Latécoère : ces 15 ans qui ont changé la face du groupe aéronautique toulousain

SÉRIE LATÉCOÈRE (1/2). Après une croissance exceptionnelle dans les années 2000, Latécoère connaît depuis quinze ans une activité en dents de scie qui fragilise ses ambitions de conquête. Alors que le groupe aéronautique vient d'annoncer une délocalisation de son usine du futur implantée à Toulouse, La Tribune revient dans un dossier en deux volets sur les turbulences qui ont bouleversé cet acteur emblématique de la filière aéronautique. Avec la crise de 2008, l'heure est aux économies chez Latécoère avec l'annonce de suppressions massives d'emplois à l'étranger. 2015 marque l'arrivée des fonds Apollo et Monarch permettant à l'entreprise de se désendetter.
2008 marque un premier tournant pour le groupe aéronautique après plusieurs années de croissance exceptionnelle.
2008 marque un premier tournant pour le groupe aéronautique après plusieurs années de croissance exceptionnelle. (Crédits : Rémi Benoit)

Début février, l'annonce a créé la stupeur. Latécoère a dévoilé aux salariés un nouveau plan de réorganisation qui prévoit la délocalisation de son usine du futur flambant neuve de Montredon (elle a été inaugurée en 2018) vers le Mexique et la République Tchèque. « Un énorme gâchis » dénoncent les salariés à Toulouse quand la présidente de la Région Carole Delga affiche son total désaccord, dénonçant « des erreurs de stratégie de la direction » ces dernières années et « aucune perspective de développement offensif des sites en Occitanie » depuis l'arrivée des actionnaires américains au capital.  « Au terme de cet énième plan de délocalisation, il ne subsistera plus en France comme activité de production dans la branche aérostructures, outre l'atelier produisant le T15 de l'A330 à Périole, l'usine de Gimont et sa centaine de salariés. Jusqu'à quand ? » interpelle la CGT.

Comment le fleuron toulousain de l'aéronautique en est arrivé-là ? La Tribune revient sur quinze ans d'activité en dents de scie qui ont bouleversé le destin de Latécoère.

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2008 : coup d'arrêt à la croissance

L'année 2008 marque un premier tournant pour le groupe aéronautique, partenaire de rang 1 des principaux avionneurs sur les aérostructures (tronçons de fuselage, portes) et les systèmes d'interconnexion (câblage, meubles électriques, équipements embarqués). Après une croissance exceptionnelle au début des années 2000, Latécoère doit surmonter la dépréciation de la parité euro/dollar et la crise financière qui plombe l'économie mondiale et par ricochet l'aviation. L'impact est d'autant plus fort que le groupe est également touché par les retards des programmes des constructeurs, l'A380 d'Airbus, le B787 de Boeing, mais aussi la baisse de cadences d'Embraer. En 2008, Latécoère affiche une perte nette de 6,7 millions d'euros malgré un chiffre d'affaires de 684 millions d'euros.

Après une période faste, l'heure est aux économies. L'équipementier aéronautique toulousain, qui emploie alors 4.000 personnes dans huit pays dont 2.000 environ en France, gèle les embauches et procède en 2009 à la suppression de 1.000 postes. Pas de licenciement ni plan social en France, la compression des effectifs affecte principalement les emplois temporaires et le personnel en CDI des filiales étrangères. Par ailleurs, le groupe annonce que le site de Cornebarrieu, près de Toulouse, ne fabriquera plus d'aérostructures pour les avions d'Airbus et de Dassault, l'activité étant transférée à Gimont (32) et Toulouse (site de Périole) ». Les pertes financières s'accumulent : 91 millions d'euros rien qu'en 2009 pour un chiffre d'affaires de 450 millions d'euros, en baisse de plus de 22% sur un an. Tourmenté par l'ampleur de ses dettes, Latécoère va jusqu'à suspendre sa cotation en Bourse de décembre 2009 à mai 2010.

Latécoère traverse une crise à partir de 2008.

Au-delà de la crise économique, le sous-traitant aéronautique de rang 1 paie surtout un changement de paradigme de la part des avionneurs qui va grandement affecter ses finances, comme l'analysera Frédéric Michelland en 2014 peu de temps après son arrivée aux commandes de Latécoère.

« Au début des années 2000, on a assisté de la part de la plupart des avionneurs à des lancements massifs de nouveaux programmes. Nous avons candidaté - et remporté - de très nombreux appels d'offres (pour Airbus, Dassault, Boeing...). À cette occasion, les avionneurs ont souhaité mettre en place un autre mode de fonctionnement avec leurs fournisseurs de rang 1 : le risk sharing partnership.

Avec ce nouveau modèle, les fournisseurs de rang 1 devaient contribuer à financer les nouveaux programmes, en échange de quelque chose de très important : la visibilité (puisque les avionneurs offraient alors aux fournisseurs la possibilité d'être fournisseur sur la totalité de la durée de vie du programme). Par contre, cela signifiait aussi que les fournisseurs de rang 1 partageaient avec l'avionneur le risque commercial du programme et portaient le risque de change lié à une dépréciation du dollar contre l'euro. Pour financer ces nouveaux développements très coûteux, Latécoère a eu recours à l'endettement », expliquait le dirigeant dans une interview à La Tribune.

