Petites et grandes révolutions dans le monde du vin

La filière cherche comment répondre aux contraintes climatiques et aux nouvelles attentes des consommateurs et, pour cela, elle sait se montrer innovante. Interview de Paul Fabre, directeur de l'Interprofession des vins du sud-ouest (IVSO).
Paul Fabre, directeur de l'Interprofession des vins du sud-ouest (IVSO)
Paul Fabre, directeur de l'Interprofession des vins du sud-ouest (IVSO) (Crédits : P. Poupart)

LA TRIBUNE : Comment va la filière viticole française ?

PAUL FABRE : C'est une filière sous contraintes, qui ressent la pression de changements profonds. Elle est au croisement de plusieurs transitions : sociétale, climatique, environnementale, économique, technologique, numérique... La viticulture française change, nous sommes très loin des images d'Épinal souvent véhiculées sur le secteur, avec d'un côté un viticulteur accompagné de son cheval et de l'autre un consommateur qui ouvre sa bouteille de vin rouge AOP pour le repas du dimanche. Tant les pratiques culturales que les modes de consommation sont en mutation. La filière cherche comment répondre aux contraintes climatiques et aux nouvelles attentes des consommateurs et, pour cela, elle sait se montrer innovante.

LT : On ne consomme donc plus le vin comme nous le faisions il y a quelques années. Quelles sont les nouvelles habitudes ?

P.F : Les évolutions sont générationnelles. Les consommateurs ayant une vision du vin quelque peu sacralisée et une consommation quotidienne sont en train de disparaître, notamment dans les pays traditionnels du vin, comme la France, l'Espagne et l'Italie. La consommation est plus éclatée : on boit du vin à l'apéritif, pour le brunch... Les habitudes d'achat changent aussi, avec la montée du e-commerce, l'importance des conseils en ligne - la viticulture fait donc aussi sa mutation numérique. La filière doit faire face à la concurrence de la bière, qui joue sur les codes du vin en travaillant son storytelling et son enracinement local. Enfin, le type de vin recherché est différent : plus frais, avec le blanc et le rosé, et une véritable recherche de qualité.

LT : Qu'entendez-vous par qualité ?

P.F : Au-delà d'une qualité générique, chacun a ses propres critères de qualité. Pour certains, cela va porter sur l'origine, sur le cépage, sur l'histoire du terroir ou du vigneron, pour d'autres sur les méthodes de production, la recherche de vins bios ou naturels, le sans sulfite ou intrants... De manière générale, on remarque l'émergence d'une démarche citoyenne dans le choix du vin. La recherche de qualité s'observe aussi dans le prix moyen des bouteilles achetées en ligne, autour de 10 €.

LT : Revenons aux nouveaux modes de consommation : comment le monde de la viticulture s'y adapte-t-il ?

P.F : Il y a beaucoup d'innovations actuellement et donc de nouvelles propositions. Ainsi, face à la recherche de vins moins forts en alcool, certains proposent des vins plus légers, comme Tariquet ou Plaimont, qui ont un vin à 9,5 %, obtenu de manière naturelle. Un important travail est aussi fait sur le packaging. On voit apparaître du vin en canette, un contenant plus solide, qui conserve la fraîcheur et les arômes. Des producteurs proposent par exemple du rosé dans ce format. Dans une logique environnementale, certains travaillent également sur des bouteilles en chanvre.

Un autre point important est l'attachement des viticulteurs à la préservation de l'environnement, qui entre en résonance avec les attentes de la société. De nombreux labels permettent d'identifier ces démarches vertueuses, citons le label HVE, pour haute valeur environnementale. Au-delà des cas particuliers, ce qui est important à relever, c'est l'envie d'innover dans toute la filière.

LT : Est-ce que le réchauffement climatique affecte les vignobles du Sud-Ouest ?

P.F : Notre territoire est pris entre les Pyrénées et le Massif central, remonte jusqu'en Dordogne, tout en ayant une façade Atlantique. Nous bénéficions donc d'une grande humidité, ce qui fait de nous le berceau de la vigne. Néanmoins, nous avons une forte hétérogénéité de territoires et les vignerons sont affectés par le changement climatique de manière différente en fonction de leur localisation. Certains font face à du gel ou des pluies tardives, d'autres à de la sécheresse, mais tous perçoivent au quotidien les effets de ce dérèglement, avec la survenue accrue d'événements extrêmes.

LT : Quels sont vos moyens d'action face à ces dérèglements ?

P.F : Des recherches sont menées au sein du projet national LACCAVE, qui regroupe des chercheurs de l'INRA et des laboratoires associés. Nous menons également des initiatives locales, avec les vignerons du Sud-Ouest. Avec l'Institut Français de la Vigne et du Vin Pôle Sud-Ouest, nous cartographions les effets du changement climatique par terroir car ils changent beaucoup en quelques kilomètres seulement. Nous avons aussi lancé une recherche des cépages disparus ou abandonnés, sous forme de jeu. Chacun pouvait envoyer la photo d'un cépage découvert dans son jardin ou au cours d'une promenade et, s'il n'était pas répertorié, gagnait un cadeau. Ces cépages anciens ont des vertus, tel Le Tardif, abandonné à cause de sa production plus tardive, ce qui est désormais un avantage. Sans oublier que ces cépages sont autochtones, ils permettent de conserver tout ce qui fait le goût et le caractère des vins du Sud-Ouest. Le changement climatique nous pousse aussi à modifier nos pratiques culturales : lieu de plantation, taille des vignes...

LT : La technologie peut-elle apporter des solutions ?

P.F : Bien sûr, elle joue d'ailleurs un rôle fondamental dans le Sud-Ouest, car nous avons des échanges nourris avec l'industrie aérospatiale basée à Toulouse. Grâce à cela, les vignerons bénéficient par exemple de machines capables de tailler les vignes et cautériser les petites coupures, ce qui évite les maladies. Ces machines prélèvent également des échantillons dans les sols tout en travaillant. La vigne, c'est aussi l'analyse de la data ! D'ailleurs, un véritable écosystème tech se développe autour du vin, avec la Wine Tech française qui regroupe plus de 35 start-ups. Je pense aussi à l'entreprise Naïo Technologies, basée à côté de Toulouse, qui réalise un formidable travail en utilisant la robotisation et l'intelligence artificielle. Face à de fortes contraintes, la filière viticole est donc innovante, et surtout en pleine transformation.

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