Aéronautique : "La réflexion autour de la consolidation n'a jamais été aussi intense"

INTERVIEW. Un an après le début de la plus grave crise de son histoire, la filière aéronautique est en pleine recomposition. Airbus a amorcé une réorganisation industrielle pour se recentrer sur les activités-clés pour préparer l'avion du futur. Chez les PME et les ETI de la supply chain, l'heure est à la consolidation pour atteindre la taille suffisante pour résister à la nouvelle donne du marché. Dans un entretien à La Tribune, David Corceiro, président du cabinet ACDC Partners, éclaire les dilemmes auxquels sont actuellement confrontés les dirigeants aéronautiques.
David Corceiro, président d'ACDC Partners.
David Corceiro, président d'ACDC Partners. (Crédits : ACDC Partners // La Tribune - Rémi Benoit)

Lancé en 2014, le cabinet toulousain de conseil ACDC Partners a la particularité d'avoir été fondé par huit experts passés par les plus grandes entreprises aéronautiques (Rockwell Collins France, Liebherr, Thales Alenia Space, Airbus, Air France Industries, Bureau Veritas, Aeroconseil...). À sa tête, David Corceiro a été lui même directeur financier pendant dix ans chez Safran avant de devenir directeur général France d'Akka. La structure a accompagné l'an dernier une quarantaine de PME et d'ETI.

LA TRIBUNE - Face à l'ampleur de la crise, les grands donneurs d'ordre de la filière aéronautique ont appelé de leurs voeux une consolidation accrue de la supply chain. Après un frémissement à la fin de l'été dernier, période pendant laquelle Figeac Aero s'est dit prêt à une fusion, ce mouvement de consolidation semble à l'arrêt dans l'attente d'une reprise de l'activité. Est-ce votre sentiment également ?

DAVID CORCEIRO - Pas du tout, je ne partage pas tout à fait la vision de certains confrères en banque d'affaires qui disent qu'aujourd'hui que tout est gelé puisque les valorisations sont faibles. De notre côté, nous accompagnons les entreprises très en amont dans le processus de redéfinition de la stratégie, et je peux vous dire que la réflexion autour de la consolidation n'a jamais été aussi intense. Les chefs d'entreprise sont prêts et dès qu'un grand acteur va ouvrir le bal, un effet domino va s'enclencher auprès de toutes les entreprises.

Votre cabinet accompagne plutôt les PME et les ETI de la supply chain. Quels sont les dilemmes auxquels sont confrontés les dirigeants de ces entreprises ?

Il existe plusieurs cas de figure. Certaines entreprises sont dans de telles difficultés financières qu'elles se retrouvent à la barre du tribunal de commerce. Elles peuvent devenir la cible d'acteurs pris d'une boulimie d'acquisitions, qui sont capables d'acquérir sept à dix petites entreprises par an. Ce sont souvent des anciens dirigeants de grands groupes aéronautiques qui ont le réseau, qui sont identifiés comme étant des acquéreurs d'entreprises en mauvaise posture. Ils sont capables de payer un peu plus que nécessaire le prix parce que l'enjeu n'est pas là. L'objectif est de faire du chiffre d'affaires, de consolider un portefeuille de clients avec un outil industriel potentiellement hétéroclite et de rationaliser pour essayer de créer un nouvel ensemble dans l'espoir de le revendre. Ce sont des stratégies très financières, dans lesquelles il ne faut pas s'attendre à l'arrivée d'un chevalier blanc pour sauver la boîte.

Heureusement, il existe aussi de belles histoires et nous en avons accompagné quelques unes dans le Sud-Ouest en écrivant une nouvelle stratégie avec le soutien d'un grand donneur d'ordre. Dans ce cas de figure, il n'est pas question d'une logique de prédation financière mais d'une démarche de co-construction avec des clients. Pour préparer au mieux les dirigeants, nous organisons par exemple avec le club d'entreprises Normandie Aerospace des sessions individualisées de sensibilisation sur la thématique de la consolidation ou de l'export.

Airbus a amorcé une réorganisation de son système industriel pour préparer l'avion du futur en se rapprochant notamment de ses filiales d'aérostructures, jugées essentielles. Est-ce que cela renforce le mouvement de consolidation ?

