Reprise de l'institut de sondages BVA : les dessous d'un dossier hautement politique

Après nouvel examen du dossier par la Cour d'appel de Toulouse, c'est finalement l'offre Xpage, portée par la direction histoirique, qui a été désignée comme le repreneur de l'institut toulousain de sondages BVA, au détriment du fonds de dettes Alcentra. Dans ce dossier, selon divers protagonistes, il semblerait que la "nationalité" britannique d'Alcentra lui ait coûté cher, dans une crise sanitaire où l'État français se veut protectionniste. Ainsi, selon les informations de La Tribune, le perdant réfléchit à contester cette décision de justice. En attendant, le président de BVA, Gérard Lopez, applique son nouveau projet et notamment la création à Toulouse d'un centre européen de la data dédié aux études d'opinion.
Près de 500 personnes travaillent au siège de BVA à Toulouse.
Près de 500 personnes travaillent au siège de BVA à Toulouse. (Crédits : Google Map)

Dans la justice commerciale, c'est un fait rare qui mérite une mise en lumière toute particulière. Placé en redressement judiciaire au début de l'été 2020, l'institut de sondages BVA installé à Toulouse devait atterrir dans les mains du fonds de dettes Alcentra, après un jugement rendu par le tribunal de commerces de Toulouse à la mi-septembre. Une décision sur laquelle a décidé de revenir la Cour d'appel de Toulouse, à travers un nouvel examen du dossier. Verdict ? Alcentra s'est vu cette fois-ci devancer par l'offre Xpage, portée par la direction historique de la société, selon son rendu datant du 13 janvier 2021.

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"Au regard de la gouvernance étrangère qui sera mise en oeuvre par CEDL I Clareant (société représentant Alcentra, ndlr), il existe, comme le souligne le ministère public des risques évidents de délocalisation, les fonds obligataires repreneurs ayant tout intérêt à faire prévaloir des logiques financières et d'optimisation fiscale ou sociale au détriment du maintien de l'emploi et de la pérennité du groupe BVA sur les sites français. Ce risque de délocalisation n'est pas hypothétique puisque l'offre CEDL prévoit de baser son centre décisionnel ainsi que l'activité D'IVH en Angleterre tandis que la structure de direction prévue dans l'offre CEDL est composée de sociétés de droit anglo-saxon ou luxembourgeois", explique la juridiction, dans son rendu de 18 pages que La Tribune s'est procurée.

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Au coeur du processus, et en ayant connaissance de ces paramètres, des centaines de salariés s'étaient mobilisés sur les lieux du siège social à Toulouse devant la crainte de voir leur emploi délocalisé hors de France, tout en réaffirmant leur soutien à l'offre Xpage. Ce que ne manque pas de souligner la Cour d'appel en évoquant "la crainte des salariés de BVA à une nouvelle gouvernance étrangère". La juridiction ajoute par ailleurs que l'offre Xpage présentait aussi "une offre mieux disante en ce qui concerne le prix de cession des actifs". Surtout, cette tentative d'acquisition de la part d'Alcentra intervient dans un contexte où le gouvernement français a décidé de protéger "ses" actifs et "son" savoir-faire entrepreneurial des fonds d'investissement étrangers voulant profiter de la crise sanitaire.

"Il est clair que le fait qu'Alcentra soit un fonds britannique a été un élément pris en considération par la Cour d'appel, pour revoir le jugement du tribunal de commerce. Peut-être pas déterminant, mais il a sans doute pesé dans les débats... Avoir une analyse différente de la situation est tout l'intérêt d'une double chambre de juridiction", explique une source proche du dossier.

Défait, Alcentra pourrait faire appel de la décision

Et pourtant, dès le rendu du jugement du tribunal de commerce de Toulouse, Alcentra a tout fait pour tenter de rassurer les salariés. Son représentant, Nicolas Besson, a accordé une interview à La Tribune quelques heures après "sa" victoire, dans laquelle il promettait "avoir besoin de tout le monde". Plus surprenant encore, le fonds de dettes s'est offert une pleine page de publicité dans le quotidien régional La Dépêche Du Midi afin de publier une lettre ouverte à destination des salariés, mais aussi de la juridiction, afin de rappeler ses bonnes intentions dans sa démarche. "Ce qui nous a fait peur est le fait qu'ils ont comblé leur manque d'expertise en sortant leur carnet de chèques", ajoute à ce propos Ludovic Briey, le secrétaire du CSE de BVA. Et malgré ses nombreuses démarches volontaristes, la déception est au rendez-vous du côté d'Alcentra.

