Vol spatial habité : il est temps de changer quelque chose dans le royaume de l’ESA

Dans une tribune publiée ce jour dans nos colonnes, Michel Messager publie un plaidoyer pour le vol spatial habité européen. Directeur associé de Consul Tours, une société de conseil spécialisé dans le tourisme, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le tourisme spatial. Michel Messager est considéré actuellement comme l’un des spécialistes en la matière. À la veille du Space Forum de La Tribune, qui se tiendra à La Cité de l'Espace à Toulouse le 11 mai, il appelle l'ESA a changé sa stratégie sur les vols habités.
Quelle sera la stratégie en matière de vol spatial habité pour l'ESA sur la prochaine décennie ?
Quelle sera la stratégie en matière de vol spatial habité pour l'ESA sur la prochaine décennie ? (Crédits : Ralph Orlowski)

Hasard ou coïncidence, interrogé en marge de ce grand rassemblement annuel de l'industrie spatiale, qu'est le salon Space Symposium qui se tenait du 17 au 20 avril 2023 à Colorado Spings, Josef Aschbacher, le patron de l'Agence spatiale européenne (ESA), déclarait à propos du plan que l'agence souhaitait mener : « Le deuxième point est d'acheminer des astronautes en orbite basse. Le bloc suivant est la Lune. D'abord des chargements vers et depuis la Lune, et ensuite des astronautes... »

Lire aussiBlue Origin, ESA, CDE... Le programme du Space Forum 2023 de La Tribune

On croit rêver quand on sait que pendant des années la politique européenne préférait privilégier les vols non habités laissant la place aux robots et qu'il y a encore seulement un an au Sommet spatial européen de Toulouse, le même Josef Aschbacher appelait mollement à : « réfléchir à une ambition un peu plus forte au niveau européen en matière de vols habités » !

Au cours de ce même sommet, l'Élysée rappelait qu'un tel sujet, « se traite au niveau européen et qu'il n'y a pas de consensus clair ni encore de direction stratégique en la matière ». Le Président Emmanuel Macron renchérissant : « Pour nous Européens, le modèle spatial viable n'est pas celui de l'exploitation, pas celui de l'augmentation du nombre de touristes spatiaux [...] pas plus que le seul horizon n'est l'exploitation minière de la Lune ».

Il aura donc fallu attendre le Conseil de l'ESA, qui s'est tenu le 23 mars, et l'annonce du rapport du « groupe consultatif sur l'exploration humaine et robotique de l'espace pour l'Europe », mandaté par cette même ESA, démontrant noir sur blanc que l'Europe doit très rapidement changer de cap et se doter « d'un programme ambitieux pour la décennie à venir en matière de vols habités. »

Que de temps perdu...

Il convient quand même de se remémorer certains faits pour mesurer ce temps perdu et les choix qui ont été faits depuis des dizaines d'années en matière de politique spatiale.

Quand on pense que le projet Hermès (projet de navette spatiale européenne lancé en 1975 et abandonné en 1992) aurait pu nous mettre dans le peloton de tête des grandes nations spatiales, idem pour le projet Adeline conçu en 2015 qui présentait un étonnant concept de moteur détachable, capable de revenir sans étage se poser en Guyane pour être réutilisé. Ces deux projets, comme tant d'autres, resteront sans suite, victimes sans doute de ce que l'on a nommé « le Mal Français » et d'une technostructure scientifique peu encline à l'ouverture au privé.

Et que dire et que dire...

Il a fallu attendre 2023 et le « groupe consultatif sur l'exploration humaine et robotique de l'espace » pour revenir a un peu de bon sens et de réalisme. En effet, les grandes orientations données à l'ESA par ce groupe de travail peuvent se résumer à quatre points majeurs, à savoir :

/ Les auteurs du rapport sont parfaitement clairs et précis sur la situation actuelle :

« L'Europe a décidé de ne pas investir dans le leadership et l'autonomie en matière de vol habité, préférant plutôt collaborer, ce qui menace son avenir en tant qu'acteur crédible sur la scène économique et géopolitique mondiale. » Ils précisent également que : « l'Europe doit augmenter de manière significative ses investissements dans l'exploration humaine et développer ses propres capacités en matière de vols habités afin de retirer tous les avantages d'une économie spatiale en plein essor. »

Ce constat est donc sans appel : oui l'Europe s'est entêtée à mettre de côté le vol habité alors qu'elle en avait toutes les compétences !

