Suppression de France 4 : "une décision incohérente vu le succès de la chaîne" (TAT)

Le 4 juin dernier, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a annoncé l’arrêt de la diffusion hertzienne de la chaîne jeunesse France 4 au profit d’une offre 100% numérique dans le cadre du vaste chantier de la réforme de l'audiovisuel public. Jean-François Tosti, cofondateur de la société toulousaine TAT Productions, et président de l’Association régionale des producteurs d’animation (Arpanim), revient sur cette "décision hâtive injustifiée" qui "pèse sur toute la filière de l’animation française". Interview.
Jean-François Tosti, cofondateur de la société toulousaine TAT Productions, président de l’Association régionale des producteurs d’animation (Arpanim).

La Tribune : Quelle a été votre réaction face à la décision de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, de supprimer la chaîne France 4 ?

Jean-François Tosti : J'ai été surpris puisque la décision a été prise sans concertation avec les professionnels. La décision était inattendue et incohérente avec la réalité du succès de France 4. La chaîne a réussi en peu de temps, depuis qu'elle a été restructurée en chaîne jeunesse en 2015, à se mettre au niveau du leader Gulli. De plus, sur le service public, c'est le meilleur moyen qu'ont les productions françaises de s'imposer auprès des enfants. C'est une décision qui pèse sur toute la filière de l'animation française qui est une filière d'excellence reconnue dans le monde entier et qui fait briller la France internationalement.

Cette décision n'est donc pas justifiée ?

Il s'agit d'une décision politique bizarroïde dont personne ne comprend les vraies raisons. Le gouvernement a essayé de la justifier plusieurs fois, mais on ne peut pas dire qu'il y ait des arguments très convaincants. Plusieurs députés de la majorité ne sont pas convaincus. D'ailleurs, lorsque Frédérique Dumas (députée des Hauts-de-Seine) a quitté La République en marche, lundi 17 septembre, l'un de ses principaux arguments était le traitement infligé à l'audiovisuel.

Qu'en est-il de l'argument de Françoise Nyssen qui a déclaré qu'"après treize ans d'existence, France 4 réalise une part d'audience de 1,7 %. Seulement 300 000 enfants la regardent" ?

La nouvelle est étayée de fausses informations, de faux chiffres ce qui est quand même assez désespérant. Ce ne sont pas 300 000, mais un million d'enfants qui regardent France 4 chaque jour, soit 5,5 millions par mois ce qui représente plus de la moitié (55%) des enfants français ce qui n'est pas négligeable. C'est une décision qui va à l'inverse de tout ce qui se passe dans les grands pays européens. On nous parle de modernité, mais avec cette décision, on revient en arrière, c'est-à-dire à l'époque où France Télévisions n'avait pas de chaîne pour enfants. Depuis 2015 et qu'elle s'est spécialisée dans la jeunesse, elle fonctionne. Trois ans pour arriver à son niveau de reconnaissance, de succès et de part d'audience (2ème diffuseur de programmes d'animations après Gulli) c'est exceptionnel.

Et que pensez-vous de l'envie de la ministre de la Culture de se calquer sur le modèle de la BBC Three, une chaîne britannique dédiée aux jeunes, qui avait basculé sur le numérique en 2016 ?

Mais ce n'est pas du tout le modèle de la BBC. La BBC a créé une chaîne numérique pour les jeunes adultes et non pas pour les enfants qui s'est vautrée de façon impressionnante. Et pour les enfants, puisqu'il s'agit d'eux ici, la BBC a lancé une deuxième chaîne en plus de celle qu'elle avait déjà. Donc c'est exactement le chemin inverse de celui pris par la BBC.

Le groupe France Télévisions a-t-il les outils numériques et marketings pour une diffusion 100% sur le net de la chaîne France 4 ?

Si France Télévisions va jusqu'au bout, il faudra qu'ils comprennent qu'ils doivent dépenser de l'argent en promotion. Des économies, ils n'en feront pas. Les économies que générera l'arrêt de diffusion de France 4 sont ridiculement basses. On parle quand même de France Télévisions et de l'État français. On n'est pas à quelques millions d'euros près. Il faut quand même arrêter de dire des bêtises. Si financièrement on pouvait nous démontrer réellement que cela a de vrais impacts, on pourrait peut-être écouter les arguments.

Pour l'heure, le calendrier de la réforme n'est pas encore connu du grand public, qu'en est-il de votre côté ?

