Fusion des régions : dans quels secteurs les entreprises vont-elles coopérer ?

Agriculture, recherche, santé, tourisme : dans quelles filières les acteurs économiques de la future grande région vont-ils pouvoir travailler ensemble ? Existe-t-il des activités pour lesquelles aucune collaboration n'est possible entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ? Quid de la mutualisation des marques de promotion du territoire ou des instituts de recherche ? Une chose est sûre : la puissance du nouvel ensemble s'évaluera par la capacité de tous ses acteurs à travailler en complémentarité. Décryptage.
La viticulture, secteur sensible pour la coopération Midi-Pyrénées Languedoc-Roussillon

L'espace est entré par la (très) petite porte en Languedoc-Roussillon. Le Centre spatial universitaire (CSU) de Montpellier, dont la première pierre a été posée le 16 décembre dernier, sera dédié aux nanosatellites. Il est financé par la Fondation Van Allen, dirigée par Michel Courtois, ex-directeur du Cnes de Toulouse. Malgré un historique proche de zéro dans cette région, l'initiative a convaincu les Toulousains de TRAD (tests de fiabilité) et Intespace de s'y installer.

"Les nanosatellites sont un secteur très porteur, car ils sont des vecteurs spatiaux pour des entreprises qui souhaitent développer des activités à grande échelle, assure Paul-Éric Dupuis, directeur exécutif d'Intespace. En tant que leader des centres d'essais spatiaux en Europe, nous apportons notre savoir-faire à Montpellier, et nous venons chercher des partenariats."

Le CSU incarne en effet la possibilité de combiner les potentiels des deux régions, malgré certains déséquilibres hérités de l'histoire. Le secteur de l'aéronautique et de l'espace emploie plus de la moitié des effectifs de l'industrie en Midi-Pyrénées (144 000 salariés). En Languedoc-Roussillon, nulle trace d'Airbus (20 000 emplois à lui seul en région toulousaine), de Latécoère, de Safran ou de poids lourds similaires.

Mais Sabena Technics dispose de deux bases, à Perpignan et à Nîmes. Autour de l'aéroport de cette ville, un pôle d'activités (750 emplois, 2 000 militaires) se positionne comme le 3e centre de maintenance aéronautique en France, grâce à 15 entreprises dont AVDEF (Airbus Group), Veolia Transport ou le Groupement d'hélicoptères de la sécurité civile (GHSC). La fusion des régions ouvrira peut-être de nouvelles voies.

"Midi-Pyrénées maîtrisait déjà l'air, la terre et la montagne, observe Christophe Nicot, directeur général de l'agence de développement économique midi-pyrénéenne Madeeli. Demain, nous allons découvrir l'économie de la mer. Les sous-marins peuvent représenter une activité de diversification pour les acteurs de l'aéronautique et du spatial. C'est une opportunité à saisir."

De même, le boom du numérique appliqué aux transports (espace, aéronautique, ferroviaire) a permis de faire de Midi-Pyrénées le leader européen des systèmes embarqués, et l'écosystème languedocien recèle un gisement d'expertises connexes telles que les capteurs, l'infrarouge, l'applicatif ou l'imagerie satellitaire, via notamment la Maison de la télédétection (Montpellier).

La santé, un domaine de coopération ?

Domaine d'excellence reconnu des deux côtés, la santé offre un autre exemple de synergies émergentes. Chaque région dispose de son pôle de compétitivité : Cancer-Bio-Santé (96 adhérents, 155 projets labellisés) à Toulouse et EuroBiomed (136 adhérents, 121 projets) à Montpellier. Ils ont déjà colabellisé, en 2012, un projet sur le cancer du sein.

"Nos deux pôles ont chacun des personnels et des fonctionnements en propre, relève Pierre Montoriol, président de CBS. Nous sommes plus spécialisés sur certains sujets, mais en termes de dispositifs médicaux, notamment dans le diagnostic, nous comptons moins d'entreprises qu'à Montpellier."

En cancérologie, le Cancéropôle Grand Sud-Ouest est un pilier majeur, qui s'étend de Limoges à Nîmes. Il passe par Montpellier, où le seul ICM (Institut du Cancer de Montpellier) compte
932 salariés, 111 médecins et traite 28 000 patients. Plus récemment, les politiques dites "3S" ("stratégies de spécialisation intelligente", adoptées dans le cadre des programmations européennes 2014-2020) ont fait apparaître d'autres spécificités : "Recherche en oncologie et gérontologie" et "Ingénierie cellulaire et médecine régénérative" en Midi-Pyrénées ; "Thérapies innovantes et diagnostic" en Languedoc-Roussillon. De quoi aller plus loin ?

