Guerre en Ukraine : les PME d'Occitanie dans une situation financière "difficilement supportable"

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a des conséquences sur toutes les entreprises qui possèdent des activités dans ces deux pays ou qui font affaire avec leur différents marchés. En Occitanie, des impacts sont déjà visibles dans certains secteurs comme le BTP ou l'aéronautique en terme de pénurie et de renchérissement des matières premières. Samuel Cette, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Occitanie fait part des inquiétudes des chefs d'entreprises, membres de la CPME, et touchés, de près ou de loin, par les répercussions de la guerre en Ukraine. Interview.
Samuel Cette est le président de la CPME Occitanie depuis 2019.
Samuel Cette est le président de la CPME Occitanie depuis 2019. (Crédits : Rémi Benoit)

LA TRIBUNE - Depuis une vingtaine de jours, la guerre en Ukraine fait rage et a pour conséquence une crise économique aux multiples facettes. Dans quel état d'esprit se trouvent les PME d'Occitanie face à cette crise ?

SAMUEL CETTE - Il y avait déjà une crise avant, bien évidemment sans commune mesure d'un point de vue des pertes humaines. Les entreprises étaient encore dans la crise sanitaire et ceci n'est qu'une couche supplémentaire, épaisse. Je ne considère pas qu'il y a une crise depuis une vingtaine de jours, mais depuis deux ans. Les entreprises étaient en train de reprendre une activité, nous avions des perspectives avec la levée du pass vaccinal, du port du masque et de tout ce qui nous permettait de pouvoir envisager une reprise, notamment sur les métiers de l'hôtellerie et de la restauration. Cette crise internationale vient augmenter les difficultés que nous avions déjà. Premièrement, sur notre capacité d'approvisionnement. Deuxièmement, sur le renchérissement du coût de cet approvisionnement. Et enfin, sur la raréfaction qui génère une inflation sans que nous puissions nous assurer d'un développement de notre activité. Cela risque de devenir difficilement insupportable financièrement. D'un point de vue général, il y a une forme d'inquiétude.

Nous pensions être autour de trois, quatre voire parfois cinq points de progression du PIB, mais les dernières mises à jour laissent apparaître trois voire une baisse à deux points selon certains économistes. Les entreprises ont bien évidement été soutenues d'un point de vue de la trésorerie, mais travailler sur la trésorerie sans travailler sur la marge, est quelque chose qui est létal à court terme.

Lire aussi 6 mnGuerre en Ukraine : le MIN Toulouse Occitanie centralise les dons pour les réfugiés

Quels sont les premiers secteurs d'activité impactés par ce nouveau coup dur ?

Dans l'agroalimentaire, certaines entreprises sont dépendantes de l'Ukraine. Beaucoup de structures sont concernées par le renchérissement des matières premières, à condition qu'il y ait la possibilité d'acheter encore. Certains produits sont désormais totalement inaccessibles. Le bâtiment subit cela de plein fouet, l'aéronautique n'arrive plus à se procurer certains métaux rares et des métaux dits d'alliage, etc. Derrière, il y a un effet domino, puisque lorsque les donneurs d'ordres ont des difficultés d'approvisionnement, cela veut dire que la sous-traitance n'est plus en capacité de pouvoir fournir ses services. Il y a une interconnexion permanente entre les grandes et les petites entreprises et entre les secteurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est un peu tôt pour mesurer l'étendue des dégâts. Nous avons évidemment commencé à sonder les entreprises, notamment du secteur agroalimentaire qui n'ont plus de réassort. Là, c'est clair, il y a un arrêt net de l'activité.

D'un point de vue général, la crise impacte les entreprises qui sont dans une situation financière très délicate et donc assez peu résilientes face aux difficultés qui se présentent. Certaines ont commencé à rembourser, au cours de ce mois-ci, leur prêt garanti par l'Etat (PGE). De plus, il ne faut pas réduire l'endettement des entreprises au PGE. Il existe également des reports de charges sociales dans des proportions importantes, jusqu'à trois ans parfois, qu'il va falloir commencer à payer. Enfin, l'année présidentielle est assez peu propice aux dépenses en général.

Lire aussi 4 mnGuerre en Ukraine : la startup toulousaine Limatech perd son investisseur russe

Les décisions actuelles et futures du gouvernement russe vis-à-vis de l'Europe auront-elles aussi un effet sur les PME d'Occitanie ?