Ils n'ont pas de calendrier et c'est le propre d'une décision précipitée. Ils ne sont pas prêts puisque la décision a été prise hâtivement. Le passage au numérique se fera, je pense, au plus tôt en 2020.

Qu'est ce que vous redoutez pour la filière de l'animation ?

Nous avons à priori des assurances sur le fait que l'investissement dans la production française du groupe France Télévisions, qui est de 55 millions d'euros tous les deux ans, ne va pas baisser ce qui est rassurant dans un futur extrêmement proche. Après, la réelle problématique est que si ce passage au numérique a lieu, parce qu'on a toujours l'espoir qu'ils reviennent sur leur décision à un moment ou un autre, à long-terme ce sera difficile de garder un tel taux de notoriété, d'audience pour les programmes et par conséquent de conserver cette hauteur d'investissement dans les années à venir.

Le vrai danger que je vois porte sur la création originale où la France excelle dans le monde ainsi que le développement de nouveaux univers. La grande force de la diffusion linéaire (mode de consommation "traditionnel" de la TV dans lequel un programme est regardé au moment de sa diffusion) par rapport à la diffusion non-linéaire (contenu à la demande) est qu'elle capte les enfants. En France, nous avons cette force de savoir créer des propriétés originales comme les As de la jungle ou encore Oggy et les cafards que nous avons réussi à installer dans le coeur des enfants parce qu'on avait une diffusion linéaire. Si on met tout sur internet, c'est-à-dire de la diffusion non-linéaire, les enfants iront systématiquement vers ce qu'ils connaissent déjà au détriment des créations originales.

Quelles sont vos actions en tant que président de l'association régionale des producteurs d'animation (Arpanim) et co-fondateur de la société toulousaine TAT Productions ?

À travers l'Arpanim on essaie de porter le débat auprès des élus locaux en leur expliquant la situation et eux font ensuite le choix de relayer auprès des ministres, de la présidence...

Ensuite, en ce qui concerne TAT Productions nous sommes très investis au niveau du SPFA (Syndicat des producteurs de films d'animation) qui nous représente au niveau national et qui est extrêmement actif auprès du cabinet du Premier ministre, des patrons de chaînes... pour au mieux les faire revenir sur leur décision et au pire les empêcher de faire n'importe quoi au niveau du passage au numérique.

Économiquement, quelles peuvent être les conséquences de cette réforme à terme ?

Si France Télévisions perd de l'audience sur ses programmes jeunesse elle investira moins d'argent et cela aura un impact sur l'emploi au niveau national, c'est mathématique.

À Toulouse y compris ?

Les 250 personnes qu'emploie le secteur existant à Toulouse ne seront pas touchés à court-terme mais à long-terme cela peut arriver. On attend, nous sommes dans l'expectative. Les studios actifs comme nous, ont des marques qui sont installées, des oeuvres qui ont du succès nous savons que nous sommes plus à l'abri. Mais parfois, le succès vient du fait que nous avons eu le temps de s'installer tranquillement à la télévision. Nous ne sommes pas particulièrement inquiets à Toulouse puisqu'en parallèle de cela, il y a des signes positifs qui nous parviennent des collectivités locales qui font que nous sommes dans un moment positif pour la filière. Une politique régionale et métropolitaine est en place afin d'atteindre à moyen terme cinq, six voire sept studios à Toulouse (aujourd'hui trois studios y sont pleinement actifs). De plus, il y a d'autres diffuseurs, le monde change, il y aura d'autres opportunités.

Vous avez parlé d' oeuvres à succès. Le premier film de TAT Productions, Les As de la jungle a fait un carton plein...

Le film a fait un peu plus de 700 000 entrées en France et 2,1 millions à l'étranger où il a été diffusé dans plus de soixante pays, ce qui le place au rang de 4ème film français le plus vu à l'étranger en 2017, tous genres confondus. Il s'agit d'une vraie reconnaissance.

Quelles sont les nouveautés de TAT Productions ?

Pour ce qui est de la série Les As de jungle, la saison trois est en cours de production. Les premiers épisodes seront livrés à partir de mars 2019. Terra Willy, notre prochain film qui sortira également en 2019 est déjà un succès à l'international, alors qu'il n'est pas terminé, puisqu'il est pré-vendu dans une cinquantaine de pays. De plus, on vient de trouver notre distributeur pour le film suivant, Les aventures de Pil, qui est prévu pour 2021 et dont on vient de lancer la pré-production.

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