Le choix d'Airbus de réinternaliser certains métiers aura des répercussions fortes pour les grands acteurs, les fournisseurs de rang 1 comme Nexteam, Mecachrome ou Figeac Aéro. Ces derniers vont devoir prendre un virage pour atteindre une taille critique. Le dilemme aujourd'hui pour les sociétés plus petites, qui réalisent entre 25 et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires, est de savoir si elles créent un champion, un sous-traitant de rang 2, en se regroupant avec d'autres petites sociétés pour former un ensemble qui pèse 50 à 100 millions d'euros. La deuxième option qui s'offre à elles est de rejoindre un acteur de rang 1 pour lui permettre d'atteindre plus rapidement une taille critique. Les valorisations sont très fortes autour des PME, c'est très facile pour elles de se vendre à un groupe. Tous nos clients qui font plus de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires ont été appelés. Un dernier enjeu se situe au niveau des très petites entreprises, qui avoisinent les 10 millions d'euros de chiffre d'affaires (voire moins) et qui ne sont pas du tout structurées. Il existe toute une série de sociétés hyperspécialisées dans la tôlerie, la mécanique ou l'usinage qui sont en sursis. Les barrières à l'entrée sont plutôt faibles encore. Et avec le mouvement de consolidation, ces entreprises sont en danger.

Une première vague de plan sociaux a été engagée mais elle reste assez modérée au vu de l'ampleur de la crise. Etes-vous inquiet sur l'avenir de la filière ?

Je n'ai pas d'inquiétude sur l'avenir du secteur. L'activité a baissé très fortement et durablement. Mais s'il n'y a pas eu plus d'entreprises en faillite, c'est parce que l'industrie aéronautique et spatiale, secteur d'excellence en France, a bénéficié d'un soutien extraordinaire aux entreprises. Les PGE (prêts garantis par l'Etat) ont permis de répondre tout de suite aux besoins de trésorerie à court terme des sociétés. Le programme de relance a accordé des niveaux de subventions que je n'ai jamais connus en 25 ans d'expérience. Aujourd'hui, il existe des programmes pour les entreprises qui veulent se relancer,  se moderniser, se restructurer avec des taux de subvention allant jusqu'à 80%. La question qui se pose maintenant est de recréer de la valeur. Actuellement, toutes les aides à rembourser cumulées peuvent représenter jusqu'à 100% de la valeur d'une entreprise.

La question de la très forte dépendance de certaines sociétés à un seul donneur d'ordre a été remise en lumière avec la crise. L'une des pistes avancées est la diversification. Est-ce qu'il existe véritablement des opportunités en la matière ?

Aujourd'hui, les fournisseurs sont tellement éclatés, de petite taille qu'ils sont déjà très dépendants d'un acteur aéronautique. Et même, nous remarquons que les fournisseurs d'Airbus Helicopters ne travaillent pas forcément pour Airbus Commercial Aircraft. Un premier niveau de diversification peut être introduit déjà au sein de l'aéronautique. Ensuite, évidemment le secteur de la défense constitue un rempart et toutes les entreprises duales (aéro / défense) ont pu bénéficier de cet amortisseur extraordinaire. Nous étudions également le potentiel de développement dans le ferroviaire, l'automobile, le médical, etc. Mais d'après notre expérience, les passerelles sont difficiles à mettre en oeuvre. Les attentes de prix ne sont pas les mêmes. Les contraintes réglementaires n'ont plus. En revanche, certaines entreprises parviennent à tirer leur épingle du jeu sur des métiers très techniques comme par exemple l'oil and gas. Cela fonctionne bien parce qu'il s'agit d'une typologie de pièces qui se ressemblent, positionnées sur des prix assez élevés.

Il existe donc des passerelles. Mais pour une entreprise, le chemin de la diversification est long. Ce n'est pas la réponse à la crise à court-terme. C'est plutôt une réflexion stratégique de deux à cinq ans. Tout en sachant que la concurrence est déjà féroce et que l'entreprise doit pouvoir apporter quelque chose de différenciant.

Quid de la diversification à l'étranger ?

La diversification géographique peut être une opportunité pour s'approcher des marchés dynamiques, en l'occurrence les Etats-Unis (qui ont notamment une très forte activité de défense) et la Chine (où l'activité est supérieure au niveau d'avant-crise). En  revanche, il faut être préparé pour affronter ces marchés. Pour une entreprise qui fait moins de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, un bon diagnostic s'impose. Il faut se sentir fort d'abord chez soi avant d'aller à la conquête de l'étranger. D'autant que c'est un projet extrêmement chronophage.

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Commentaire 1
à écrit le 29/04/2021 à 11:58
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"je peux vous dire que la réflexion autour de la consolidation n'a jamais été aussi intense. " On en est certain mais sinon c'est payé combien svp de réfléchir intensément sur la consolidation ? On postule où ?

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