Comment la France peut-elle retrouver sa souveraineté en matière de santé ?

Le fiasco autour des masques et les ruptures de stocks sur certains médicaments pendant la pandémie ont mis en évidence les lacunes de la France en matière de souveraineté pour les produits de santé. Pourtant, ce décrochage n'a rien d'inéluctable a assuré le président du G5 santé à l'occasion du Campus santé d'été organisé par la Tribune. Mais pour regagner en indépendance, la France devra mettre la main au porte-monnaie.
La pandémie a remis au coeur des débats la question de la souveraineté de la France et de l'Europe en matière de santé.
La pandémie a remis au coeur des débats la question de la souveraineté de la France et de l'Europe en matière de santé. (Crédits : Rémi Benoit)

"Les Français, les Européens, ont découvert avec cette pandémie que finalement, leur santé dépendait de produits, qu'ils soient des médicaments ou de certaines technologies, fabriqués dans des pays tiers. Et que finalement, leur santé était mise en danger", rappelle l'ancienne députée européenne Françoise Grossetête, à l'occasion du 3e campus santé d'été organisé ce jeudi 17 juin par La Tribune.

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La France passée de la 1ère à la 4e place pour la production de médicaments

Entre la pénurie de masques et de tests, les ruptures de stocks sur certains médicaments, les exemples n'ont pas manqué depuis le début de crise sanitaire pour mettre en évidence les lacunes de la France en matière de souveraineté pour les produits de santé. Pourtant, les industriels avaient tiré la sonnette d'alarme depuis plusieurs années. Didier Véron est président du G5 Santé, un cercle de réflexion qui rassemble les dirigeants de huit entreprises françaises de santé (bioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier et Théa).

"La France décroche et plusieurs raisons peuvent l'expliquer. La première que le G5 Santé a mis en évidence dès 2019 est la fragilité de l'ensemble de la chaîne de valeur des industries de santé qui repose sur une régulation très forte sur les produits de santé depuis dix ans. La France était le premier producteur de médicaments il y a encore dix ans et nous sommes passés à la quatrième place. De 2005 à 2015, la part de marché mondiale en matière de production a été divisée par deux. Et tout ça parce qu'effectivement, il y a une régulation très forte sur le prix du médicament qui sont en France parmi les plus bas d'Europe.

Du coup, l'outil industriel part dans les pays à bas coûts. La pandémie a permis une prise de conscience au plus haut niveau de l'État du décrochage de la France et de la nécessité de renforcer notre indépendance sanitaire", analyse-t-il.

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Didier Véron est président du G5 Santé (Crédits : Rémi Benoit).

La dépendance de la France en matière de produits de santé a également impacté les chercheurs. "Pour effectuer nos missions de recherche, nous utilisons beaucoup de produits venant d'Inde ou de Chine. Et à l'heure actuelle, nous sommes terriblement impactés", fait savoir Nathalie Vergnolle, directrice de l'institut de recherche digestive à l'Inserm.

Mais pour Didier Véron, ce décrochage n'a rien d'inéluctable. "Il n'est jamais trop tard", insiste-t-il. Avant de citer l'exemple des membre du G5 Santé qui ont maintenu leur outil industriel en France, soit 52 usines et 20.000 emplois.

Recréer une supply chain française

Également membre du G5 Santé, le groupe Pierre Fabre met en avant qu'il faudrait toutefois mettre la main au portefeuille pour regagner en souveraineté.

"C'est toute une chaîne qu'il faut reconstruire. On parle de supply chain où il suffit d'un maillon faible pour affaiblir l'ensemble. Il est possible de produire un médicament en France mais si la plupart des composants viennent d'Inde, de Chine ou des Etats-Unis, le résultat sera le même. Nous sommes confrontés à d'énormes difficultés parce qu'une partie de la chimie n'est plus en France mais est partie en Asie. Il faudra déployer de grands moyens pour ramener cette filière dans l'Hexagone. D'après une étude du G5 Santé, il faudrait un milliard d'euros d'investissements pour réduire de près de 90% ce risque de sourcing extérieur", indique Vincent Huraux, directeur général des opérations du groupe Pierre Fabre.

Avant d'ajouter : "Produire localement aura un coût plus élevé que de produire en Chine ou en Inde. Si l'on veut faire revenir la filière chimie, cela représente un surcoût de 3 à 30% environ selon les secteurs. Et c'est là où on a besoin d'une politique économique cohérente entre le ministère de l'Industrie et de la Santé. Si les prix des médicaments baissent régulièrement, nous ne pourrons pas affronter ces surcoûts."

Le président du G5 Santé pointe de son côté l'écart des moyens déployés outre-Atlantique. "Le gouvernement américain a déployé près de 10 milliards de dollars pour développer, produire des vaccins. La France n'a pas ces moyens. Au niveau européen, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a annoncé en septembre 2020 vouloir se doter d'une nouvelle autorité, baptisée Hera (Health Emergency Response Authority), une Barda à l'européenne, cette autorité américaine pour la R & D avancée dans le domaine biomédical. Mais cette agence ne sera opérationnelle qu'en 2023 alors qu'il y a urgence et qu'il faut trouver des financements massifs", regrette Didier Véron. 

L'ancienne députée européenne Françoise Grossetête peut comprendre cette frustration. "Mais il faut bien comprendre que l'Europe, ce ne sont pas les Etats-Unis. L'Europe, c'est 27 Etats membres qui sont souverains et qu'il faut que nous ayons 27 ministres de la Santé qui se mettent d'accord ensemble", rappelle-t-elle.

La responsable politique appelle de ses voeux un changement de doctrine. "Pendant très longtemps nous avons considéré la santé comme un problème de comptabilité parce que cela creuse sans cesse les déficits. Mais nous avons oublié ce que la santé représentait au niveau économique. Avoir une population en bonne santé représente un atout majeur pour la bonne santé d'un pays", conclut-elle.

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L'ancienne députée européenne Françoise Grossetête (Crédits : Rémi Benoit).

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