"Il n'y a de coopération que s'il y a un intérêt commun, prévient Jacquie Berthe, président d'EuroBiomed. En 2010, nous avions créé un méta-cluster franco-espagnol (BioCluster Sud de l'Europe, NDLR), mais il n'a plus fonctionné au fil du temps."

Sur la même thématique, les stratégies "3S" constituent une sorte de grille des convergences dès lors que les axes prioritaires, approuvés par les deux assemblées régionales en 2014, semblent se recouper ou se compléter. "Les liens entre l'enseignement supérieur et la croissance économique appartiennent aux deux stratégies '3S', note Anne Lichtenberger, directrice de Transferts LR. C'est le signe que l'on peut les développer de façon encore plus mutualisée. De même, la 3S montre que nous partageons la volonté de booster l'économie de la matière grise, de pousser l'innovation dans toutes les directions. Avec une inflexion sur les primo-innovants et les TPE en Midi-Pyrénées, et l'économie sociale et solidaire en Languedoc-Roussillon."

La viticulture, un sujet sensible

Les coopérations seront-elles plus simples à mettre en route dans les secteurs dits traditionnels ? Dans l'agroalimentaire, les principaux acteurs tiennent d'abord à afficher leur force, avec un chiffre d'affaires cumulé de 11 milliards d'euros, contre 6 milliards d'euros pour l'aéronautique.

"Nous avons des agrochaînes qui ne feront que se renforcer dans la nouvelle région, telles que la vigne et l'arboriculture, cite Daniel Segonds, président du pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation (300 adhérents), à Toulouse. De même, nous avons déjà une coopération poussée avec le pôle de Montpellier, Qualiméditerranée (105 adhérents, NDLR), sur le blé dur."

Même si, du côté de Languedoc-Roussillon Industries Agroalimentaires (900 entreprises, 8,6 milliards d'euros de CA), on pointe des différences de structuration avec les homologues de l'Aria Midi-Pyrénées (700 entreprises, 6 milliards d'euros).

"Ils n'ont que deux permanents et nous six, souligne le président, Didier Barral. Il sera difficile de tracer une transversale sur l'agro qui ira de Cahors jusqu'aux Costières de Nîmes, sur un territoire qui produira à la fois de l'huile d'olive et du foie gras. Tout n'est pas harmonisé en Languedoc-Roussillon, mais c'est à peu près cohérent. En 2016, avec Toulouse, il faudra retravailler sur cette cohérence."

Sujet encore plus sensible : la viticulture. Les deux filières se félicitent, bien entendu, de constituer le plus grand bassin viticole du monde (près de 300 000 ha, 50 dénominations).

"Il y a des actions communes à mener sur les salons, la communication et la promotion, indique Paul Fabre, directeur de l'Interprofession des Vins du Sud-Ouest. Ensuite, chacun apporte quelque chose de différent : les vins du Sud-Ouest se caractérisent par un encépagement plus océanique et pyrénéen, alors que ceux du Languedoc-Roussillon ont un profil plus méditerranéen. Même s'il y a des points communs entre Limoux et Gaillac !"

Par delà les déclarations de bonnes intentions, la puissance économique de chacun, on s'en doute, primera. Tous les acteurs interrogés prennent soin de chiffrer, avant toute chose, l'état des forces en présence. Pour prendre date ? Pour mieux peser sur la suite des évènements ? Sans doute un peu des deux.

"Nous avons des productions différentes, souligne Jacques Gravegeal, président de l'interprofession Inter Sud de France. Mais avec une production répartie sur 236 000 ha, contre 34 000 ha en Midi-Pyrénées, nous sommes largement dominants sur les vins doux naturels, les vins tranquilles et les IGP-AOP. Dans le tissu coopératif, la force du Languedoc-Roussillon est colossale et celle de Midi-Pyrénées infime."

Une analyse que confirme Joël Boueilh (Plaimont Producteurs, à Saint-Mont, dans le Gers) :

"Nous savons combien le poids de la vigne est important en Languedoc-Roussillon. La viticulture de Midi-Pyrénées, mosaïque de petites appellations, doit trouver sa place aux côtés de ce colosse. Il ne faut pas avoir peur."

