Pourquoi Just Eat s'est mise à recruter des livreurs en CDI à Toulouse ?

C'est une petite révolution dans le monde de la livraison à domicile. La société Just Eat France a annoncé récemment le recrutement de 120 livreurs en CDI dans la ville de Toulouse et de 4.500 en France. Une opération qui questionne alors que ses concurrents ont toujours réfuté cette hypothèse. Questionnée à ce sujet, la directrice générale de la plateforme numérique en France explique les raisons de cette démarche. Quant aux acteurs de la livraison éthique en Occitanie, ils se réjouissent de l'initiative.
Tenue, sac, casque... Les coursiers de JustEat sont désormais aux couleurs de l'enseigne.
Tenue, sac, casque... Les coursiers de JustEat sont désormais aux couleurs de l'enseigne. (Crédits : Just Eat France)

Just Eat France met les bouchées doubles à Toulouse. Jusqu'ici en retrait par rapport à ses concurrents, l'enseigne cherche à se différencier et a récemment annoncé le recrutement de 120 livreurs en CDI. Une petite révolution dans le monde de la livraison à domicile puisque le service, qui était connu sous le nom d'Allo Resto jusqu'en 2018, est le premier de ce type à adopter une telle démarche dans la métropole, mais aussi en France, où la société annonce le recrutement de 4.500 livreurs en CDI au total en 2021.

Jusqu'alors, les plus gros acteurs de ce marché n'embauchaient pas et faisaient appel à des auto-entrepreneurs, qui se sont plaints à de multiples reprises de leurs conditions de travail. La plateforme numérique au logo orange met donc fin à sa collaboration avec Stuart, qui sous-traitait jusqu'ici la livraison à domicile pour Just Eat, dans les villes où elle dispose désormais de ses propres flottes de livreurs.

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Des conditions de travail améliorées

Engagée dans une démarche de sécurisation du métier de coursier, l'entreprise propose désormais plusieurs types de contrats, tous en CDI.

"Nous avons des contrats de 15 h à 35 h. Nous souhaitons répondre à un besoin différent autant de notre côté que du côté des candidats. Nous avons par exemple une grosse partie de nos livreurs qui sont étudiants, un peu plus de 50%. Le reste, ce sont des professeurs, des micro-entrepreneurs... Nous leurs demandons leurs disponibilités en amont, et optimisons ensuite les plannings de chacun. Cela reste un CDI où il y a des règles, mais nous sommes extrêmement souples sur la partie managériale, c'est-à-dire que si les livreurs souhaitent modifier leurs horaires ou faire plus de commandes, nous allons leur permettre", explique Victor Ennouchi, directeur des opérations de livraison de Just Eat France.

Les contrats de Just Eat permettent ainsi aux livreurs français de renouer avec les avantages du salariat (protection sociale, mutuelle, cotisation pour le chômage et la retraite ). De plus, l'entreprise fournit à ses livreurs salariés une tenue, un casque et des formations de maintenance de vélo et de sécurité. Seuls les frais relatifs à l'achat d'un vélo électrique pour les employés en contrat de 24 ou de 35 heures devront être partagés entre le recruté et le recruteur. Chez les concurrents, les auto-entrepreneurs (du fait de leur indépendance) doivent acheter leur équipement auprès des plateformes. Une pratique qui tend à disparaître chez Just Eat (via Stuart), tout comme la rémunération variable qui devient fixe, de l'ordre de 10,30 euros de l'heure (brut).

Mais la nouvelle a de quoi surprendre. Pendant des années, les plateformes numériques comme celle-ci n'ont cessé de répéter que le recrutement sous forme de salariat n'était pas viable économiquement.

Just Eat ne veut pas rester en retrait

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Le directrice générale de Just Eat France, Méleyne Rabot, a répondu aux questions de La Tribune. (Crédits : Just Eat France)

Pendant un temps, l'ex Allo Resto était leader de la livraison à domicile à Toulouse et en France grâce à son modèle basé sur le concept de marketplace (qui met en relation des restaurateurs avec des livreurs). Cela n'engageait pas l'entreprise à nouer de contrat avec un coursier  quel que soit son statut, mais avec divers partenaires (dont Stuart). Une stratégie gagnante... jusqu'à ce que l'entreprise se fasse grignoter ses parts de marché lors de l'arrivée de ses concurrents anglais et américains.

