Fonderie SAM : l'État met la pression sur Renault pour trouver un repreneur

"Inacceptable". Dans un courrier adressé à la direction de Renault le 16 octobre, les ministres de l'Économie, Bruno Le Maire, et de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, avec le soutien des élus locaux, ont dénoncé la gestion du dossier SAM par le constructeur automobile français ces dernières semaines. Placée en liquidation judiciaire, cette fonderie aveyronnaise, qui a pour unique client le groupe français, est dans l'attente d'un repreneur pour éviter la disparition de ce site historique et ses 350 emplois. Selon le gouvernement, Renault semble vouloir trouver seul un repreneur à son sous-traitant, ce qu'il regrette devant l'urgence de la situation... et le contexte politique.
Installée dans l'Aveyron, la fonderie SAM ne fait pas l'objet d'une grande convoitise alors qu'elle attend désespérément un repreneur pour la sauver.
Installée dans l'Aveyron, la fonderie SAM ne fait pas l'objet d'une grande convoitise alors qu'elle attend désespérément un repreneur pour la sauver. (Crédits : Pierrick Merlet)

Déjà fragilisé par le plan social au sein de l'usine Bosch de Rodez, qui va générer la suppression de plusieurs centaines d'emplois industriels, le département de l'Aveyron va-t-il connaître une nouvelle déconvenue sociale dans les semaines à venir ?

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À quelques dizaines de kilomètres seulement de ce premier séisme économique, l'équipementier allemand étant jusqu'alors le premier employeur privé du territoire, le dossier de la fonderie SAM, à Viviez-Decazeville, inquiète au plus haut point. Placée en redressement judiciaire depuis décembre 2019, la fonderie - spécialisée dans la conception et la production de composants en aluminium notamment pour les véhicules électriques et hybrides - est désormais en liquidation judiciaire depuis le 16 septembre, avec une période de poursuite d'activité renouvelable une fois.

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En soi, rien d'alarmant sur le papier, sauf que ce site industriel historique de 350 salariés n'a toujours aucun repreneur intéressé à quelques jours d'une audience décisive au tribunal de commerce de Toulouse, fixée au 22 octobre. Une situation qui pourrait pousser l'instance à prononcer l'arrêt pur et simple de l'activité du site avant même la fin du sursis accordé. Dans ce contexte, Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, ainsi qu'Agnès Pannier-Runacher, la ministre délégué à l'Industrie, ont pris la plume, samedi 16 octobre, pour pousser Renault à trouver activement une solution, appelant même "le groupe à être à la hauteur de ses responsabilités".

"Renault étant la clé de voûte de l'ensemble de ces négociations, nous vous demandons formellement de convaincre tout repreneur financièrement et industriellement solide de déposer une offre de reprise pérenne pour Jinjiang SAM, avant ou plus proche de l'audience du 22 octobre prochain du tribunal de commerce de Toulouse, et en tout état de cause avant le 10 décembre 2021, fin de la période des trois mois de poursuite des activités", écrivent les deux ministres à l'attention de Jean-Dominique Senard, le président de Renault et son directeur général Luca De Meo.

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Renault, acteur central du dossier

Bien que cordial, le ton de ce courrier - que La Tribune s'est procuré - se révèle surtout assez offensif à l'égard des deux dirigeants du constructeur français, dont l'État est d'ailleurs au capital à hauteur d'environ 15%. Le lien entre le constructeur au losange et la fonderie aveyronnaise ? Le premier est l'unique client du second et c'est grâce au premier que le second a obtenu la poursuite d'activité auprès du tribunal de commerce de Toulouse, un mois plus tôt. Le constructeur français finance chaque mois les pertes d'exploitation du site estimées à un million d'euros mensuel. De plus, Renault s'est engagé à aider le prochain repreneur de son fournisseur en apportant plusieurs millions d'euros de commandes supplémentaires pour le site aveyronnais.

Bien que le gouvernement salue ces efforts de l'industriel automobile, le duo de ministres ne manque pas de rappeler qu'il est aussi responsable de la situation dans laquelle se trouve la SAM aujourd'hui.

"Renault s'est engagé, dans le cadre du plan de soutien à la filière automobile en 2020, comme dans le comité stratégique de filière en 2021, à conforter sa production industrielle en France, ainsi qu'à être exemplaire dans la relation donneur d'ordre - sous-traitants.

