La gestion interculturelle, un atout pour les entreprises à l'export

Spécialiste de gestion interculturelle, Philippe Girard enseigne à Supaero après 20 ans passés chez Airbus comme ingénieur client. Le 7 juillet dernier, à l'occasion du forum destination international organisé par la CCI Midi-Pyrénées, il a livré quelques anecdotes et enseignements sur cette science fort utile aux entreprises qui exportent.
Une discussion entre des Chinois et des Français pendant le sommet économique franco-chinois, à Toulouse le 1er juillet dernier.

Avec la mondialisation, on pensait dans les années 70 que les cultures allaient s'uniformiser. "En somme, les Américains imaginaient que tout le monde penserait comme eux à terme, s'amuse Philippe Girard. Aujourd'hui, on constate l'inverse. Plus les frontières s'ouvrent et plus les enracinements locaux se renforcent", constate le professeur de Supaero." À l'heure du marché global, ces "enracinements locaux" et les différences culturelles qu'ils engendrent doivent être pris en compte par les entreprises pour comprendre et satisfaire leurs clients étrangers.

La leçon sonne comme une évidence, mais même les grands groupes peuvent s'y laisser prendre. Avant d'enseigner à Supaero, Philippe Girard a travaillé 20 ans au sein d'Airbus comme ingénieur client. Son job ? Accueillir les délégations venant assister aux différentes étapes de la fabrication de leurs appareils. "Pour la Lufthansa, ils étaient trois car ils étaient en confiance, se souvient-il. Les Chinois, à l'inverse, venaient à 25."

Les climatiseurs égyptiens

De cette longue expérience, il tire quelques anecdotes révélatrices.

"Quand nous avons livré un A340 VIP à l'ex-président égyptien Hosni Moubarak, il n'était pas satisfait de la climatisation, alors l'avion est revenu à Blagnac. Nous avons vérifié. Tout fonctionnait. Nous l'avons renvoyé", raconte-t-il.

Manque de chance, quelques temps plus tard, l'épouse du président se sent mal pendant un vol et Hosni Moubarak renvoie l'avion en France. Chez Airbus, on se creuse la tête pour régler le problème jusqu'à ce qu'un vendeur basé en Égypte apporte une explication. "Il nous a parlé du rôle social du climatiseur en Égypte, rapporte Philippe Girard. Plus c'est gros, mieux c'est. Pour l'avion, il fallait que cela souffle fort et froid et que cela fasse du bruit alors que nous avions tout fait pour que la climatisation soit silencieuse." Modifié, l'avion repart en Égypte. Une bonne fois pour toute.

La mésaventure d'Alstom en Chine

Autre continent, autres difficultés à se comprendre. Constatant que ses vendeurs remportent moins d'appel d'offres qu'auparavant en Asie, Patrick Kron, le Pdg d'Alstom demande à un spécialiste en gestion interculturelle d'accompagner une équipe qui se rendait en Chine pour vendre le Val (le petit métro commercialisé par Alstom, en activité à Toulouse) à la municipalité de Shanghaï.

"Première mauvaise surprise, on les fait attendre 4 longues heures dans un couloir, rapporte Philippe Girard.

Ensuite, les ingénieurs sont introduits dans une grande salle où leur font face 30 Chinois qui ne se présentent pas. Les Français parlent longtemps de leur produit, de ses caractéristiques techniques et de ses avantages. À la fin de leur intervention, un long silence, conclu par une seule question : 'De quelle couleur sera le métro ?'. Fin de la présentation. Les vendeurs repartent. Alstom n'a pas remporté l'appel d'offres à Shanghaï."

Pourquoi cet échec ? "Parce qu'ils n'étaient pas bien préparés", assure Philippe Girard, dont le diagnostic se résume en trois points.

  • Attendre
    "Il est normal d'attendre en Chine. En Occident, chaque seconde qui passe est une seconde perdue. Pour les deux tiers de la planète, le temps est cyclique, ce qui n'est pas fait aujourd'hui le sera demain. Cela fait qu'on ne sait jamais quand on va parler affaires."
  • Se présenter
    "En Chine et en Inde, on ne connaît pas toujours ses interlocuteurs. Les gens peuvent se présenter car ils savent que c'est important en Occident mais ce n'est pas une obligation pour eux. Il faut se présenter sans se froisser que cela ne soit pas réciproque."
  •  Parler
    "Nous parlons beaucoup car nous avons peur des silences. Pendant 20 minutes, les Français ont donné des informations que les Chinois ont ingurgitées. Or, parmi les 30 personnes qui les écoutaient, certains ne se connaissaient pas. Impensable dans ce cas de poser une question technique que d'autres ne comprendraient pas. Il s'agit de ne pas se mettre en avant. C'est tout l'inverse en France."

D'après le spécialiste, "les Français auraient dû dire 'nous venons de loin, vous avez un besoin, nous avons peut-être une réponse, mais nous voulons savoir ce que vous voulez.' Et ensuite, attendre en tenant le silence, car à la fin, agréablement surpris d'entendre un Occidental s'intéresser à leurs avis, les Chinois parlent."

La France, un pays paradoxal

Comment travailler avec des clients ou des salariés étrangers ? C'est toute la question de la gestion interculturelle des ressources humaines. À la base de cette discipline, il y a les travaux du psychologue néerlandais Geert Hofstede sur la différenciation culturelle. De ses études découlent six critères à prendre en compte :

  • La distance hiérarchique
  • Le contrôle de l'incertitude
  • L'individualisme et le collectivisme
  • La dimension masculine / féminine
  • L'orientation court terme / long terme
  • L'orientation indulgence / sévérité

Pas la peine d'aller en Asie ou au Moyen-Orient pour constater des différences culturelles notables dans les relations de travail. Entre la France et l'Allemagne, les habitudes diffèrent notablement.

Concernant la distance hiérarchique, "les Français estiment ne pas avoir beaucoup d'autonomie par rapport à leur chef, à la différence des Allemands et des Anglais, révèle Philippe Girard. D'ailleurs, en France, le chef a son bureau, sa place de voiture, voir son ascenseur personnel." En Allemagne, au contraire, "la distance hiérarchique est courte, estime l'enseignant. On ne craint pas le chef, qui délègue les responsabilités. Cela crée d'ailleurs une angoisse chez le travailleur allemand qui, du coup, s'organise avec rigueur." À l'inverse, en France, "on passe la balle à son chef lorsqu'il y a une décision à prendre, et cela finit sur le bureau du Premier ministre", sourit Philippe Girard.

"À l'étranger, nous passons pour une culture qui ne sait pas prendre de décision, poursuit-il. On nous voit comme un monde paradoxal, attaché au droit mais aimant le contourner, un pays consensuel mais qui aime les joutes orales."

Si Philippe Girard reconnaît que la gestion interculturelle n'est pas exempte de clichés, et que les choses sont "beaucoup plus nuancées en réalité", cette science permet de mieux appréhender les différences entre les pays. Car au final, "il ne faut pas chercher à se confondre avec les cultures étrangères, conclut Philippe Girard, mais plutôt comprendre les différences et les attentes des autres pays vis-à-vis de nous".

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