Aéronautique : Liebherr-Aerospace Toulouse repart plus fort que prévu

INTERVIEW. Après avoir réduit la voilure durant la crise, le centre d’excellence pour les systèmes d’air aéronautiques du groupe Liebherr annonce un plan de recrutement de 130 personnes en 2023 sur ses sites de Toulouse et Campsas (Tarn-et-Garonne). Dans un entretien accordé à La Tribune, la nouvelle directrice générale Nathalie Duquesne et le DRH Jérôme Noyer reviennent sur les grands enjeux qui attendent le groupe dans les mois à venir : montée des cadences, projets de décarbonation de l'aviation, flambée des coûts de l'énergie...
Liebherr-Aerospace vient d'annoncer un plan de recrutement de 130 personnes en 2023 sur les sites de Toulouse et Campsas (Tarn-et-Garonne).
Liebherr-Aerospace vient d'annoncer un plan de recrutement de 130 personnes en 2023 sur les sites de Toulouse et Campsas (Tarn-et-Garonne). (Crédits : Liebherr-Aerospace Toulouse SAS)

LA TRIBUNE - Liebherr-Aerospace Toulouse vient d'annoncer un plan de recrutement de 130 personnes en 2023. Quelles sont les perspectives de croissance attendues par le groupe dans les prochains mois ?

JÉRÔME NOYER Au coeur de la crise, nous pensions revenir à l'activité pré Covid à l'horizon 2024-2025. Nous devrions retrouver ce niveau 12 à 18 mois plus tôt que prévu, soit dès cette année 2023. Notre chiffre d'affaires a déjà connu une croissance de 29% sur un an en 2022 pour s'établir à 591 millions d'euros. Cela reste encore 12 % en-deçà de l'activité pré-Covid mais notre vision, c'est qu'en 2023 nous retrouverons, peu ou prou, les 670 millions d'euros de chiffre d'affaires d'avant-crise. Pour accompagner la montée en cadences et nos projets sur l'avion décarboné, nous allons effectivement recruter cette année 130 collaborateurs pour porter l'effectif global à 1.670 personnes (actuellement le groupe recense 1.300 personnes sur son site de Toulouse et 200 personnes à Campsas, ndlr).

Comment vivez-vous justement cette montée en cadence spectaculaire annoncée par l'Airbus sur l'A320NEO ?

NATHALIE DUQUESNE - C'est déjà une nouvelle très positive pour le secteur de se dire que la demande reste toujours forte. Ensuite, la difficulté c'est de maintenir cette cadence, raison pour laquelle nous avons investi massivement. À partir du mois de juin, un nouveau bâtiment industriel va sortir de terre à Campsas pour justement pouvoir avoir de la capacité de production supplémentaire.

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Nous concentrons aussi beaucoup d'efforts pour nous assurer que notre supply chain soit capable de suivre le rythme. Liebherr-Aerospace Toulouse mène des discussions avec les fournisseurs, peut apporter parfois une aide financière, un soutien en termes de ressources ou d'organisation à cette supply chain.

Jérôme Noyer - Il faut avoir en tête que nous achetons à peu près 60 % de ce que nous vendons. Notre propre performance est très liée à la performance de nombre de nos fournisseurs. Des dispositifs ponctuels d'aides ont pu être mis en place pour les aider à disposer de la trésorerie nécessaire pour passer la crise mais aussi faire face aux coûts de l'énergie.

Justement quel est l'impact de la crise de l'énergie sur votre groupe ? Êtes-vous aussi freinés par les pénuries de certains matériaux ?

Nathalie Duquesne - Effectivement, nous avons été impactés l'année dernière par les problèmes d'approvisionnement sur le titane et notamment notre société sœur en Allemagne qui produit des trains d'atterrissage et qui a eu besoin d'ébauches en titane. Aujourd'hui, nous connaissons beaucoup de pénuries de matières premières ou de problèmes d'obsolescence de composants électroniques. Sachant que nous n'allons pas proposer n'importe quel matériau de remplacement car nous sommes aussi tenus de répondre aux attentes du règlement européen Reach (qui régule l'utilisation des substances chimiques dans l'industrie, ndlr). Ce sujet touche l'ensemble de la filière aéronautique et heureusement il est traité de façon globale par le secteur.

En revanche, nous sommes impactés individuellement par la flambée des coûts de l'énergie. Notre facture va être multipliée par cinq, passant de trois millions d'euros en 2019 à une quinzaine de millions en 2023. Cela pose un enjeu plus général autour du risque de désindustrialisation du pays du fait de ce coût de l'énergie mal maîtrisé. Nous n'avons pas les moyens d'amortir ces coûts sur nos prix de vente. Si l'on veut participer à cette transition énergétique, cela passe par un soutien fort de l'État et des régions pour notre filière. D'autant que nous sommes toujours face à une compétition internationale. Côté US, des actions fortes ont été prises au travers notamment de l'Inflation Reduction Act, un plan de 400 milliards de dollars qui ne connaît pas d'équivalent aujourd'hui en Europe et encore moins en France. On fait peser un risque sur l'industrialisation en France en général et sur notre filière en particulier.