La dépendance de la Russie est beaucoup plus rare. Il y a finalement assez peu d'entreprises qui travaillaient directement avec la Russie. Nous en avons déterminé environ 500 PME dans toute la France et environ une trentaine en Occitanie.

À contrario, quels secteurs d'activité pourraient profiter cette crise ?

L'objet initial d'une entreprise est de créer de la richesse dans la mesure où elle n'est pas à l'origine du conflit. Les sociétés qui auront accès à des ressources par d'autres biais que ceux de l'Ukraine ou de la Russie et qui seront en capacité de répondre à une forte demande pourrons en profiter. Elles se retrouveront avec du stock et auront un âge d'or de quelques semaines. Quant à la fourniture de services et de produits, il y aura une limitation dans le temps puisque la crise est mondiale en termes d'approvisionnement. Ensuite, il y a, comme durant la crise du Covid, des entreprises qui ont sauront proposer des offres. Par exemple, est-ce l'on considère que l'entreprise américaine Zoom a profité à proprement parler du Covid ? Non, elle a proposé un service à un moment où les gens en avaient besoin.

Certains pourrons en profiter, mais il y a une sentiment général où tout le monde sait qu'il va y quelque chose. Contrairement à la période Covid, où des activités ont bénéficié de la chose et les gens étaient résilients, là, c'est quand même beaucoup. Par exemple, à Toulouse, en centre-ville, les commerces ont eu droit à deux ans de gilets jaunes, des manifestations sur la réforme des retraites, le Covid et cette crise.

La CPME Occitanie a mis en place "un point de contact" pour identifier, appuyer et relayer les difficultés spécifiques des sociétés inquiétées et touchées par la guerre en Ukraine, quelles autres aides existent ?

Nous avons un groupe structurel qui existe en région et dans chaque département pour une plus grande proximité, le Groupe d'action et de soutien (GAS), et qui est composé d'avocats, d'experts comptables, d'experts financiers, d'assureurs et de tout ce dont une entreprise peut avoir besoin en cas d'urgence. Nous avons élargi cette commission à d'autres prestations de premier conseil. L'idée est de guider nos chefs d'entreprise. Aujourd'hui en Occitanie, 95 % des entreprises ont moins de 10 salariés et 98,6 % en ont moins de 50. Cela veut dire que lorsque nous parlons de l'entrepreneuriat en France, nous parlons de petites boites qui ne sont pas toujours parfaitement structurées pour faire face à ce dédale kafkaïen qu'est l'administration française.

De quoi avez-vous besoin pour maintenir les activités économiques durant cette période et minimiser les dégâts ?

Nous avons eu le droit durant la crise du Covid à un formidable soutien du gouvernement. Il y a eu une aide massive, mais sous forme de prêt (PGE). Depuis maintenant de longs mois, la CPME milite pour une modification de la maturité des PGE, c'est-à-dire la durée de remboursement, qui est de six ans dont un an de rapport, soit cinq années d'amortissement au maximum. Je pense qu'il n'est décemment pas possible lorsque nous avons en Occitanie des entreprises qui ont 30 % en moyenne de valeur ajoutée, de rembourser 25 % du chiffre d'affaires en cinq ans. Nous souhaitons une modification de la maturité des PGE de huit ou dix ans.

Nous pensions avoir été entendus parce que ceci a été proposé par le gouvernement, mais dans des modalités et des conditions qui sont très décevantes. Ainsi, pour pouvoir bénéficier d'un report ou d'une modification de la maturité (du PGE) de huit ans ou dix ans, il faut faire une déclaration rappelant que nous sommes dans l'incapacité de rembourser. C'est quasiment une déclaration de cessation de paiement, ce qui obère sur deux ou trois années à venir la capacité d'endettement de l'entreprise. Or, nous savons très bien que si une activité est viable, elle peut être la plus rentable du monde, mais si elle fait face à des difficultés externes, elle disparaîtra si elle n'a pas le support et le soutien financier pour relancer son activité.

Ensuite et deuxièmement, il faut que nous jouions notre rôle de lanceur d'alerte au cas où une entreprise qui serait porteuse en termes de salariat et de développement de certains territoires soit soignée et puisse se repositionner si jamais elle était trop dépendante.

Souvent, on dit des entrepreneurs qu'ils sont résiliants, mais en réalité, ils font face car ils n'ont d'autres choix.

Lire aussi 4 mnÀ Toulouse, la ZFE "soulève de vives inquiétudes" au sein des entreprises

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.