Avant d'ajouter : « Le groupe a probablement répondu à un nombre d'appel d'offres au-delà de ce qu'il pouvait absorber et gérer correctement. Et ces programmes, lancés quasiment en même temps, ont tous eu un retard compris entre 3 et 5 ans. Autant de temps supplémentaire pendant lequel Latécoère a dû attendre pour commencer à récupérer progressivement le cash investi à travers les facturations des premiers avions. La deuxième raison du dérapage de l'endettement est liée à une "courbe d'apprentissage" mal maîtrisée. Au début, on met beaucoup plus de temps à fabriquer une porte d'avion. Il y a une décroissance des coûts qui est attendue dans les premières années des programmes et qui conditionne notre capacité à ne plus vendre à perte au bout d'un certain nombre d'avions livrés. Si l'on prend du retard dans cette baisse des coûts, alors, le programme en question peut devenir lourdement déficitaire. »

2010 : arrivée de Pierre Gadonneix et retour des bénéfices

2010 signe une nouvelle ère. Après plusieurs mois de négociations, Latécoère obtient un accord avec les banques pour la renégociation de sa dette bancaire qui culmine à 363 millions d'euros. La même année, le groupe renoue avec les bénéfices. Les différentes entités du groupe ont réalisé un chiffre d'affaires global de 464 millions d'euros, en hausse de 3,3 % sur un an. Surtout, l'entreprise affiche un résultat net positif de près de 30 millions d'euros (contre une perte de 91 millions d'euros en 2009). Ces bonnes nouvelles poussent Latécoère à étoffer ses effectifs à nouveau.

« Nous avions lancé un plan de recrutement de 400 personnes en 2011 pour faire face au ramp-up. Cet objectif sera très certainement dépassé », se réjouit Pierre Gadonneix, l'ancien PDG d'EDF arrivé en 2010 à la présidence du conseil de surveillance de l'équipementier toulousain.

Seule ombre au tableau, la consolidation des acteurs des aérostructures patine. Un rapprochement avec la filiale d'Airbus, Aerolia est un temps pressenti. Christian Cornille, PDG de cette dernière, dément alors « tout début de négociations » même s'il convient « des synergies industrielles » intéressantes pour les deux entreprises. Latécoère voit son cours en Bourse flamber au moment de rumeurs de son possible rapprochement avec le groupe américain d'aérostructures Spirit Aerosystems.

En local, Jean-Louis Chauzy, président du Conseil économique et social de Midi-Pyrénées alerte sur l'impératif de consolidation. « A défaut, si cela n'est pas mise en œuvre, il ne faudra pas s'étonner si les industriels allemands, américains ou chinois reprennent nos activités. C'est la seule stratégie pour garder les compétences et donc l'emploi dans nos régions et notre pays, cela concerne Midi-Pyrénées, les Pays de Loire, la Picardie, Airbus et le gouvernement », déclare-t-il.

 2013 : changement de gouvernance

François Bertrand et Bertrand Parmentier quittent en 2013 Latécoère. (Crédits: Rémi Benoit).

Coup de théâtre en 2013 à la veille du Bourget. Latécoère prend une décision radicale et annonce le départ de son président du directoire François Bertrand. Pierre Gadonneix, président du conseil de surveillance lui reprocherait les résultats en demi-teinte de 2012, la gestion de la crise tunisienne ainsi que l'échec du rapprochement avec Aerolia pour consolider le marché des aérostructures. Le polytechnicien a profondément marqué l'histoire de l'entreprise toulousaine en parvenant à transformer la petite entreprise régionale en groupe mondial, partenaire de rang 1 des grands avionneurs mondiaux, présent dans neuf pays et sur trois continents. François Bertrand est remplacé par Bertrand Parmentier, jusqu'alors directeur général mais qui quitte deux mois plus tard le groupe. Il faut attendre le mois de novembre pour que soient révélés les noms des deux personnes chargées de lui succéder : Frédéric Michelland, alors DG de Nexans, est nommé à la présidence du directoire et Eric Gillard à la direction générale.

Entre-temps, Latécoère a décroché un contrat d'un milliard de dollars avec le Brésilien Embraer pour le développement et la production des portes des nouveaux avions E-Jet E2, soit une charge de travail jusqu'en 2030.

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2015 : Latécoère se désendette

Frédéric Michelland prend les rênes de Latécoère en 2013.

En 2015, Latécoère parvient enfin à se désendetter. Grâce à deux augmentations de capital réalisées durant l'été, l'équipementier toulousain qui croule sous une dette de 320 millions d'euros, parvient à lever 280 millions d'euros. Les fonds américains Apollo Management et Monarch Capital deviennent actionnaires de référence du groupe à hauteur de 37,4% du capital. Par ailleurs, 100 millions d'euros sont réinvestis dans la société. « C'est du 'new-money' qui va permettre à Latécoère de retrouver une manoeuvrabilité financière », explique à l'époque Frédéric Michelland. « Notre structure financière, aujourd'hui viable et pérenne, est de nature à permettre de reprendre des initiatives, à aller chercher du chiffre d'affaires soit par croissance organique, soit par croissance externe si des opportunités se présentent », ajoute-t-il.

De son côté, Pierre Gadonneix salue : « Une nouvelle page s'ouvre pour Latécoère, c'est une phase stratégique qui vise à améliorer et développer l'entreprise, et nous en avons les moyens ».

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Même si Frédéric Michelland espère un retour à une situation de trésorerie positive deux ans plus tard et que le groupe inaugure une nouvelle usine au Maroc via sa filiale Latelec, des nuages s'amoncellent au-dessus du groupe. En grève début décembre, les salariés dénoncent le gel des salaires et la dégradation du dialogue social depuis l'arrivée au capital de fonds d'investissements américains.

Retrouvez la deuxième partie de notre dossier consacré à Latécoère qui reviendra sur l'activité du groupe à partir de 2016.

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