Aéronautique : Maître Oustin-Astorg, l'avocate qui veut annuler l'APC de Derichebourg

Premier dossier emblématique de la crise touchant la filière aéronautique, Derichebourg Aeronautics a signé un Accord de performance collective (APC) avec les syndicats avant l'été. Un texte vivement contesté par le syndicat minoritaire Unsa, qui s'est attaché les services de Maître Oustin-Astorg, une spécialiste en la matière. Son objectif ? Prouver une fraude au licenciement économique et transformer cet APC en Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Ce qui changerait tout pour les 180 salariés licenciés pour avoir refusé d'approuver ce document et les conséquences qui en découlent comme une diminution de la rémunération. Rencontre exclusive.
Magali Oustin-Astorg est l'avocate, depuis quelques semaines, qui se penche sur l'APC de Derichebourg Aeronautics.
Magali Oustin-Astorg est l'avocate, depuis quelques semaines, qui se penche sur l'APC de Derichebourg Aeronautics. (Crédits : Pierrick Merlet)

Le nom de l'entreprise "Derichebourg Aeronautics" est moins présente dernièrement sur les chaînes de télévision et dans les colonnes de la presse. Pour autant, cette filiale de 1 600 personnes en France, dont 1 400 à Toulouse, restera toujours comme la première grande structure de l'aéronautique à avoir adopté des mesures sociales face à la chute d'activité de la filière, avant même l'annonce du plan de soutien sectoriel construit par le gouvernement. Et ce, malgré l'intervention appuyée du ministre de l'Économie...

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Alors, si la menace d'un Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de 700 personnes a pendant longtemps été brandie par la direction, au final c'est bien un Accord de performance collective (APC) qui a été signé avec les représentants du personnel. Seule l'approbation de Force ouvrière a été nécessaire pour l'officialiser, étant le syndicat majoritaire. Tandis que la CFE-CGC et l'Unsa se sont prononcées contre.

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Elle défend "le plus faible"

De ce fait, cette troisième organisation professionnelle vivement opposée à cet accord s'est tournée vers Maître Oustin-Astorg, pour tenter de trouver un recours afin de faire annuler cet APC. Depuis sa signature à la mi-juin, pas moins de 180 personnes, soit plus de 10% des effectifs, ont été licenciées, refusant la baisse de salaire moyenne mensuelle de 300 euros provoquée par cet accord social. "C'est un élément factuel qui pourrait démontrer l'intention première de l'employeur qui est de supprimer des emplois", lance l'avocate. Pour parvenir à casser ce texte, ce qui serait une première en France, l'Unsa a sélectionné un profil particulier et adepte de ces situations.

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"Je suis spécialisée dans les relations collectives de travail, comme la négociation d'accords collectifs dont font partie les APC. Néanmoins, je ne suis pas uniquement dans la voie judiciaire, j'interviens aussi beaucoup en amont, pour faire du conseil, afin de favoriser le dialogue social. D'ailleurs, je préfère sincèrement éviter la judiciarisation d'un dossier car je le vis comme un échec. Dans le contexte judiciaire, nous sommes dans la réparation et celle-ci ne sera jamais à la hauteur de l'emploi perdu", raconte Magali Oustin-Astorg.

Derichebourg Aeronautics

Des dizaines de salariés ont manifesté de manière régulière devant les locaux de Derichebourg Aeronautics, au mois de juin, au moment des négociations autour de l'APC (Crédits : Rémi Benoit).

Pour mener à bien ces missions, elle est aujourd'hui associée au cabinet VOA, installé en plein coeur de Toulouse. Après avoir prêté serment en 2012 seulement, la porteuse de la robe noire a déjà un parcours atypique. Si au début de sa carrière Maître Oustin-Astorg s'est illustrée dans la défense de grandes sociétés, elle réserve aujourd'hui ses services aux salariés et syndicats, mais rejette toute position dogmatique.

"Pour débuter, j'ai travaillé dans l'antenne toulousaine d'un grand cabinet d'avocats, qui ne défend que les grandes sociétés. C'était extrêmement intéressant d'évoluer là-bas, mais j'ai pu remarquer un déséquilibre entre l'employeur et les salariés. Si les grandes entreprises sont très bien accompagnées, je trouve qu'il y a un déséquilibre marqué au détriment des salariés et syndicats en matière d'accès à l'information dans les droits du travail et la négociation collective. Après, j'ai des idéaux qui font que j'aime défendre la partie la plus faible. Mais je n'ai absolument rien contre les employeurs et je ne les considère pas comme les méchants", promet-elle.

