Enquête : Rodez redoute la fermeture de "La Bosch"

En raison de la chute des ventes des moteurs Diesel sur l’ensemble des marchés en Europe, l’usine cherche des axes de diversification. En attendant, ce sont 1 540 emplois qui sont menacés, avec un impact négatif sur la ville de Rodez. Reportage.
1 540 emplois qui sont menacés, avec un impact négatif sur la ville de Rodez.
1 540 emplois qui sont menacés, avec un impact négatif sur la ville de Rodez. (Crédits : Pierrrick Merlet)

Bosch Rodez, une ville, une usine. Ce titre en forme de slogan, est celui d'un livre paru en 2011 aux éditions Privat. Son auteur, Pierre-Marie Terral, y mettait en lumière les liens tissés entre le territoire aveyronnais et le site industriel spécialisé dans la fabrication d'injecteurs, de buses d'injecteurs et de bougies de préchauffage pour moteurs Diesel. L'usine compte tellement pour la ville de Rodez et son agglomération, que ses habitants la surnomment depuis toujours "La Bosch".

Le site a ouvert ses portes en 1962 au cœur de la zone d'activités de Cantaranne, à Onet-le-Château. Au fil des décennies, le groupe allemand en a fait la plus importante de toutes ses implantations industrielles en France, Bosch Rodez devenant le premier employeur du département. Ce statut perdure encore mais il est menacé. Car depuis plusieurs années, le marché des moteurs diesel en France, comme en Europe, connaît une chute brutale. Rien que dans l'Hexagone, le diesel équipait 40 % des véhicules vendus en 2018, selon les estimations du Comité des constructeurs français d'automobiles, contre 73 % en 2012. Une telle dégringolade n'est pas sans conséquences pour le site ruthénois.

"En 2003, nous étions 2 300 salariés contre 1 540 aujourd'hui, et 300 emplois sont menacés à l'échéance 2021", expose Yannick Anglarès, délégué syndical CGT au sein de l'usine.

Cette estimation émane de l'accord de transition 2018-2021, signé l'été dernier entre les représentants du personnel et la direction de la multinationale allemande, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 77,9 milliards d'euros en 2018. En contrepartie de cet accord, l'entreprise s'est engagée à investir 14 millions d'euros afin de rénover l'une des deux lignes de production d'injecteurs que compte l'usine.

"Lancés début décembre, ces travaux doivent s'achever au cours de la seconde quinzaine d'avril 2019. Dès lors, cette nouvelle ligne produira des injecteurs CRI2-20, adaptés aux nouvelles normes européennes sur le taux de rejet d'émissions polluantes qui entrent en vigueur en septembre prochain", explique Patrick Meillaud, directeur des fonctions économiques de l'usine Bosch de Rodez.

Il y avait donc urgence car les dispositifs actuellement produits dans l'Aveyron n'auraient plus trouvé preneur d'ici quelques mois.

Une cellule de réflexion planche sur des solutions d'avenir

L'autre ligne de production ne sera, quand à elle, jamais adaptée à ces nouvelles normes européennes en raison de la chute du marché du diesel. Par conséquent, 300 emplois sont menacés d'ici deux ans par sa fermeture.

"Nous produisions 3,2 millions d'injecteurs en 2015 avec deux lignes et le projet de Bosch est de passer à 1,5 million de pièces produites annuellement avec une seule ligne à l'horizon 2020-2021", fait savoir Cédric Belledent, délégué syndical Sud.

Malgré cette baisse d'activité, Bosch s'est engagé dans cet accord de transition à conserver tous les emplois jusqu'en 2021, à certaines conditions. Depuis le début de l'année, l'usine de Rodez est à l'arrêt 4 à 5 jours par mois. "Pour le moment, ces jours d'arrêt de travail sont pris sur le solde de RTT des salariés, mais d'ici fin avril plus personne n'en n'aura. Alors, le processus de chômage partiel se mettra en place", poursuit le représentant de Sud.

