
"Pour certains, l'aéronautique c'était toute leur vie. Et d'un seul coup, on leur dit maintenant, c'est terminé, tu vas faire autre chose. Il faut leur redonner confiance pour bâtir à partir de leurs connaissances un nouveau socle, de nouvelles compétences et avoir toujours la possibilité de revenir dans l'aéronautique au moment où ça redémarrera", avance Anne Destouches, déléguée régionale du Syntec Numérique en Occitanie et par ailleurs responsable du développement de la reconversion au sein de l'organisme de formation Vaelia.
Un an après le début de la crise sanitaire, la région toulousaine est toujours durement impactée par le coup d'arrêt porté à la filière aéronautique. D'après une étude de l'Insee, la filière aéronautique a perdu 4.900 emplois en Haute-Garonne en 2020. Même si de nouveaux plans sociaux sont à craindre en 2021, le pire a pour l'instant été évité grâce aux nombreux dispositifs de soutien à l'économie : chômage partiel, APLD, prêts garantis par l'Etat... Sans compter le plan Ader exceptionnel de 100 millions d'euros de la Région Occitanie. En attendant la remontée des cadences d'Airbus, les entreprises s'organisent pour que leurs collaborateurs ne perdent pas leurs compétences voire en acquièrent de nouvelles.
Speed dating avec Airbus
Le Syntec Numérique a ainsi initié au mois de septembre 2020 un speed-dating durant lequel dix sociétés (dont Akka, Alten et CapGemini) ont présenté à Airbus une centaine de projets qui pourraient entrer dans le cadre des fonds Corac pour l'avion décarboné ou être déterminant en matière d'innovation. Depuis l'effondrement du trafic aérien, l'avionneur a arrêté ou reporté la grande majorité des projets portés par les sociétés d'ingénierie. L'idée est que les sous-traitants financent en fonds propres certaines missions à condition que le donneur d'ordre s'engage à les reprendre d'ici un à trois ans au moment de la reprise d'activité. "Au terme du speed dating, Airbus a choisi 30 projets présentés par sept entreprises. Cela représente 500 années /homme, grosso modo 500 emplois sur une année", indique Anne Destouches. Certains projets ont repris dès le mois de novembre, avec des échéances de règlement décalées de seulement quelques mois.
Diversification amorcée
Autre piste engagée au sein de la filière : se diversifier pour trouver de nouveaux marchés et devenir moins dépendant de l'aéronautique. Dans cet esprit, Altran a transféré 2.000 salariés de Blagnac vers une nouvelle entité baptisée Toulouse Engineering Center (TEC). « L'enjeu de ce projet est de maintenir les compétences des ingénieurs en aéronautique et de mettre leur expertise au service d'autres secteurs comme le ferroviaire, le spatial, le naval ou encore l'énergie, à l'échelle mondiale. Altran soutient la création de ce centre par un important plan de formation de ses équipes et l'investissement dans des programmes de recherche de type avion vert, mobilité du futur, ou encore ingénierie numérique", précise le groupe.
Altran a annoncé au mois de décembre un partenariat avec la startup californienne Hyperloop TT. 100 ingénieurs toulousains vont contribuer pendant près de deux ans à accélérer son projet de train du futur.
Dans les usines aussi, la diversification est enclenchée. Grâce au soutien du programme France Relance (un milliard d'euros déjà engagés en Occitanie), le sous-traitant tarnais Aurock, qui produisait avant la crise des pièces complexes à proximité des réacteurs d'avions pour Airbus, veut ainsi réutiliser ses machines pour fabriquer notamment des meubles haut de gamme. Cette stratégie permet à la PME de 15 salariés de maintenir quatre emplois et va générer le recrutement d'un ou deux commerciaux venus d'autres secteurs cette année.
Entreprises étrangères
Le bureau d'études Altitude Aerospace s'est de son côté associé à la startup toulousaine Staffteam (ex-Staffman) pour créer Coopair, une plateforme RH qui facilite la sous-traitance ou le prêt de salariés de la filière aéronautique vers d'autres secteurs, plus porteurs. "À partir d'un CV ou du dossier de compétences des salariés soumis par une entreprise, nous allons extraire sous forme de mots-clés une liste d'aptitudes acquises par les collaborateurs. Par exemple, un concepteur de structures d'avions peut avoir des connaissances utiles pour fabriquer des pales d'éoliennes", décrit Bastien Vialade, PDG de Staffteam.
En quelques mois, le concept séduit.
"250 profils issus d'une centaine d'entreprises aéronautiques sont disponibles sur Coopair. De l'autre côté, une soixantaine de sociétés qui ont besoin de recruter se sont connectées à notre plateforme. De plus en plus d'entreprises en dehors de la filière aéronautique dans des secteurs comme l'énergie ou l'électronique sont intéressées par les compétences disponibles par les profils issus de l'aéro. 700 transactions entre entreprises ont déjà été réalisées via Coopair", observe Laetitia Chaynes, directrice générale de Altitude Aerospace France.
Et pour son bureau d'études, cette expérience constitue un relais de croissance. "C'est une occasion de pouvoir travailler sur un sujet un peu plus R&D, informatique et de faire travailler nos ingénieurs et techniciens qui n'étaient pas occupés sur un projet innovant", ajoute la dirigeante.
Pour sa part, le Syntec numérique a mis en ligne la plateforme Tesc Force (Technology Engineering Skills Center) pour mettre en valeur les compétences disponibles dans la Ville rose. Avec l'ambition de taper dans l'œil des entreprises étrangères grâce au réseau international des agences d'attractivité (Ad'occ pour la région Occitanie, Invest in Toulouse, Sicoval) et les conseillers au commerce extérieur. De premiers résultats ont été observés avec une quinzaine de mises en relation.
"Il s'agit de fonds d'investissement cherchant à investir dans des entreprises technologiques ou des entreprises cherchant des partenaires commerciaux pour développer leurs propres activités. Nous avons aussi dix entreprises étrangères (Etats-Unis, Québec, Suisse notamment) cherchant des prestataires pour des projets en télétravail", précise Anne Destouches.
L'occasion aussi de lever certains préjugés. La spécialiste de la formation rapporte le témoignage d'une licorne étrangère qui pensait dans un premier temps poser ses valises à Bordeaux "n'ayant pas idée que Toulouse disposait d'ingénieurs hors aéronautique".
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