Conquérir le marché chinois, la longue marche des entreprises françaises

Toulouse accueillera à partir de mercredi le Premier ministre chinois et sa délégation de 200 entreprises. Une occasion en or pour les chefs d'entreprises toulousains qui souhaitent faire du business en Chine, et ils sont nombreux à être attirés par le gigantesque potentiel de l'Empire du Milieu. Pourtant, en 2013, seulement 1 400 entreprises françaises occupaient 1,18 % du marché chinois. Comment s'y préparer ? Quelles erreurs ne pas commettre ? Entre patience, humilité et prudence, entrepreneurs et consultants toulousains livrent leurs conseils et expériences.
Le forum France Chine se tient à Toulouse les 1er et 2 juillet prochain. Plus de 200 entreprises chinoises seront présentes.

La Chine. 1,3 milliard d'habitants dont 70 % d'actifs. 7 % de croissance en 2015. Un marché colossal que près de 1 400 entreprises françaises arpentent, même si cette présence reste modeste à l'échelle du pays. En 2013, en effet, la part de marché de la France en Chine était de 1,18 %, selon les données chinoises.

Tout appétissant qu'il soit, le marché chinois n'est pas des plus faciles à appréhender.

Le "packaging chinois"

"Nous y sommes arrivés avec une très haute vision de la France et de nos produits, témoigne le Toulousain Serge Atia, directeur général de French Delice. Et nous nous sommes trompés dès le départ sur la marque et le packaging."

Comme en France, la société spécialisée dans la cuisine traditionnelle et les spécialités françaises misait sur son image "bio et produit en France" pour aguicher les clients chinois. "Ce sont des préoccupations françaises et pas chinoises, constate Serge Atia. En Chine, les consommateurs veulent de la sécurité alimentaire, de la traçabilité et des produits non-contrefaits. Il faut se focaliser là-dessus."

Après une année sur le terrain, l'entreprise toulousaine a remodelé sa stratégie et ses produits.

"Pour nos galettes pur beurre, par exemple, nous avons retiré du sucre et rajouté 20 % de beurre. Du vert, nous sommes passés au rouge et or, qui parlent plus aux clients là-bas", énumère Serge Atia.

En bref, French Delice s'est "customisé chinois". Son site internet est d'ailleurs accessible en mandarin. "Les entreprises qui vont en Chine en anglais se font ratatiner", remarque l'entrepreneur, qui a embauché trois collaborateurs pour être présent sur les réseaux sociaux chinois comme Baidu. "Facebook, Google, Gmail et WeTransfer sont interdits là-bas, rappelle-t-il. On se rend compte de leur utilité quand on ne les a plus."

Humilité et patience

Outre ses efforts pour s'adapter au marché chinois, l'entrepreneur se rend sur place une fois par trimestre pendant 15 jours.

"Il faut mouiller sa chemise et être patient. Nous avons vu certaines personnes à cinq reprises et nous ne sommes pas encore en affaires. Les rendez-vous se font à table. Il faut créer de la convivialité", conseille Serge Atia, qui retournera en Chine fin juillet.

Une persévérance qui a un prix : près de 20 000 euros le voyage. "Il faut un fonds de roulement et avancer de l'argent sans espérer un retour immédiat, prévient Serge Atia. Il faut être humble et ne pas arriver en conquérant."

L'humilité, c'est aussi le conseil du cabinet Brunerie-Irissou Architectes, basé à Albi. Présent en Chine depuis 15 ans, l'agence y voit l'opportunité de développer ses compétences en se frottant à des projets d'envergure comme la tour de bureaux de 180 mètres à Ürümqi, dans la province du Xinjiang, ou plus récemment pour revisiter le design du pont de Ningbo, au sud de Shanghaï.

"Nous y amenons notre méthode française et nous profitons d'une évidente image de marque orientée vers le luxe. C'est un atout dont il faut jouer car nos clients y sont sensibles, explique l'architecte Thomas Brunerie. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous sommes supérieurs. Nous avons travaillé avec des façadiers qui n'ont rien à envier à leurs homologues français. C'est un marché très réglementé et protectionniste. Nous devons nous y associer avec des acteurs chinois."

Si, en 2009, le cabinet a ouvert un bureau à Shanghaï (la capitale économique du pays) avec deux anciens collaborateurs chinois d'abord passés par Albi, cela ne fait pas tout. "Il faut rencontrer les clients sur place, constate Thomas Brunerie. Jusqu'à présent, nous avons peut-être trop privilégié le marché français pour pouvoir nous rendre régulièrement là-bas. C'est ce que je vais faire à l'avenir."

Aujourd'hui, le marché chinois représente 8 à 10 % des 6 millions d'euros de chiffre d'affaires de l'agence albigeoise. "Il faut accepter d'être concurrentiel en termes de prix. C'est une bonne piste mais nous ne sommes pas prêts à tout pour l'approfondir, relate Thomas Brunerie. Faire du chiffre sans rentabilité, ce n'est pas notre objectif."

