Guerre en Ukraine : les vignobles d'Occitanie bousculés économiquement par ce conflit

La Russie est un pays consommateur de vins et d'armagnac français. Depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février, les producteurs d'Occitanie ressentent des conséquences directes et indirectes. Marché à l'arrêt pour certains, difficultés d'approvisionnement pour d'autres et beaucoup d'incertitude pour les vignerons régionaux. Rencontres.
Depuis le début de la guerre menée par la Russie en Ukraine, les producteurs de vins et d'armagnac sont très inquiets et se demandent comment va évoluer la situation.
Depuis le début de la guerre menée par la Russie en Ukraine, les producteurs de vins et d'armagnac sont très inquiets et se demandent comment va évoluer la situation. (Crédits : Rémi Benoit)

Après la Covid-19, les exportations de vins et d'armagnac reprenaient, mais la guerre aux portes de l'Europe débutée le 24 février dernier a des conséquences directes et indirectes sur les producteurs d'Occitanie. Certains d'entre eux ont l'impression d'enchaîner crise sur crise et ont peur pour l'avenir de leur exploitation.

La Russie est un marché important pour grand nombre d'exploitants qui exportent de plus en plus vers le pays d'Europe de l'Est. Olivier Goujon, directeur du Bureau national interprofessionnel de l'armagnac évoque des dommages collatéraux éventuels de cette guerre sur le marché russe qui représente "le troisième en valeur et le quatrième en volume", ce qui est non négligeable. Les sanctions financières et la menace d'un embargo sur les exportations inquiètent de plus en plus les producteurs. Des inquiétudes donc mais aussi une certaine relativisation de la part de ces vignerons.

50.000 bouteilles vendues à la Russie pour la maison Delord

La Maison Delord est installée à Lannepax, un petit village dans le Gers. Elle réalise de l'armagnac depuis plus d'un siècle. L'entreprise familiale produit, distille et vend ses propres eaux-de-vie. En 2020, ce sont 186.000 bouteilles qui ont été vendues à l'étranger. Avec ces chiffres importants, elle fait partie des cinq premiers exportateurs français d'armagnac. La Russie représentait 15% de son chiffre d'affaires à l'export pour l'année 2021. La Maison Delord travaillait également avec un client ukrainien. Cette entreprise qui réalise 70% de son chiffre d'affaires dans l'export, à travers quarante pays, misait beaucoup sur le marché russe avec qui elle entretenait de bonnes relations.

"La Russie est un pays qui achète beaucoup d'armagnac, cela fait quelques années que nous travaillons avec eux et tout se passait très bien. En 2021, nous leur avons vendu 50.000 bouteilles, ce qui est un chiffre très important", souligne Jérôme Delord, à la tête de la Maison avec son frère Sylvain.

Jérôme Delord raconte qu'il était à la Wine Expo à Paris une dizaine de jours avant le début de la guerre et que personne n'imaginait cette situation "catastrophique pour les Ukrainiens". Il y a trois ans, le producteur s'était même rendu en Russie pour rencontrer ses acheteurs et avait pour projet d'y retourner prochainement. Projet à l'arrêt pour le moment.

"Tout est incertain, on ne sait pas comment la situation va évoluer. C'est compliqué, certes, mais c'est dramatique surtout pour les populations ukrainiennes qui souffrent et les Russes qui ne comprennent pas l'intérêt de cette guerre. J'ai pu m'entretenir avec quelques clients russes qui sont attristés face à cette situation. Alors oui, notre futur est incertain et on ne sait pas quand et comment cela va s'arranger, mais le plus tragique reste les populations qui vivent la guerre", insiste le producteur gascon d'armagnac.

Cette exploitation qui emploie 17 salariés parvient encore à livrer des bouteilles jusqu'à Riga en Lettonie mais pas sûr qu'elles puissent franchir la frontière russe. Pour d'autres exploitants, les exportations vers l'Est de l'Europe sont à l'arrêt.