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"Nous regrettons la décision de la cour d'appel de Toulouse. Nous sommes convaincus que notre plan offrait le meilleur résultat pour les clients, les fournisseurs et les employés car il préservait tous les emplois, à l'exception des cinq dirigeants historiques qui étaient directement responsables de l'ouverture du redressement judiciaire", a réagi il y a quelques jours Nicolas Besson, le directeur exécutif d'Alcentra.

L'amertume est telle que dans les rangs de ce dernier on évoquerait "un procès d'intention" à son égard, d'après un fin connaisseur de l'affaire.

"À l'heure actuelle, Alcentra est encore dans une position d'examen du rendu de la Cour d'appel et examine les voies de recours potentielles. Mais pour le moment, aucune décision n'a été prise à ce sujet", poursuit-il.

Faire de Toulouse un centre européen de la data

Contacté par La Tribune, Gérard Lopez, président historique de l'institut BVA et co-porteur de l'offre de reprise Xpage est conscient que le combat contre Alcentra n'est pas terminé. "Nous savons que nos discussions avec Alcentra ne sont pas terminées. Comme eux, nous analysons aussi des recours pour tenter de reprendre le contrôle de la filiale américaine américaine désormais en leur possession", admet-il, prouvant ainsi que le dossier du nom de l'institut de sondages BVA n'est pas encore à son dernier épisode...

Mais pour l'heure, la priorité est à la relance d'une société majeure en France dans son domaine d'activité. "Le dossier BVA a fait l'objet un 'audiencement' prioritaire au regard des forts enjeux du dossier et de l'urgence en matière de trésorerie pour l'entreprise", admet l'un des participants à l'audience qui s'est déroulée à la cour d'appel de Toulouse. Pour preuve, l'institut qui avait réalisé un chiffe d'affaires de 220 millions d'euros avant la crise sanitaire, vise au mieux en 2021 la barre des 140 millions d'euros. Une dégringolade pour une société qui emploie plus de 1.000 personnes dans le monde en équivalents temps plein, dont 500 à Toulouse. Néanmoins, les repreneurs se sont engagés à maintenir l'emploi sur les 36 prochains mois.

"Nous relançons beaucoup de chantiers au niveau européen mis de côté en raison de la crise sanitaire et de cette procédure juridique. Désormais, le carnet de commandes se remplit à nouveau et nous espérons une sortie du tunnel en septembre", explique Gérard Lopez, qui compte également revoir la gouvernance de BVA pour accorder une place importante aux salariés dans les organes de direction, tout en leur ouvrant le capital de la société.

Dès lors, des recrutements et d'importants investissements vont être réalisés, notamment pour faire du siège social à Toulouse un centre européen de la data dédié aux études d'opinion.

"Ce centre européen de la data va dans le sens des choses où notre secteur d'activité se dirige de plus en plus vers l'automatisation des études et donc la suppression de certains postes. Mais la volonté de BVA reste de conserver cette expertise humaine avec des expertises dans de nombreux domaines comme la santé, les transports, le commerce, etc. Cette nouvelle approche sera couplée à la mise en oeuvre de sciences comportementales dans nos études et qui va aussi être synonyme de recrutements", complète Ludovic Briey, qui se dit soulagé de travailler avec les porteurs de l'offre Xpage.

Ainsi, d'ici trois à quatre ans, la nouvelle direction prévoit d'atteindre à nouveau la barre des 180 millions d'euros de chiffre d'affaires.

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Commentaire 1
à écrit le 21/01/2021 à 8:34
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Un élément de la fabrique à opinion mais moins important malgré tout que les médias de masse, disons un des nombreux outils de ces derniers. Maintenant il commence à être tellement facile avec internet pour n'importe quel site de faire des sondages d...

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