Un an après, quel bilan pour les actionnaires chinois de l'aéroport de Toulouse ?

En avril 2015, l'actionnaire chinois Casil Europe rachetait 49,99 % des parts de la société Aéroport Toulouse-Blagnac, auparavant détenues par l'État. Quel premier bilan tirer de cette ouverture du capital ? Quels investissements et quelles retombées en termes d'image a-t-elle engendrés ? Revue de détail et analyse.
Sommet économique France-Chine en juillet 2015/ Anne-Marie Idrac et Jean-Michel Vernhes au sommet économique France-Chine devant l'aéroport.

C'était il y a un peu plus d'un an. Les opposants à la privatisation de l'aéroport Toulouse-Blagnac organisaient un mariage parodique qui devait unir l'aéroport de Toulouse et un consortium chinois, sous l'égide d'un faux Emmanuel Macron, ministre de l'Économie. Quelques jours plus tard, le 15 avril 2015, Casil Europe, une société à capitaux chinois, rachetait 49,99 % du capital vendu par l'État pour la somme de 308 millions d'euros. À ce moment-là, l'État détient toujours 10,01 % de la société de gestion de l'aéroport et promet alors de ne pas les vendre. Les 40 % de capital restants sont entre les mains des collectivités locales (CCI 25 %, Département 5 %, Région 5 % et Métropole 5 %).

Plus d'un an après l'arrivée du nouvel actionnaire chinois, quel bilan tirer ce mariage privé-public ?

Manif aéroport

Manifestation des opposants à la privatisation de l'aéroport en 2015 (Crédit : Rémi Benoit).

L'aéroport va doubler la surface dédiée aux commerces

L'un des objectifs de la privatisation était de pouvoir investir plus massivement dans le développement de l'aéroport. Dans un communiqué publié il y a quelques jours, Casil Europe annonce :

"L'ensemble des investissements prévus pour les cinq prochaines années s'élève à 162,5 millions d'euros contre 84 millions d'euros prévus par les actionnaires publics sur la période 2014-2018."

À quoi vont servir ces investissements? Les dirigeants de l'aéroport de Toulouse-Blagnac ont présenté au mois de janvier 2016 leur projet d'extension de la plateforme aéroportuaire. Doté de 30 millions d'euros, ce projet porté par l'actionnaire chinois prévoit de doubler la surface commerciale de l'aéroport d'ici à 2018.

"Les parkings représentent un très bon ratio de rendement. Ils ont rapporté 26 millions d'euros en 2015. En revanche, les ressources commerciales sont plus faibles, de l'ordre de 13 millions d'euros. En doublant la capacité commerciale à hauteur de 5 200 m2, l'objectif est également de multiplier par deux le chiffre d'affaires", détaillait alors le président du directoire Jean-Michel Vernhes.

Pour la présidente du conseil de surveillance Anne-Marie Idrac, "il s'agit d'une mise à niveau de la capacité commerciale d'ATB vis-à-vis de la concurrence. Une telle surface commerciale est devenue un standard dans les autres aéroports à l'étranger, mais aussi en France." Le projet d'extension prévoit également la construction d'une jetée pour l'embarquement direct des passagers des compagnies low cost et d'un hôtel 4 étoiles au cœur de l'aérogare par le groupe NH Hotel, qui compte des capitaux chinois.

extension aeroport

La mise en service du projet est prévue pour fin 2018. (Crédits : ATB)

Pour rappel, une première version du projet, qui prévoyait une extension de 5 000 m2 entre les halls A et B, avait dû être stoppée devant la réticence de Casil Europe.

 La conquête d'un tour-opérateur chinois plus difficile que prévu

Casil Europe a fixé un autre objectif stratégique : "développer les liaisons aériennes long-courrier, en particulier vers la Chine et l'Asie". Sur ce point, de l'aveu même d'Anne-Marie Idrac (interrogée sur le sujet le 28 juin), "la conquête d'un tour-opérateur chinois se révèle plus concurrentielle que prévu. Il existe à la fois une compétition avec les autres métropoles européennes mais aussi entre les villes chinoises elles-mêmes." L'aéroport espérait à l'origine lancer dès cet été des vols charters loisirs vers la Chine et faire voyager 16 000 personnes dès cette année. Elle comptait sur la mise en place de vols réguliers d'ici à 2018. Mais faute d'accord avec un tour-opérateur chinois, pour le moment aucune liaison directe vers la Chine n'est assurée ni même programmée. En attendant, les élus multiplient les opérations séduction à destination de la Chine. En septembre prochain, le président de Toulouse Métropole Jean-Luc Moudenc devrait ainsi recevoir une délégation de maires chinois pour renforcer les liens avec la Ville rose.

Lire aussi : Polémique sur les dividendes des actionnaires chinois : l'AG de l'aéroport de Toulouse reportée

Les Chinois participeront-ils au financement des grands projets toulousains ?

