Occitanie : pourquoi les markets place locales ne sont pas une réussite

DOSSIER E-COMMERCE. Au plus fort de la crise sanitaire, plusieurs collectivités locales d'Occitanie n'ont pas manqué d'ambition en voulant créer des Amazon locaux. Objectif ? Soutenir les commerces dits "non-essentiels" dont l'activité a été plusieurs fois bousculée par des fermetures administratives pour lutter contre la crise sanitaire. 18 mois après, ces idées n'apparaissent pas comme un nouveau canal d'achat de la population locale. Des professionnels les présentent même seulement comme un exercice de communication politique.
Le conseil régional d'Occitanie a crée la plateforme Dans Ma Zone, en jouant avec la communication du géant américain Amazon.
Le conseil régional d'Occitanie a crée la plateforme "Dans Ma Zone", en jouant avec la communication du géant américain Amazon. (Crédits : Agence Verywell)

Lors du premier confinement en France, instauré en mars 2020 pour lutter contre la pandémie, le gouvernement avait demandé "aux commerces non-essentiels" de baisser le rideau. Autrement dit, seuls les magasins alimentaires et ceux liés à une activité de santé étaient autorisés à rester ouverts.

La grogne des commerçants prenant une ampleur majeure au fil des mois, plusieurs  collectivités locales ont alors lancé une idée intéressante, du moins sur le papier : créer des "Amazon locaux", tout d'abord pour concurrencer le géant américain qui a profité de la situation sanitaire, mais aussi pour assurer des rentrées d'argent aux commerces locaux.

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Dans la région Occitanie, plusieurs collectivités ont lancé leur propre initiative dès le second semestre 2020. Sans être exhaustif, la ville de Montpellier et la CCI Hérault ont imaginé leur plateforme, tout comme la ville d'Auterive (Haute-Garonne) avec son site Oxiboutique, ou encore la mairie de Toulouse, avec la fédération des commerçants de la ville, pour créer début 2021 "ToutToulouseShopping". Le conseil départemental de Haute-Garonne en a fait de même avec Géo'local31, tout comme le conseil régional d'Occitanie avec sa plateforme "DansMaZone".

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Plus de 60 commerçants sont référencés sur la plateforme d'Auterive (Crédits : capture d'écran Oxiboutique).

"Cela n'a pas été pris par le bon bout"

Environ 18 mois après l'émergence de ces multiples plateformes, quel bilan faut-il en tirer ? Un succès pour le moins mitigé. "Ce sont des échecs retentissants", estime même Jean-Paul Crenn, le président de Fedeo, l'association du e-commerce en Occitanie, et co-auteur du livre "Le V.A.D.Or", une bible de la vente en e-commerce.

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Le seul point positif semble être l'implication des commerçants :  ils ont été des milliers à jouer le jeu en faisant les démarches pour apparaître sur ces plateformes. Moins réjouissant, la promesse de créer des réelles places de marché en ligne - donc intégrant la possibilité de faire des achats - n'a pas toujours été tenue. C'était pourtant la promesse, par exemple, de la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, à propos de la plateforme "Dans ma zone".

"Cette plateforme permettra de vendre en ligne tous les produits proposés par des commerces de proximité dans la région, ou bien des produits Made In Occitanie", affirmait-elle fin 2020.

Aujourd'hui, ce site, aussi développé sous forme d'application, est avant tout un annuaire des commerçants régionaux voire un catalogue numérique, mais ne permet pas les transactions. C'est également le constat pour pour la plateforme "Click'N'Co" du Sicoval, l'intercommunalité du sud-est toulousain, qui ne fait que recenser ses commerces, comme la plateforme du conseil départemental de Haute-Garonne.

La plus avancée sur le sujet, bien qu'elle ne permette pas de la vente en ligne comme le propose Amazon, reste la plateforme d'Auterive. Elle offre la possibilité avec certains commerces de payer et/ou réserver un article en ligne avant d'aller le retirer chez le commerçant, avec le principe du click and collect.