Alors que, selon toute logique, Toulouse devrait hériter de nombreux centres de décision, la question du leadership paraît sensible dans les secteurs où les Languedociens se sentent plus forts. "Il y a un enjeu pour Montpellier à revendiquer une position de leader sur l'agro-agri, assène Didier Barral. Ce qui devrait nous amener à garder une direction régionale. Sinon, la fusion des régions serait un gros échec." D'autres acteurs situent l'enjeu ailleurs. "Le Languedoc-Roussillon, ce n'est pas uniquement la filière viti-vinicole et le tourisme, rappelle Agnès Tixier, directrice d'Invest Sud de France. Nous avons ici des sites industriels. Mais notre industrie n'est pas mono-orientée." Alors que l'aéronautique pourrait monopoliser l'attention des élus, les autres filières s'inquiètent en effet de garder leur influence.

"Il faut savoir ce que nous représentons dans une nouvelle région où l'industrie lourde n'existe pas et où l'industrie primaire reste l'agriculture, explique Jacques Gravegeal. Nous voulons peser pour ne pas être tondus."

Le tourisme, enjeu capital de la fusion

Une filière cristallise, mieux que toute autre, ces débats. Avec 95 000 emplois, 30 millions de visiteurs, qui génèrent 14 milliards d'euros de retombées dans les deux régions, le tourisme est un enjeu majeur. "Nos deux régions se complètent, affirme Corinne Giacometti, présidente de Sud de France Développement. Nous aurons la mer et la montagne, les Pyrénées mais aussi le Massif Central. Nous aurons un espace rural de qualité, des rivières, des forêts..." Reste à mettre en musique une telle partition.

"Si Midi-Pyrénées adopte la destination Sud de France, ce que je souhaite, nous pourrons encore plus miser sur l'art de vivre et séduire, par la transversalité de l'offre, les clientèles lointaines à fort pouvoir d'achat", poursuit Corinne Giacometti.

À la tête du comité régional du tourisme (CRT) Midi-Pyrénées, Philippe Guérin semble moins enthousiaste : "Il faut utiliser tous nos atouts. La Méditerranée et les Pyrénées, qui peuvent devenir une marque. La politique des Grands Sites, puisque Midi-Pyrénées compte déjà 25 sites classés. Et Sud de France, qui est un de ces éléments. C'est à la nouvelle assemblée régionale qu'il reviendra de dire quel est le vecteur de communication le plus efficace."

De fait, le sort de la marque Sud de France, créée par Georges Frêche en 2006, trotte dans toutes les têtes. Au vu de son succès, son extension à Midi-Pyrénées est-elle inexorable ? "Il y a déjà un rayon Sud-Ouest en grandes et moyennes surfaces : c'est une réalité, et elle perdurera", répond Paul Fabre.

Des tensions se profilent

La reconfiguration des outils existants, et les tensions qui l'accompagneront, se profilent partout. Quid des deux sociétés d'accélération de transferts de technologies ? "Pour les entreprises, ça fait deux chéquiers au lieu d'un", assure Christophe Nicot. Quid des pôles de compétitivité ? Gérés par l'État, ils pourraient, via la réforme territoriale, passer au moins en partie dans le giron des Régions. Celles-ci devront se prononcer sur leur périmètre.

"Soit nous créons un grand pôle qui va de Marseille à Toulouse, soit la partie languedocienne part à Toulouse, tranche Jacquie Berthe. Au vu de la bonne dynamique enclenchée en Paca, je suis opposé à la scission d'EurobioMed. Tout dépendra de la façon dont Toulouse et Montpellier travailleront ensemble." Même analyse pour Agri Sud-Ouest Innovation : "Le vin a été défini comme un axe stratégique de la 3S en Midi-Pyrénées et, sachant le poids du Bordelais, le pôle restera donc à cheval sur deux régions, avec l'Aquitaine", assure Daniel Segonds. Lequel s'interroge néanmoins sur la métropole, dont l'émergence pourrait provoquer d'autres corrections : "Notre mission est de porter des projets innovants sur tout le territoire régional, et non pas de faire des clusters sur des zones déterminées comme les métropoles. Il faut bien réfléchir aux moyens qu'on nous donne pour l'assurer."

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Commentaire 1
à écrit le 21/04/2015 à 20:24
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Quelle vision doctrinale et pour tout dire étatiste. Heureusement que les chefs d'entreprises ne fonctionnent pas encore selon ce type de schéma. Quand ce sera le cas, c'est qu'il n'y aura plus que de l'économie administrée. Le rêve des politiques sa...

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