. De plus, sur les sujets mis en valeur qui animent beaucoup l'écosystème tels que l'intelligence artificielle ou la cybersécurité nous sommes à à peine un petit peu plus de 10% de femmes", a-t-elle affirmé durant un point presse du 19 juin sur l'année et les projets Digital Girls.

Une renaissance du mouvement

Après un démarrage sur les chapeaux de roues en 2014, Digital Girls a connu un ralentissement avant de reprendre de plus belle en 2017 afin de mener à bien sa mission qu'est de "booster" la mixité dans les différents domaines de la Tech.

"Nous nous sommes structurés en fonction des besoins des femmes qui sont toujours aussi nombreux. Aujourd'hui, Digital Girls est un mouvement beaucoup plus solide. Nous sommes par ailleurs devenues une association", explique Carole Maurage.

Afin de mener à bien leur projets, les Digital Girls prônent l'action, le dynamisme et la positivité. "Nous sommes très pragmatiques et nous voulons voir des résultats". Et c'est justement ces aspects qui ont séduit Nadia Pellefigue et l'on poussée à soutenir le mouvement. D'ailleurs celle-ci a été choisie par l'ensemble des Digital Girls pour les valeurs et les ambitions qu'elle incarne et représente et la figure féministe charismatique qu'elle est.

"Face à la situation, il y a deux postures : soit se désoler de l'état de la société et  le dénoncer soit la vision positive et optimiste qui est celle adoptée par les Digital Girls. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que les optimistes seraient des naïfs se satisfaisant de l'état des choses et les pessimistes des éclairés critiques. Je crois qu'on peut être critique et constructif tout en étant optimiste", avance Nadia Pellefigue.

Un mouvement toulousain qui s'exporte

Un peu plus d'un an après sa renaissance, Digital Girls met en place plusieurs actions et s'installe peu à peu sur le territoire d'Occitanie et au-delà. Piloté depuis son bureau à Toulouse créé en 2014, l'association compte désormais plusieurs groupes locaux à Montpellier depuis 2017, Adour (Tarbes et Pau) depuis juin dernier et Albi qui est en train de se lancer officiellement.

 "Non seulement dans les grandes villes les femmes manquent de visibilité mais alors dans les petites villes c'est la catastrophe. Il est donc important de mener des actions au niveau local"

Le mouvement pourrait bien s'exporter au delà des frontières de la région puisque des demandes de femmes entrepreneures émanent de Bordeaux et Agen. "Des rapprochements sont en cours et des groupes Digital Girls vont bientôt voir le jour en 2019 à Paris et Dakar au Sénégal", confie Carole Maurage.

"Des actions qui s'adaptent au territoire"

Si centre névralgique ou le "réseau" comme le qualifient les Digital Girls basé à Toulouse pilote le mouvement et veille à son bon développement, chaque groupe anime localement, en accord avec les valeurs de l'association, les spécificités, les ressources et les besoins de sa communauté de Digital Girls.

"Les actions évoluent et s'adaptent en fonction du territoire. Par exemple à Adour, une enquête de terrain a été faite auprès des femmes afin de connaitre leurs besoins. Ce qui en est ressorti, c'est le besoin de mise en réseau, d'échange de compétences et de formations et la mise en lumière des initiatives", affirme Carole Maurage.

Pour ce faire plusieurs moyens sont mis à disposition des manageuses de groupes : des outils de communication et d'organisation d'événements, une trésorerie et bien sûr, l'appui direct et continu de l'équipe toulousaine.

Des meetups, des Coding Party...

Afin d'animer et d'aider les différents groupes de Digital Girls et de favoriser la mixité dans les domaines de tech, l'association met en place plusieurs événements récurrents.

Ce qui est souvent pointé du doigt lorsque l'on parle du manque de femmes dans le numérique, c'est l'absence de figures féminines en réussite qui peut inciter les jeunes filles à prendre les chemins des techs de l'informatique ou encore de l'IA et pousser certaines femmes à entreprendre. Afin de mettre en avant ces modèles, Digital Girls organise des meetups durant lesquels des femmes en réussite prennent la parole et partagent leurs expériences.

