LA TRIBUNE - Nous avons révélé le 3 novembre que votre groupe envisage un PSE à Toulouse alors que 1.150 collaborateurs sont aujourd'hui sans mission. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
PAOLO DEL NOCE - Le contexte économique dû à la Covid-19 a fait que lors du premier confinement pratiquement tous les secteurs ont subi une chute d'activité de 40 à 50% pendant deux mois. En revanche, à l'issue du confinement, nous avons vu le retour d'une dynamique positive dans tous les secteurs où nous intervenons... sauf dans l'aéronautique. Ce dernier a été plombé par l'arrêt du transport aérien. Aujourd'hui encore, près de 90% des avions sont cloués au sol en France. Toutes les entreprises qui opèrent dans le secteur aéronautique que ce soit les loueurs, les fabricants d'avions ou les sous-traitants se retrouvent à arrêter leurs projets en raison du manque de visibilité.
Airbus est notre plus gros client en France. Nous sommes aussi très présents chez Safran, Thales Avionics, Dassault Aviation, mais aussi Stelia ou Latécoère. Tous ces clients ont dû revoir leurs projets. Il n'y a plus de projet et nous nous retrouvons avec beaucoup de consultants qui n'ont pas d'activité. Mais le vrai problème que nous rencontrons, c'est surtout que nous ne voyons pas la fin de cette crise. La vraie différence avec la crise automobile de 2008, c'est qu'alors nous savions que l'activité allait reprendre au bout de 12 à 18 mois. Actuellement, on parle d'une reprise dans le secteur aéronautique à l'horizon 2024, 2025 voire 2026. Nous n'en savons rien. Cette crise est hors-norme. Normalement face aux cycles économiques, nous jouons par exemple sur la mobilité sectorielle pour affronter ces crises. Mais face à l'ampleur et la durée de cette crise aéronautique, nous devons apporter des réponses importantes.
Chez nous, l'aéronautique est concentré à Toulouse puisque nous avons fait de cette ville le centre mondial pour l'aéronautique (Akka a fait cette annonce en 2016 avec la construction de bâtiments dédiés à Blagnac, ndlr). À Toulouse, 1.150 collaborateurs sont actuellement sans mission sur un effectif de 2.200 personnes. Ce sont autant d'emplois qui sont menacés si nous ne trouvons aucune solution.
Pour éviter ce "scénario du pire", quelles sont les solutions que vous comptez mettre en œuvre ?
Notre principale priorité, qui est celle aussi de nos clients, est le maintien des compétences. Pour éviter de les perdre, nous avons déjà fait travailler 200 personnes à Toulouse sur des projets R&D internes pour développer des briques technologiques à destination du monde de l'aéronautique dans un futur proche. Un avion du futur aura besoin de beaucoup de solutions à développer ou qui n'existent pas encore. Il est très important pour nous que les ingénieurs continuent leur activité. Croyez-moi, un ingénieur qui ne travaille pas pendant un an, il aura déjà perdu des compétences. Nous avons déjà des collaborateurs qui ne travaillent pas depuis sept mois.
Le restant de nos effectifs à Toulouse est au chômage partiel. Parmi eux, 150 personnes ont intégré notre programme de 'reskilling' en suivant des formations pour se repositionner vers d'autres compétences à plus forte valeur ajoutée. Nos clients recherchent de plus en plus à exploiter les données générées par nos produits. Ce ne sont pas uniquement des compétences de développeur, mais aussi de la gestion de projet et des systémistes dans le monde digital.
Qu'en est-il de la question de l'APLD (activité partielle de longue durée) ? L'envisagez-vous ?
Nous discutons avec nos partenaires sociaux depuis le début du mois de novembre pour construire quelque chose autour de l'APLD. Aujourd'hui, ce n'est pas un dispositif pensé pour une entreprise de services comme la nôtre. L'APLD met l'accent sur le remboursement de formations mais les frais sur les salaires ne sont pris en charge que sur une toute petite partie. Comme ce que nous vendons ce ne sont pas des produits, mais des salaires, l'APLD n'est pas suffisant. Nous avons entamé une négociation avec nos partenaires sociaux pour trouver une alternative.
Les fonds Corac ciblés pour développer l'avion décarboné ne peuvent-ils pas sauver des emplois à terme, comme c'est le cas à Airbus ?
Le Corac a été établi pour développer de grandes briques technologiques voire un avion entier. Comme il s'agit de projets de grande envergure, les donneurs d'ordre doivent définir les premières étapes. Nous interviendrons ensuite dans cette dynamique, dans la deuxième partie de l'année prochaine. Mais nous ne pouvons pas attendre jusque-là avant de prendre des décisions. Depuis le début, nous avons été très transparents avec les partenaires sociaux et ces derniers ont été inclus dans la réflexion. Mais il faut qu'eux aussi fassent preuve d'intelligence dans la communication. Nous avons choisi depuis le départ de travailler avec eux pour sauvegarder le plus de compétence, c'est notre objectif commun.
Les syndicats pointent des "mutations forcées" d'ingénieurs vers d'autres régions de France depuis le mois de mars. Que leur répondez-vous ?
Je ne vois pas pourquoi je devrais forcer une mutation. Aujourd'hui, quand nous pouvons faire travailler quelqu'un, sans mission à Toulouse, à l'autre bout de la France, nous préférons lui proposer cette opportunité car nous pensons qu'une personne est mieux au travail qu'à la maison. Ce n'est pas structurellement tenable d'avoir des personnes à la maison, et ce même si l'État couvrait entièrement leurs salaires (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui). Malheureusement, la région de Toulouse n'a jamais été la plus disposée à cette mobilité. Je pense que les choses changent mais pour l'instant, il n'y a pas de disponibilité immédiate.
Votre activité aéronautique a accusé un recul de 38% au troisième trimestre par rapport à 2019. Mais dans d'autres secteurs comme l'automobile ou la défense, votre groupe retrouve la croissance. Une mobilité sectorielle est-elle envisageable ?
C'est l'un des axes sur lequel nous mettons beaucoup d'espoir. Parfois, il n'y a pas besoin de formation, les compétences de l'aéronautique suffisent. Nous essayons de créer cette mobilité. Mais la mobilité ne doit pas être uniquement sectorielle mais aussi régionale car malheureusement nos activités ne sont pas toutes réalisables à distance.
Avec l'essor du télétravail, vous avez d'ailleurs décidé de fermer l'un de vos sites à Blagnac, le bâtiment Galilée...
L'un des effets de la pandémie a été de montrer, tant au niveau interne qu'externe, que l'activité en télétravail donne des résultats satisfaisants. Nous avons signé un accord sur le télétravail il y a an et demi qui autorisait les collaborateurs à deux jours de télétravail par semaine. Nous nous réorganisons dans cette perspective pour le développer encore plus. Le bâtiment de Galilée n'est plus nécessaire et nous avons décidé d'arrêter le bail de location de ce bâtiment début décembre.
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