Des exportations vers la Russie stoppées pour le vignoble Gayrel

Les vignobles Gayrel situés à Gaillac dans le Tarn craignent de perdre un client russe, pourtant récemment acquis. Alors que 2020 a été une année très compliquée pour l'export à cause de la crise de de la Covid-19, les perspectives s'annonçaient plutôt optimistes pour 2022 avant ce conflit.

"Nous espérions renouer avec les résultats d'avant la crise sanitaire, soit 15% de notre chiffre d'affaires réalisé à l'export", explique Sandrine Souquié, responsable des échanges à l'international pour les vignobles Gayrel.

Le domaine tarnais produit 1.5 million de bouteilles par an sur une surface de 250 hectares de vignes en AOP Gaillac et IGP Côte du Tarn. C'était lors du salon parisien des vins que les vignobles Gayrel avaient convaincu un grossiste basé à Moscou de travailler à leurs côtés.

"Des vins de milieu de gamme ont été sélectionnés pour ce marché russe avec les trois couleurs, le rosé, le blanc sec et le rouge. On a exporté plus de 30.000 bouteilles" détaille Sandrine Souquié.

La dernière livraison de bouteilles remonte au mois de janvier, mais les prochaines sont pour le moment suspendues, suite à l'invasion russe de l'Ukraine et ses conséquences sur la logistique explique Sandrine Souquié. Les risques sont importants : danger lors des approvisionnements ou encore le non-paiement des clients. Cela signifie qu'actuellement faire des affaires avec la Russie est quasiment impossible.

"Le client nous a assuré dans des échanges de mails qu'il était motivé pour une collaboration sur le long terme. Il a dû investir, payer le gouvernement russe pour introduire cette nouvelle marque dans le pays. On espère que la guerre va rapidement se terminer et que les échanges reprendront", détaille Sandrine Souquié, qui reste plutôt optimiste.

La responsable des exportations des vignobles Gayrel explique que pour le moment les vins et spiritueux ne font pas partie des produits interdits à l'exportation vers la Russie par la liste des sanctions européennes mais tout reste "incertain et évolutif". Outre ces problèmes d'exportations vers le géant russe, des conséquences indirectes touchent aussi les producteurs.

Des difficultés d'approvisionnement et une hausse des prix

Pour le domaine d'Entras qui s'étend sur les coteaux de la Ténarèze, s'il n'avait pas directement de clients russes ou ukrainiens, des conséquences se font aussi ressentir. Il est de plus en plus problématique et complexe de s'approvisionner et la hausse des prix est difficile à gérer pour les exploitants qui produisent des vins Côte de Gascogne depuis plus de vingt ans.

"Nous avons des difficultés d'approvisionnement notamment pour le verre que nous utilisons qui était produit dans une usine ukrainienne et de même pour l'aluminium de nos capsules", explique Montaine Dulac une des responsables du vignoble gersois.

Montaigne Dulac explique que les transporteurs avec qui le domaine travaille ont augmenté de +3.5% leurs tarifs, ce qui représente un coût important pour cette entreprise qui emploie une dizaine de personne. Il y a également les taxes sur le prix du gazole qui sont passées de 7% début février à 15% aujourd'hui. Alors les exploitants du domaine ont dû répercuter ces hausses sur leur prix de vente.

"Nous avions un peu anticipé en augmentant certains prix de vente, mais là avec la guerre et ses conséquences, ces hausses effectuées vont à peine amortir nos charges, nos marges restent très faibles", affirme la jeune femme employée au domaine d'Entras.

Une situation compliquée qui laisse un goût amer à ces producteurs de vins et d'armagnac qui ont déjà dû faire face à de longs mois d'épidémie de Covid-19. Cette fois-ci ils craignent des sanctions encore plus contraignantes avec des pertes de clients et d'autres conséquences liées à l'approvisionnement et à la hausse des prix.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.