Au-delà du simple développement de l'aéroport, Anne-Marie Idrac a rappelé le 28 juin dernier lors d'une conférence de presse que le nouvel actionnaire allait permettre de "financer de grands projets de territoire à Toulouse et ailleurs". Les élus locaux souhaiteraient que les dirigeants de l'aéroport investissent dans la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse (coût total : 9,2 milliards d'euros) ou la construction de la troisième ligne de métro dans l'agglomération toulousaine (qui représente un investissement de 1,7 milliard d'euros). "L'objet social de l'aéroport permet de financer la station de métro à l'aéroport mais pas la ligne en elle-même. Mais Casil Europe est prêt à participer à ce projet", a ainsi détaillé la présidente du conseil de surveillance. En revanche, l'actionnaire chinois ne participera pas au financement du Parc des expositions.

L'aéroport de Toulouse deviendra-t-il un hub de 18 millions de passagers ?

À leur arrivée, les membres de Casil Europe ont fixé l'objectif que l'aéroport Toulouse-Blagnac atteigne les 12 millions de passagers d'ici à 2030 et 18 millions de passagers en 2046 contre 7 millions actuellement. L'actionnaire mise "sur une croissance annuelle du nombre de passagers de 4,5 % par an et une hausse annuelle de l'excédent brut d'exploitation de 9 % (avec un objectif d'EBITDA de 65 millions d'euros d'ici à 2020)".

Pour le moment, ce rythme de croissance n'est pas encore atteint. En 2015, l'aéroport a enregistré 7,6 millions de passagers et a annoncé un chiffre d'affaires de 123 millions d'euros en 2015 (+ 2 %) et un résultat avant impôts (EBITDA) constant de 41 millions d'euros. Pour booster la fréquentation, l'aéroport Toulouse-Blagnac a annoncé en mars dernier l'ouverture de 14 nouvelles destinations, soit + 4,5 % de sièges par rapport à 2015.

Mike Poon et le scandale des dividendes

L'arrivée de Casil Europe dans le capital de l'aéroport ne s'est pas faite sans heurts. Quelques semaines après l'annonce du choix du consortium par l'État, le PDG de Casil Europe, Mike Poon, cité dans une affaire de corruption en Chine, a "disparu" pendant plusieurs mois, une absence largement relatée dans les médias. Il a ensuite démissionné du conseil de surveillance de la société de gestion de l'aéroport fin septembre 2015.

Autre polémique née au printemps 2016 : le montant des dividendes réclamé par le nouvel actionnaire chinois. Casil Europe souhaite distribuer 40 des 67 millions d'euros de la réserve de l'aéroport aux actionnaires. L'information suscite un tollé chez les élus locaux. Le sénateur socialiste Claude Raynal a écrit une lettre ouverte au président de Toulouse Métropole Jean-Luc Moudenc pour s'inquiéter de cette redistribution des dividendes. De son côté, Valérie Rabault, députée du Tarn-et-Garonne et rapporteure générale du budget à l'Assemblée nationale, a sollicité le ministre de l'Économie Emmanuel Macron pour connaître "les dispositions inscrites par L'État dans le contrat de cession de ses parts au groupe Casil Europe et éviter que les réserves acquises au cours des exercices précédents ne soient ainsi prélevées."

Face à ce climat jugé peu serein, le directoire de l'aéroport Toulouse-Blagnac a décidé de reporter à une date ultérieure l'assemblée générale prévue le 28 juin. La réunion devait acter le versement de 17,5 millions d'euros de dividendes aux actionnaires (au lieu des 40 millions réclamés initialement par l'actionnaire chinois) et d'en verser 9 millions d'euros à Casil Europe.

L'État vendra-t-il ses parts restantes à Casil Europe ?

Un peu plus d'un an après l'arrivée de Casil Europe, la privatisation suscite toujours autant de remous à Toulouse. Et une autre polémique commence à émerger. Lors du rachat, les dirigeants chinois ont mis une option de vente sur les 10,01 % de parts encore détenues par l'État jusqu'en 2018, ce qui porterait leurs parts à 60 % et permettrait à Casil de devenir actionnaire majoritaire.

À l'époque, l'État a promis qu'il conserverait ses parts dans l'aéroport. Mais, à l'occasion de l'AG qui était prévue cette semaine, était à l'ordre du jour une réforme des statuts des collectivités pour qu'elles détiennent une majorité de blocage quand l'État n'aura plus de parts dans l'aéroport. Malgré la montée au créneau des élus locaux, il semble donc que les actionnaires d'ATB se préparent déjà à ce que Casil Europe devienne l'actionnaire majoritaire de l'aéroport.

Très inquiet, le président du Ceser (Conseil économique, social et environnemental régional) Jean-Louis Chauzy, a indiqué lundi avoir écrit un courrier à Emmanuel Macron pour demander à l'État de ne pas vendre en 2018 les 10 % de parts restantes au nouvel actionnaire chinois.

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