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L'autre grand défi, vous l'avez dit, c'est la décarbonation de l'aviation. Quels sont les projets sur lesquels travaille actuellement Liebherr-Aerospace Toulouse en la matière ?

Nathalie Duquesne - La filière aéronautique est la seule engagée pour une neutralité carbone en 2050. À court et à moyen terme, cela passe par le remplacement du kérosène par des carburants plus durables, les SAF. Cela passera probablement pour nous par aller prélever moins d'air sur les moteurs et par l'électrification de nos systèmes. À plus long terme, nous investissons énormément sur l'hydrogène qui peut être utilisé de deux façons : soit l'hydrogène est utilisé comme un carburant classique directement dans les moteurs de l'avion, soit on utilise des piles à combustible avec de la propulsion électrique.

Cela fait une vingtaine d'années déjà que nous produisons des compresseurs d'air pour alimenter des piles à combustible pour l'automobile. Nous étudions désormais des compresseurs de plus forte capacité pour convenir aux besoins de l'aéronautique avec des piles de plusieurs centaines de kilowatts. Nous avons aussi décidé d'investir pour produire non seulement la compression d'air mais l'ensemble du système de la pile à combustible. Avec l'arrivée des piles à combustible, nous sommes aussi convaincus que tous les systèmes de l'avion deviendront tout électrique et nous travaillons sur cette électrification.

Et puis, les systèmes thermiques seront clés dans cette décarbonation du secteur. Il faut savoir qu'en produisant 100 kilowatts d'électricité, il est nécessaire de refroidir également 100 kilowatts de chaleur. Aucun avion à hydrogène ne décollera si nous ne travaillons pas sur cette gestion thermique. Raison pour laquelle Liebherr-Aerospace a décidé d'internaliser la production d'une pompe liquide qui permet d'avoir un système de transport du froid dans l'avion dans le cadre du plan France Relance.

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Est-ce que les piles à combustible sont une porte d'entrée vers la diversification de vos activités ?

Nathalie Duquesne - Oui, et c'est déjà le cas. Nous travaillons actuellement sur des compresseurs d'air pour les piles à combustible du ferroviaire et la mobilité lourde (camions, bus). Dans le ferroviaire, beaucoup de lignes ne sont pas électrifiées en Europe. En Angleterre par exemple, il existe très peu de lignes électrifiées et les trains circulent encore au diesel. Ces trains-là passeront directement aux piles à combustible. Nous avons bon espoir que les partenariats autour des piles à hydrogène nous apportent des revenus substantiels à un horizon de dix ans.

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Pour revenir sur votre plan de recrutement, quels sont vos principaux besoins ? Et quels sont les postes en tension aujourd'hui ?

 Jérôme Noyer - De manière schématique, environ 60% du plan de recrutement vise à accompagner les montées en cadence. Nous avons des postes ouverts d'opérateurs sur des machines à commande numérique, des monteurs mécaniciens, des chaudronniers, des soudeurs sur des équipements... Il existe des métiers en tension sur ces postes d'ouvriers qualifiés. Ensuite, 40% des recrutements visent à accompagner la décarbonation de l'aviation avec des postes sur la gestion électrique et thermique de l'avion notamment. Ce sont également des métiers en tension tout comme les profils chef de projet et concepteur autour de la mécanique, électromécanique, mais aussi des experts de la simulation scientifique (aérodynamique, thermique, contrôle...) et les métiers du logiciel embarqué.

Quelles actions avez-vous mis en oeuvre pour pallier ces difficultés de recrutement sur les métiers en tension ?

 Jérôme Noyer - Nous avons recours à la formation en alternance et à la reconversion professionnelle de demandeurs d'emploi. Nous allons former cette année entre 30 et 40 personnes qui ont déjà eu une première vie professionnelle et qui vont se reconvertir vers ces métiers aéronautiques via un partenariat avec Pôle emploi et des entreprises de travail temporaire. 80% d'entre eux sont embauchés en CDI à l'issue du processus.

L'autre volet, c'est de créer des événements de recrutement pour être mieux identifiés à l'image de la soirée Experts' Meeting que nous organisons le 30 janvier prochain chez AviaSim, leader des simulateurs de vol en France. Même si aujourd'hui la taille de l'entreprise et sa présence sur les principaux programmes aéronautiques, nous confère une visibilité, il est important de créer des rendez-vous pour présenter les métiers du groupe. Sur cet événement, nous allons cibler une population de cadres et leur donner l'opportunité de rencontrer nos experts. Aujourd'hui, un salarié cherche un poste mais il veut surtout savoir à quoi il a contribué. Nous leur proposons de participer à la quatrième révolution de l'aéronautique avec la décarbonation.

Nathalie Duquesne - Cela fait plus de 25 ans maintenant que Liebherr-Aerospace travaille sur des solutions technologiques pour réduire la consommation de carburant, ce n'est pas quelque chose de nouveau chez nous. L'hydrogène est déjà une réalité. Nous avons déjà un banc à hydrogène dans notre centre d'essais avec une pile à combustible qui fait tourner des systèmes pour mener des simulations pour des produits. Nous sommes déjà passés aux actes.

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