/ Les auteurs du rapport ont été surpris, voire étonnés, du peu d'investissement consacré au spatial en général et à l'exploration spatiale en particulier et par voie de conséquence au vol habité : « L'Europe dépense 1 milliard environ pour l'exploration spatiale sur un budget annuel de 7 milliards, quand les aides publiques à la pharmacie atteignent 40 milliards d'euros ou celle à l'automobile 60 milliards. »

/ Les auteurs du rapport soulignent également que « les estimations actuelles de l'économie spatiale mondiale se situent entre 350 et 450 milliards d'euros ; des prévisions indépendantes estiment que sa valeur atteindra 1 000 milliards d'euros avant 2040. » Aussi poursuivent-ils : « L'Europe ne peut évidemment plus se permettre de ne rien faire alors que les Américains, les Chinois, les Russes, et bientôt les Indiens, sont autonomes en matière de vol habité », concluant sans détour : « le coût de l'inaction dépasserait de loin l'investissement nécessaire pour faire de l'Europe un acteur spatial fort et indépendant ».

/ Les auteurs du rapport insistent enfin sur un changement de méthode de l'ESA, soulignant la nécessité de la compétition et de l'investissement privé : « L'ESA ne doit plus distribuer le travail entre les sociétés européennes, selon des critères de retour géographique (redistribuer aux industries des Etats contributeurs à concurrence des sommes engagées), mais lancer des appels d'offres ouverts (ndlr notamment au privé) à l'image de ce que fait la Nasa. »

Que de temps perdu sur des maux qui ont été très souvent dénoncés par de nombreux experts et spécialistes de l'industrie spatiale depuis une dizaine d'années.

Plus que jamais et comme l'a souligné le rapport, tant que le public et le privé ne collaboreront pas plus étroitement, tant que le scientifique et la technique feront du spatial leur chasse gardée, tant que les politiques feront passer leurs intérêts nationaux avant le projet européen, nous n'avancerons pas. Le New Space par définition appartient aux entrepreneurs et aux inventifs.

Mais la France et l'Europe sont-elles prêtes à ''favoriser'' un Bezos ou un Musk ?

Il nous reste une fois encore à patienter et à attendre la tenue du prochain conseil européen qui traitera de la question spatiale le 6 novembre à Séville. Et puis comme on aime la réactivité et les choses simples, entre temps, un autre groupe de travail de l'ESA examinera les recommandations du rapport pour préparer le prochain sommet de l'espace de Séville... Et pendant cela, le temps passe !

La Tribune organise son Space Forum le jeudi 11 mai à La Cité de l'Espace de Toulouse.

Pour vous inscrire cliquez ici.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 10/05/2023 à 23:40
Signaler
C'est amusant de constater que l'article en question ne donne en rien les arguments pour le vol habité en lui même alors que c'est la question à se poser en premier avant de savoir si l'Europe doit être autonome ou pas...

à écrit le 09/05/2023 à 14:36
Signaler
et la part de rêve, d'unité européenne, les jeunes ont besoin de rêver, d'être fiers d'être européens et la fascination de l'espace, de l'aventure spatiale représentent un bien faible investissement au regard des retombées sur l'appartenance à l'Euro...

à écrit le 09/05/2023 à 14:28
Signaler
Les vols habités sont, jusqu'à preuve du contraire, parfaitement inutiles. La décision de l'ESA d'investir sur les missions automatisées et robotiques est parfaitement rationnelle. Au lieu de dépenser des fortunes pour envoyer quelques kilos de viand...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.