Le groupe allemand a souhaité que le volet entreprise du chômage partiel - qu'il prend déjà en charge avec l'État - soit financé en étant prélevé en partie sur la prime d'intéressement versée annuellement aux salariés.

Mais que se passera-t-il après 2021 ? Grâce à la signature de l'accord, une cellule de réflexion industrielle en interne composée de 25 personnes a été mise en place pour tenter de trouver des solutions d'avenir au site. Appuyée par le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger et la société d'ingénierie Altran, cette équipe a identifié six axes de diversification d'activité pour laquelle le groupe Bosch est prêt à investir 30 millions d'euros dans l'équipement.

Parmi les pistes étudiées figurent l'aéronautique, l'hydrogène, l'horlogerie, le véhicule intelligent, l'internalisation de pièces dont la production est actuellement sous-traitée par l'Allemand et une société de service industriel.

Selon les syndicats, seuls 150 emplois sur les 300 menacés seront maintenus après 2021, avec ces possibles diversifications. Mais à terme, c'est bien l'ensemble de l'usine qui est en danger selon eux. "L'avenir du site passe également par un maintien des ventes de moteurs Diesel en France et, pour cela, les moteurs de nouvelle génération
adaptés aux nouvelles normes européennes doivent être éligibles à la vignette Crit'Air 1
[contre une vignette de niveau 2 actuellement, ndlr]", demande Cédric Belledent, comme l'ont fait plusieurs élus locaux dans une lettre envoyée au Premier ministre le 13 février. Même si le ministère de l'Économie s'est montré favorable  cette proposition, aucune décision officielle n'a pour le moment été prise en ce sens par le gouvernement. "S'il y a un arbitrage défavorable sur la question, nous reverrons certainement la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, non pas pour parler d'avenir, mais peut-être d'un plan social. Les cartes sont dans les mains du gouvernement", insiste un représentant du syndicat CFE-CGC.

Direction et syndicats sont dans l'expectative

Venue sur place le 26 février pour visiter la nouvelle ligne de production, Agnès Pannier-Runacher a également rencontré les élus locaux, les syndicats et une direction dans l'attente. "Lors de sa visite, la secrétaire d'État a pris en compte la menace pesant sur le marché du diesel et donc sur le site de Rodez. Nous échangeons avec les pouvoirs publics français à ce sujet [...] Tout dépend maintenant de l'évolution du marché", met en garde Heiko Carrié, président de la filiale France-Benelux de Bosch. D'ici là, une réunion est programmée le 15 mars au siège du groupe, à Stuttgart, pour évoquer l'avenir du site de Rodez avec les élus locaux.

Le diesel fait de moins en moins d'adeptes

Depuis plusieurs années, la part de moteurs Diesel ne cesse de se réduire, au point de devenir minoritaire depuis deux ans en France. Jusqu'où le marché de cette motorisation chutera-t-il en France et en Europe ? Selon le dernier rapport publié par l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA), le marché européen du diesel ne représente plus que 35,9 % des 18 millions de véhicules neufs mis sur le marché en 2018. C'est donc une baisse vertigineuse pour le diesel en Europe qui s'établissait à 44 % sur l'année 2017. Cette régression est également visible sur le marché automobile français.

"La part de marché des motorisations diesel est durablement en baisse dans l'Hexagone : 40 % en 2018. La baisse du diesel est ininterrompue depuis 2012 (73 % du total immatriculé, cette proportion était stable depuis les années 1980) : 67 % en 2013, 64 % en 2014, 58 % en 2015, 52 % en 2016 et, pour la première fois en 2017, une part minoritaire, à 47 %", détaille le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA) dans son étude sur le marché automobile français en 2018.

Plusieurs raisons se cumulent pour expliquer un tel phénomène. Il y a tout d'abord eu le "dieselgate", scandale impliquant plusieurs constructeurs qui auraient volontairement sous-évalué le taux de rejets d'émissions polluantes de leurs modèles. Enfin, l'émergence de réglementations de circulation différenciées et la hausse de la fiscalité sur le gazole n'ont rien arrangé. Désormais, les consommateurs privilégient des moteurs essence, hybrides ou électriques.

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