"Mettre en place des market places est loin d'être suffisant, encore que ce ne sont pas de véritables market places dans les cas évoqués. En Occitanie, nous avons mis la charrue avant les bœufs. Nous sommes partis, pour ceux concernés, du fruit ce qu'on voulait, avant même de structurer le back office. Ce qui était important pour le commerçant c'était de ne pas perdre la relation avec son client existant et non pas aller en chercher de nouveaux. Cela n'a pas été pris par le bon bout comme en témoigne le relatif succès de ces initiatives", analyse le représentant du e-commerce en Occitanie.

En privé, plusieurs commerçants dressent un constat similaire. Difficile pour eux de savoir si ces nombreuses plateformes ont eu un impact sur leur activité, hormis peut-être un peu de visibilité.

Joint par La Tribune pour connaître le nombre de connexions ou de clics sur la plateforme "Dans ma zone", projet qui a bénéficié des meilleurs moyens de communication possibles, le conseil régional d'Occitanie n'a pas encore communiqué ces chiffres à l'heure de la publication de cet article.

La présence des collectivités locales dans ces initiatives serait même le problème pour Jean-Paul Crenn.

"Ces projets ont émergé à l'initiative du politique, utilisés comme un outil de communication politique, alors qu'ils devaient avant tout répondre à une problématique des commerçants. Mais la puissance publique locale ne sait pas faire du e-commerce, c'est une certaine culture. En tant que président de Fedeo, nous avons tenu seulement une seule réunion avec les équipes de Carole Delga sur leur projet", regrette l'auteur et entrepreneur.

Une multiplication de projets similaires à Toulouse

Au-delà de leur efficacité, qui peut être débattue, d'autres projets de market places ont légèrement créé la polémique, à l'image du projet toulousain Tout Toulouse Shopping. Dévoilé en février 2021, ce projet se présente comme une application à télécharger pour les Toulousains où ils y retrouvent tous les commerces de leur ville.

Un an après son lancement, seulement un millier de téléchargement ont été effectués via PlayStore (plateforme Android). "C'est une application pensée par les commerçants et pour les commerçants", défendait lors de sa présentation, Philippe Léon, le président de la fédération des commerçants de Toulouse.

"La mairie de Toulouse a subventionné plus de 600.000 euros un projet qui existait déjà ! Bien que cela parte d'une bonne volonté, tout ce qui a été fait est une arnaque, et cela reste uniquement de la communication politique. Cette application, dont la gestion a été confiée à la fédération des commerçants de la ville, est un duplicata de l'application 'ô Toulouse' pourtant déjà soutenue par la Ville et la Métropole", peste Jacques Estanove.

Cet entrepreneur toulousain a créé en 2018 ToulouseBoutiques. Ouvert à tous les commerces de Toulouse, à l'exception de ceux alimentaires pour cause de logistique, cette market place ne nécessite pas de frais d'inscription pour les commerçants. Son modèle économique fonctionne via un système de commission (10% de la transaction). C'est ce dernier point qui aurait déplu à la fédération locale des commerçants, poussant cette dernière à fonder sa propre plateforme.

"Cela m'a causé du tort. J'ai des boutiques qui se sont désinscrites car on me voyait comme le méchant capitaliste (...) Mais aujourd'hui, sans subvention et en travaillant sur le référencement naturel, j'ai environ 500 visites quotidiens sur ToulouseBoutiques et une centaine de commerces indépendants référencés", expose le dirigeant qui regrette la suppression des liens renvoyant vers sa plateforme sur les sites des collectivités après la sortie de Tout Toulouse Shopping.

Pour Jacques Estanove, les collectivités n'avaient pas besoin d'investir dans une énième application ou plateforme. Des initiatives étant déjà en place comme la sienne. Elles auraient dû plutôt "investir dans la communication pour faire de la pédagogie auprès des Toulousains sur l'impact de leurs achats". "Les consommateurs sont trop conditionnés Amazon, Cdiscount, Rue du Commerce... C'est le comportement des clients qu'il faut interroger aujourd'hui", conclut-il.

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Commentaire 1
à écrit le 02/02/2022 à 16:25
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Dommage que ces initiatives locales n'aient pas porté leurs fruits, peut-être que la multiplication des plateformes ne soit pas non plus une bonne stratégie. Pourtant au départ, il y a le besoin des commerçants, et cela vaut un vrai projet bien pensé...

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