À cet égard, la situation de la fonderie Jinjiang SAM à Viviez dans l'Aveyron et de ses 350 salariés est particulièrement préoccupante. Nous ne reviendrons pas sur le choix de Jinjiang qui a été fait par votre groupe, contre nos recommandations, il y a quelques années et qui s'est avéré un actionnaire défaillant du début à la fin de sa gestion", rappellent Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher.

Pour mémoire, cet investisseur chinois avait sorti la fonderie de Decazeville d'un premier redressement judiciaire au milieu des années 2010. Seulement, ne respectant pas les engagements économiques et sociaux pris auprès du tribunal de commerce, les administrateurs judiciaires n'avaient pas hésité à l'époque à reprendre le contrôle de l'entreprise, avant de la replacer à nouveau en redressement judiciaire.

Pourtant, le gouvernement n'est peut-être pas non vierge de tout reproche dans le dossier SAM, bien qu'il soit investi dans celui-ci. Après l'audit d'un cabinet indépendant, c'est en grande partie Bercy qui a écarté deux offres de reprise, à savoir de Sifa Technologies, filiale du groupe Alty, et du groupe lyonnais Trinquier, deux fonderies spécialistes de l'aluminium.

"Mon offre avait des conditions suspensives, comme l'obtention d'un prêt de l'État de sept millions d'euros en l'échange de la reprise de 250 salariés, en plus du million d'euros en fonds propres que j'apportais. J'étais prêt à y aller, mais je n'ai pas pu déposer mon offre au tribunal de commerce. Une fois l'offre bien faite après plusieurs mois de travail et en intégrant toutes les aides éventuelles, un cabinet mandaté par le gouvernement a réalisé un audit en deux heures et a jugé le projet non financé, ça a été bâclé. L'État fait plus confiance à un cabinet américain plutôt qu'à un industriel français. J'ai 39 ans de métier alors on ne va pas m'apprendre à faire un business plan", avait déclaré en septembre dernier dans La Tribune. Patrick Bellity, le PDG du groupe Alty qui s'était positionné dès avril 2021 sur le dossier SAM.

"Inacceptable"

Au-delà de ce passif, dans lequel chaque protagoniste du dossier pourrait récolter les bons et mauvais points, les deux ministres qui ont rédigé le courrier, et obtenu le soutien de tous les élus locaux dont la socialiste Carole Delga par leur co-signature, regrettent aujourd'hui d'être mis à l'écart des négociations avec l'unique candidat potentiel à la reprise de l'usine, le groupe espagnol CIE.

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"Le seul repreneur potentiel avec qui vous avez choisi d'entrer en négociation est aujourd'hui extrêmement réticent à déposer une nouvelle offre pour Jinjiang SAM, faute d'intérêt économique et stratégique.

Avec les salariés de la SAM, nous ne pouvons nous satisfaire de cet état de fait. Ce dernier est inacceptable. L'État et les collectivités sont fortement mobilisés sur ce dossier. Nous avons à plusieurs reprises fait part de notre disponibilité pour aider le processus de reprise dans les discussions avec les représentants des salariés et pour proposer des soutiens financiers tant sur les plans du financement du besoin de fonds de roulement et de l'investissement, de l'immobilier, que de l'activité partielle ou de la formation. Malgré des mains tendues à plusieurs reprises, vous avez tenu à gérer la négociation avec son repreneur potentiel qui ne nous a jusqu'ici jamais réellement sollicités directement pour tenter de consolider son projet", font savoir les deux ministres.

Pour mémoire, le groupe espagnol avait déjà déposé une première offre auprès du tribunal de commerce de Toulouse en début d'année 2021. Néanmoins, celle-ci avait provoqué le blocage de l'usine pendant près de trois semaines par les salariés, soutenus par les syndicats. Avant de se retirer suite à cette mobilisation, le groupe CIE proposait notamment la reprise de seulement 150 salariés et la fermeture du bureau d'études, qui permet aujourd'hui à la SAM d'être plus qu'un simple exécutant dans le secteur de la fonderie. Bien que la situation soit complexe pour eux, les salariés exigent le maintien d'au moins 250 emplois, comme le proposait Alty, et la préservation du bureau d'études.

Sans avancée majeure dans les prochains jours, le dossier SAM pourrait devenir un véritable boulet pour l'exécutif français et le président de la République, Emmanuel Macron, dont la candidature à la prochaine élection présidentielle ne fait guère de doute. Lui qui entend mettre en avant son bilan économique et sa politique en la matière - sans parler de la présentation du plan d'investissement de 30 milliards d'euros France 2030 dans un scénario digne d'une keynote Apple quand la firme présente un nouvel appareil - pourrait bien être attaqué par ses opposants sur le sujet.

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