Savoir bien s'entourer

Autres difficultés identifiées par l'architecte : l'imposition particulière et une réglementation nébuleuse qui diffère selon les provinces.

"Cela oblige à avoir des intermédiaires chinois, conclut Thomas Brunerie. Le rôle du traducteur est très important car il permet d'éviter certains conflits qui disparaissent à la traduction. La signification des couleurs, les règles à table, tout cela est très important. Il faut bien s'entourer avec des gens à la double culture pour faciliter les affaires."

Accompagner les entreprises françaises en Chine et favoriser les échanges entre les deux pays, c'est justement l'objectif d'Ansino Consulting, une société de conseil fondée par la franco-chinoise Qing Wang-Bousquet, également représentante du Sitri, l'Institut de recherche industrielle en micro technologie de Shanghaï.

"Les entreprises viennent vers moi quand elles rencontrent des difficultés en Chine, explique-t-elle. Je les conseille lorsqu'elles ont des problèmes de communication ou qu'elles ne comprennent pas le système administratif."

Selon la gérante d'Ansino Consulting, le marché chinois présente deux particularités qui doivent être prises en compte par les entreprises françaises.

  • Gigantesque, il doit être sectorisé géographiquement car "du nord au sud du pays, il y autant de différences qu'entre Amsterdam et Madrid. La réponse ne peut pas être la même."
  • En forte croissance depuis les années 80, le marché chinois n'est pas encore structuré. "Il y a des places à prendre. Il faut être flexible et savoir saisir les opportunités quand elles se présentent. Le marché est très concurrentiel, il évolue très vite."

Si le principal obstacle à la réussite des entreprises françaises en Chine est d'ordre culturel, selon Qing Wang-Bousquet, cette dernière fait également un étonnant constat qui pourrait donner un avantage aux entreprises françaises :

"En vivant 10 ans dans le sud de la France, j'ai observé que la culture chinoise est plus proche de la culture méditerranéenne que de celle des anglo-saxons, affirme-t-elle. Pour les deux, l'intuition et le réseau (le guanxi) sont importants dans les relations."

Deux éléments à prendre en compte lors du choix du partenaire chinois. "Il faut avoir une relation de confiance et d'enrichissement mutuel, recommande Qing Wang-Bousquet. Le meilleur n'est pas forcément le premier rencontré."

Savoir se protéger

Bien choisir son partenaire chinois et ne pas faire preuve de naïveté, c'est aussi le point de vue de Mathieu Bringer. "Il est classique que le partenaire devienne le premier contrefacteur au bout de quelques années, révèle le responsable du bureau toulousain du cabinet Gevers, conseil en propriété industrielle. Il ne faut pas déléguer la gestion de la propriété intellectuelle au partenaire." Plus simple de prime abord, cette solution peut se révéler néfaste à terme et forcer l'entreprise française à racheter les droits d'utilisation de ses produits.

L'empire de la contrefaçon est cependant en train de changer son fusil d'épaule.

"Maintenant que la Chine innove, elle fait évoluer son droit pour protéger l'innovation, constate Mathieu Bringer. Depuis 10 ans, 30 % des dépôts de brevets dans le monde sont chinois."

Résultat : les entreprises chinoises n'hésitent pas à se "faire la guerre" entre elles à coups d'actions en justice (100 000 actions en contrefaçons par an aujourd'hui dans le pays, contre 4 000 auparavant).

Cette situation pourrait bénéficier aux entreprises françaises si elles utilisaient elles aussi cette arme commerciale. "Elles pensent que cela ne sert à rien et viennent se plaindre d'être copiée, remarque le spécialiste de la propriété intellectuelle. Mais s'il n'y a pas de dépôt de droit, il n'y pas contrefaçon et on ne peut rien faire."

Pourtant, à l'image de la société HBF, spécialisée dans le matériel électrique, de domotique et d'éclairage, à Auterives (31), la riposte est possible. "Ils ont mis en demeure plusieurs contrefacteurs chinois, les menaçant d'action en justice et ces derniers sont devenus licenciés, relate Mathieu Bringer. Avec une mesure simple, HBF a limité la contrefaçon."

Aux dires de Mathieu Bringer, les entreprises françaises seraient de mieux en mieux sensibilisées.

"Je pense qu'on se prépare mieux aujourd'hui, se félicite-t-il. Les sociétés savent que c'est un marché important et font les choses dans le bon sens." À commencer par exemple, par déposer sa marque en lettres latines et en caractères chinois.

Une évidence pour se faire comprendre en Chine.

Retrouvez l'interview de Mathieu Bringer, réalisée le 28 juillet 2014 :

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