Des ateliers de codage (ou Coding Party) sont également organisés

"Contrairement aux autres ateliers où les hommes sont les bienvenus et nos meilleurs ambassadeurs, les femmes ont spécifiquement demandé a être seules, Et ça, c'est un signe que les femmes ne se sentent pas assez en confiance dans des spécificités techniques", constate Carole Maurage

Ces ateliers sont animés par des étudiants en formation de dévelopeurs web, notamment à l'Epitech Toulouse (École pour l'informatique et les nouvelles technologies) où il y "4 filles pour 100 garçons".

Des moments d'échanges et de rencontres entre les différents groupes de Digital Girls et également avec des acteurs externes se tiennent régulièrement. Le but étant de se réunir afin de "réseauter". "Les femmes ont besoin de s'entre aider, d'exprimer leur sonorité et de coopter...", assure la fondatrice de Digital Girls.

Les Digital Girls sont également sollicitées par des acteurs externes afin de promouvoir la place des femmes dans le numérique.

"La préfecture nous a demandé d'intervenir auprès de femmes migrantes pour les aider à accéder à l'emploi. Le secteur du numérique étant évidemment un secteur de plein emploi. En 2017, c'était 212 000 postes à pourvoir dans le numérique qui ne sont pas pourvus. Dans un réseau féminin qui s'entraide, ces femmes pourraient trouver un moyen plus facile d'accéder à l'emploi."

Un marathon de l'innovation au féminin

L'événement phare de Digital Girls reste Wo'Mixcity, un marathon de l'innovation au féminin. "C'est un marathon mixte, seulement, la place de leader de projets est réservée aux femmes". Pour la première édition du Wo'Mixcity, qui s'est déroulée du 15 au 17 septembre dernier, 6 équipes avait 36 heures afin de monter un projet innovant autour du thème climat et digital, "un sujet sur lequel les femmes ne sont pas assez présentes".

Cette première édition a vu naître 6 projets dont 4 qui se sont transformés en emplois. Robins des Mers, qui a reçu le premier prix du jury, a mis au point un outil afin de réduire les déchets en mer. Alexia Idrac la porteuse du projet a présenté un premier prototype qui est désormais en cours de test en mer. L'application de co-jardinage, Adopte Ma Tomate est désormais une startup a part entière et compte plus de 300 inscrits. L'application portée par Tiffany Billard, Phytomede, qui aide à trouver facilement des remèdes naturels est de train de fixer son concept afin de se lancer prochainement sur le marché. Enfin E-conscienece, une application pour se reconnecter  à soi, aux autres et à l'environnement est actuellement en expérimentation dans un lycée toulousain.

"En 36 heures on a le temps de créer plein de liens et des aventures humaines assez incroyables. Vendredi soir les gens ne se connaissent pas, et dimanche ils ont monté un projet ensemble. Le fait que ces projets soient portés seulement par des femmes change l'ambiance dans un bon sens", se réjouit Carole Maurage.

Les prochains Wo'Mixcity se dérouleront à Paris en octobre prochain, il reviendra à Toulouse fin 2018 et s'exportera à Dakar en début 2019.

"Pas un combat des femmes pour les femmes"

Carole Maurage insiste sur le fait que Digital Girls oeuvre et souhaite booster la mixité dans le secteur de l'innovation, du digital, de la data et de l'IA et non pas d'instaurer une opposition des sexes. Un combat qui peut et qui doit être mené selon elle avec les hommes.

"Les hommes ont toute leur place dans cette dynamique. Ce qui nous manque c'est que ces femmes qui entreprennent et qui ont des postes à responsabilité aient de la visibilité"

Sa vision est complètement partagée par la marraine de Digital Girls, Nadia Pellefigue.

"Le combat n'est pas un combat de femmes pour les femmes. C'est un combat qui doit être un combat de femmes et d'hommes pour la société. Je me suis impliquée car je pense qu'en matière de performances et de compétitivité on a beaucoup à gagner tous ensemble sur le fait que les compétences et les savoirs-faire des femmes puissent être mobilisés. J'espère que cet engagement au delà de ma personne, de la Région Occitanie dans ces dynamiques-là, ne tient pas au fait que je sois une femme et que sa présidente Carole Delga aussi. Avec Carole Maurage on ne se satisfera jamais d'être les femmes visibles, ça ne fait pas de nous des femmes plus fortes", conclue-t-elle.

Lire aussi : Portrait : jusqu'où ira l'hyperactive Nadia Pellefigue ?

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