Il est à peine 6 heures ce matin de décembre et déjà plusieurs dizaines de lève-tôt se pressent dans un hangar du quartier des Arènes à Toulouse pour participer à la campagne de prélèvements urinaires organisée par les Faucheurs volontaires. Fabien Nodin, 34 ans, habite juste à côté. "Je viens par curiosité personnelle et pour participer à un mouvement collectif", explique-t-il autour d'un café. Citoyen engagé dans associations soucieuses de la transition énergétique, comme Alternatiba ou ANV COP21, ce Toulousain réfléchit aussi soigneusement à ce qu'il met dans son assiette. "J'achète des produits bio au supermarché et des aliments du marché. Les seuls exceptions c'est quand je mange à l'extérieur, au restaurant", avance-t-il.
Fabien Nodin, 34 ans, vit aux Arènes à Toulouse (Crédits : Rémi Benoit).
Et pourtant, comme les 47 autres volontaires qui ont participé à la campagne toulousaine du 21 décembre, ses analyses urinaires montrent des traces de l'herbicide décrié de Monsanto, le glyphosate. Sur l'ensemble de l'échantillon, les taux varient entre 0,43 et 3,19 ng/ml (avec une moyenne de 1,113 ng/ml). Même s'il n'existe à ce jour aucun seuil limite dans les urines, les Faucheurs volontaires rappellent que le seuil maximal autorisé dans l'eau potable est de 0,1 ng/ml.
Fabien Nodin est dans la moyenne basse de l'échantillon toulousain avec 0,817 ng/ml, "peut-être se dit-il parce qu'il ne mange pas de viande rouge".
Mathieu Monnereau, 32 ans, vit à Lèguevin (Crédits : Rémi Benoit).
Mathieu Monnereau, la trentaine également, fait lui aussi attention à éviter les pesticides dans son alimentation. "Je fais mon potager, j'achète bio, local sur les marchés et en Biocoop", souligne-t-il. De son côté, il vit un peu plus dans la campagne toulousaine, à Lèguevin. Son taux de glyphosate dans les urines est de 0,950 ng/ml :
"Cela m'inquiète surtout pour mes deux enfants qui ont respectivement 1 an et demi et 6 ans. Ils en ont sûrement aussi !".
Claude-Isabelle Biason, 56 ans, vit à Saint-Simon (Crédits : Rémi Benoit).
"Je pense sérieusement que c'est un crime contre l'humanité que l'État n'agisse pas", lance plus véhémente Claude-Isabelle Biason. Agée de 56 ans, cette monteuse vidéo en reconversion vit dan le quartier Saint-Simon à Toulouse. "Je mange bio depuis mes 20 ans. Pour moi, c'est un souci de bien-être de ne pas manger trop de viande", avance-t-elle. Claude-Isabelle Biason fait partie des 45 participants de la campagne de prélèvements toulousaine à avoir décidé de participer au dépôt de plainte collectif lancé par les Faucheurs volontaires.
"C'est quelque chose de concret même si cela coûte des sous. 135 euros c'est cher !", fait-elle remarquer.
C'est en effet la somme demandée aux participants pour financer la venue de l'huissier pendant les prélèvements, ainsi que l'analyse des urines par un laboratoire indépendant en Allemagne.
Hubert Cros, 63 ans, vit à Launaguet (Crédits : Rémi Benoit).
"C'est intéressant de connaître le résultat mais il faut payer pour chaque analyse", note Hubert Crois, un autre participant qui a obtenu 0,800 ng/ml. Ce qui limite l'effet masse qui enrichirait la base de données. Cet ingénieur de 63 ans vit à Launaguet. "Quand j'ai acheté, il y avait encore des moutons mais aujourd'hui c'est vraiment la ville", observe-t-il. Tous les matins, pour aller au travail, il fait 40 minutes de vélo. "J'achète au maximum des produits bio et locaux au marché de l'Union, pas de produits industriels, sauf le chocolat", sourit-il. Hubert Cros connaît bien les Faucheurs volontaires, il a d'ailleurs été témoin de l'un des premiers arrachages de champs en 1997 dans l'Ariège par un certain José Bové.
Fabienne, François et Ondine Lespineux venus en famille pour participer à la campagne (Crédits : Rémi Benoit).
Parmi les volontaires, certains sont venus en famille. C'est le cas de François Lespineux, maire de Brax et vice-président de Toulouse Métropole, accompagné de sa femme Fabienne et de sa fille Ondine. "Il s'agit d'un acte politique. Nous vivons en zone périurbaine où il reste un quart d'espaces agricoles. L'agriculteur voisin passe à ras des maisons avec ses traitements", décrit l'élu de 52 ans. La famille Lespineux "mange bio à 50%, a rejoint une Amap et se fournit en farine dans les circuits-courts". Néanmoins, elle enregistre elle aussi près de 1 ng/ml, soit dix fois l'équivalent du seuil maximal dans l'eau potable. "Ce n'est pas comparable mais cela veut quand même dire que nous avons des traces de glyphosate dans nos urines. Cet herbicide n'est qu'une des multiples substances chimiques que notre corps absorbe", relève-t-il.
Une étude qualitative pour connaître l'impact de la présence de pesticides sur le mode de vie
Campagne glyphosate à Toulouse en décembre (Crédit : Rémi Benoit).
Pour l'instant, il est trop tôt pour tirer des conclusions d'après les échantillons. Les analyses des volontaires toulousains vont alimenter la base de données de la campagne nationale des Faucheurs volontaires qui compte désormais plus de 250 résultats fournis par un laboratoire indépendant en Allemagne. Mais déjà 1 500 personnes supplémentaires en France se sont portées volontaires pour réaliser des prélèvements. Ainsi, dans 55 départements, des prélèvements seront organisés.
"Au-delà des résultats quantitatifs, nous allons également mener des études qualitatives. Le jour du prélèvement, le participant va remplir un questionnaire pour connaître son âge, son mode de vie, son travail, etc. Une équipe de sociologues va mener une étude pendant deux-trois ans", expliquait il y a quelques semaines Dominique Masset, membre des Faucheurs volontaires ariégeois.
Cette enquête permettra peut-être d'établir des corrélations entre telle profession ou tel mode de vie et un niveau d'exposition au glyphosate. En parallèle, Atmo Occitanie dispose depuis 2018 de huit sites à travers la région pour mesurer les pesticides dans l'air. De quoi mieux connaître à terme les effets sur la santé des produits phytosanitaires.
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