"Just Eat en France et à Toulouse, n'est pas dans une position de leader. Nous l'avons été pendant longtemps, lorsque le marché n'était que le marché de marketplace, qui est notre marché historique. Le marché de la livraison est arrivé en France il y a cinq ans et a complètement rabattu les cartes. Nous sommes un peu en retard par rapport aux autres acteurs du marché mais je ne suis absolument pas inquiète pour l'entreprise. Le marché est encore loin d'être arrivé à maturité. Tous les millenials qui sont encore chez leurs parents, qui font tout avec leur téléphone et qui ne peuvent pas s'en passer, ce sont nos clients de demain", explique Méleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France.

Dans ce contexte de concurrence féroce sur un marché français en pleine expansion, le groupe a décidé de changer de méthode dès juin 2020. Just Eat prévoit ainsi le déploiement d'un programme nommé 'Scoober', c'est-à-dire l'embauche de plusieurs flottes de livreurs en CDI en France, et plus particulièrement à Toulouse. La directrice générale défend ce choix.

"C'est notre axe clé de différenciation, très clairement. Nous souhaitons améliorer la qualité de prestation, et la professionnalisation et la sécurisation de ce corps de métier à travers le déploiement du service dans une trentaine de villes en France. [...] Toulouse fait partie de celles dans lesquelles on a déployé prioritairement ce service de livraison opéré par nos livreurs salariés car c'est la quatrième ville de France pour nous en termes de livraison. Sur l'ensemble du marché, c'est la troisième. Il faut donc qu'on fasse passer Toulouse comme troisième marché de notre côté aussi. C'est une ville à fort potentiel puisque c'est une énorme ville étudiante. [...] C'est la ville typique dans laquelle la livraison doit fonctionner et peut fonctionner", explique la dirigeante.

Méleyne Rabot indique par ailleurs que le recrutement des coursiers en CDI attire déjà de nouveaux clients et de nouveaux restaurateurs, qui permettent à Just Eat de grossir un peu plus chaque jour. Depuis le lancement de l'opération Scoober à Toulouse, la plateforme numérique n'aurait ainsi jamais été confrontée à un nombre de commandes insuffisant pour faire travailler l'ensemble de ses livreurs.

Les acteurs de la livraison "éthique" réagissent à l'annonce

Le coordinateur de la fédération coopérative de livraison à vélo CoopCycle présente dans huit pays, Adrien Claude, observe cette opération d'un bon oeil. Sans toutefois considérer que le pas emboité par Just Eat pourrait pousser les leaders Uber Eats et Deliveroo à suivre la marche, il se satisfait de voir qu'un tel acteur suit les recommandations que sa plateforme porte depuis 2017.

"Même si notre volonté d'exemplarité est surtout vis à vis des décideurs politiques pour leur montrer que le salariat est possible, la décision de Just Eat nous permettra de ne plus pouvoir accepter le discours jusqu'ici prononcé par ces plateformes. Donc à ce titre, nous sommes contents de cette décision qui confirme ce que nous disions depuis le début, même si nous estimons que c'est insuffisant parce que ce n'est pas un des deux gros acteurs de ce marché", fait savoir le coordinateur de CoopCycle.

Même son de cloche du côté de l'association Biclooo, un service de livraison responsable qui officie au centre-ville de Rodez (12) depuis l'année 2020. Ce partenaire de CoopCycle espère que l'annonce de Just Eat France amènera à une prise de conscience des consommateurs sur ce sujet. Son gérant, Alan Hay, indique que les restaurateurs sont plus sensibles au sujet et considèrent la collaboration avec des services responsables comme le sien comme une vraie valeur ajoutée.

"S'il y a des acteurs de premier plan, comme Just Eat, qui se mettent à communiquer sur une livraison éthique, responsable, sociale, peut-être que les consommateurs vont faire davantage attention à cela. Cela peut, peut-être, nous permettre de gagner une visibilité que nous ne pouvons pas nous payer. Cela tirera le marché vers ce que l'on fait déjà", espère Alan Hay.

Ces responsables de CoopCycle fonctionnent sur un modèle coopératif qui permet à leurs coursiers de participer aux décisions de leurs organisations, à la différence du toulousain AppliColis, pour qui la différenciation avec ces plateformes en prendrait un coup si les leaders de la livraison à domicile suivaient la décision prise par Just Eat.

"C'est très positif puisque cela rejoint ce que nous défendons comme valeurs. On ne peut que s'en féliciter. Just Eat n'est pas un concurrent direct, mais il est clair que si toutes les plateformes de livraison de repas se mettent à faire cela, nous n'aurons plus ce point de différenciation", indique Florent Fournier, cofondateur d'AppliColis.

Cette décision du groupe Just Eat intervient alors que la ministre du Travail a présenté le 21 avril l'ordonnance relative à la régulation des relations entre travailleurs indépendants.

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