Transformer l'APC en PSE

Sans surprise, face à un accord qu'elle juge "particulièrement inéquitable", ces valeurs ont pris le dessus et elle a accepté le challenge proposé par l'Unsa. Pour justifier son positionnement, l'avocate s'appuie sur les trois conditions suspensives de l'APC de Derichebourg Aeronautics à propos du maintien de l'emploi, à savoir la non-diminution de la production de son principal client (Airbus, ndlr), le maintien d'indemnisation de l'activité partielle par le gouvernement (ce qui est fait avec l'APLD) et l'absence d'une nouvelle crise sanitaire et/ou économique. "Il n'y a aucun effort de consenti par l'employeur", regrette Magali Oustin-Astorg. Surtout, son objectif premier sera de requalifié cet APC en PSE.

"À la lecture du préambule du document en question produit par Derichebourg Aeronautics, il m'est apparu qu'il était acté par l'employeur que l'APC avait pour objectif la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Un choix qui avait pour conséquence de proposer des modifications du contrat de travail aux salariés, portant notamment sur la rémunération et la mobilité. Or, ce sont deux éléments constitutifs de licenciement économique. La loi en la matière dit que si une entreprise met en place une réorganisation pour le motif de sauvegarde de la compétitivité et que cela modifie les contrats de travail, ce sont des licenciements économiques qui doivent être mis en place et donc un PSE", expose l'avocate.

Dans cette affaire qui n'a aucun précédent similaire en France, elle s'attend à un débat juridique sur l'interprétation de la loi, face à la partie adverse, que les juges du tribunal judiciaire devront trancher. Magali Oustin-Astorg va même plus loin en imaginant un combat de long terme. "À mon avis, ce sera à la Cour de cassation, la plus haute juridiction, de trancher ce débat sur ce que peut faire et ne peut pas faire un APC et à quel moment c'est une fraude à la loi concernant le licenciement pour motif économique". Elle imagine dès lors au moins une année de procédure voire deux...

Une potentielle nullité des licenciements

Alors, pourquoi s'engager dans un tel débat de fond sur le plan juridique, à l'issue très incertaine ? Si un PSE et un APC peuvent avoir une conséquence commune, celle des licenciements, leurs coûts d'application n'a rien à voir pour l'entreprise concernée par de telles procédures.

"Dans le cadre d'un PSE, l'employeur a l'obligation de mettre en place un reclassement interne et externe, des obligations en matière de formation pour ceux qui quittent l'entreprise, des aides à la reconversion et à la création d'entreprise ou encore à la mobilité. Un PSE coûte bien plus cher qu'un APC. De plus, une entreprise de plus de 1 000 salariés comme Derichebourg Aeronautics doit mettre en place un congé de reclassement d'une durée de quatre à douze mois, ce qui est un coût supplémentaire non négligeable", énumère celle qui défend les intérêts de l'Unsa.

Par ailleurs, côté salarié, les indemnités versées par Pôle Emploi sont bien plus importantes dans le cadre d'un licenciement économique, que dans le cadre d'un refus d'APC. Plus surprenant, en cas de victoire de Magali Oustin-Astorg à l'issue de la procédure, la nullité des licenciements devra être prononcée. Une conséquence qui offrirait un droit à la réintégration chez Derichebourg aux 180 salariés licenciés depuis cet été. Mais voudront-ils ce retour à la case départ ?

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Commentaires 2
à écrit le 15/10/2020 à 10:40
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En plein cœur du confinement et de la première vague le président de Derichebourg déclarait "entre mourir de faim ou du covid il faut choisir" pendant qu'on applaudi le personnel médical et les employés des supermarchés ceux de Derichebourg reçoivent...

à écrit le 15/10/2020 à 8:47
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Quand le patron de Derichebourg déclare aux salariés en plein confinement "Il faudra choisir entre mourir de faim ou mourir du covid" cela en dit long sur ce sinistre personnage.

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