L'Europe économique au cœur des débats à Toulouse pour la 4e édition du Sommet du Grand Sud

Riche en débats et en échanges, le 4e Sommet Economique du Grand Sud a permis a de nombreux chefs d'entreprises et représentants des collectivités de présenter leurs attentes et leurs espoirs vis-à-vis de l'Europe. Compte-rendu des thèmes abordés lors des différentes tables rondes.
Le débat sur la fuite des talents le 8 avril à Toulouse

Articulé autour de plusieurs moments forts, l'événement a permis de débattre de plusieurs thématiques en lien avec l'Europe. Quatre échanges ont rythmé la matinée et permis à de nombreux chefs d'entreprises, dirigeants de start-up, hommes politiques et institutionnels de présenter leur vision de l'Europe.

L'Europe, un frein ou un atout pour faire émerger des leaders économiques mondiaux?
Au cours du premier débat de la matinée, animé par Emmanuelle Durand-Rodriguez, chefs d'entreprises et chercheurs ont tenté de répondre à la question : "L'Europe, un frein ou un atout pour faire émerger des leaders économiques mondiaux ?". Michel Gardel, vice-président de Toyota Motor Europe, est tout d'abord revenu sur la vision stratégique de son groupe. "L'Europe est pour nous un marché fondamentalement important, explique-t-il. Nous y avons d'ailleurs une forte représentation industrielle, notamment en France, avec notre usine de Valenciennes, mais aussi en Grande-Bretagne, au Portugal, en Pologne et en République Tchèque, par le biais d'un partenariat. Pour nous, il est fondamental de produire près des marchés."

Le capitaine d'industrie dénonce en revanche "l'Europe tatillonne et peu cohérente" et réclame "davantage de stabilité" de la part des institutions européennes. La question du coût du travail, elle, n'est selon lui que secondaire dans le choix des implantations de son groupe : "Il ne faut pas avoir une vision opportuniste des investissements. Il est important de revisiter l'ensemble des coûts opérationnels."

Beaucoup de contraintes
De son côté, Marc Ivaldi, directeur de recherche à Toulouse School of Economics (TSE), a rappelé le poids économique de l'Union européenne. "L'Europe, c'est un géant, explique-t-il. C'est la première zone économique mondiale, c'est 23 % du PIB de la planète et c'est la première destination des investissements mondiaux." Pour l'économiste, le grand problème de l'Europe réside dans "ses contrastes". "Certains pays ont 5 % de chômage, et d'autres 20 %, rappelle-t-il. Nous avons par ailleurs des écarts de salaires considérables. La situation est très différente aux Etats-Unis, où il y a une plus grande flexibilité et une plus grande mobilité du travail."

Pour Michael Ehmann, président de la société gersoise Nataïs, leader sur le marché du pop-corn, l'Europe est avant tout un marché cible privilégié. "Nous y réalisons 90 % de notre chiffre d'affaires", explique le chef d'entreprise. Et sur le sujet des contraintes réglementaires européennes, l'homme se veut mesuré. "Le marché commun est une chance pour nous, car il simplifie notre commercialisation, assure-t-il. Quant aux réglementations européennes, finalement, ce n'est pas le vrai problème. Ce qui nous impacte le plus, c'est la transposition nationale des réglementations européennes. La France en remet en effet souvent une "couche" supplémentaire."

Faciliter l'action des entreprises
De son côté, Pierre-André Buigues, professeur à Toulouse Business School (TBS), est revenu sur la différence de modèles stratégiques entre le France, qui souhaite construire des champions économiques européens, et l'Allemagne, pour qui tous les efforts doivent être concentrés dans le déploiement d'une politique de la concurrence. Une opposition idéologique qui est à la source du fonctionnement européen, basé sur le consensus. "Il a fallu apprendre à parler un langage commun, confirme l'économiste. Et finalement, quatre grands domaines ont émergé : le soutien aux PME, le soutien à la R&D, l'environnement et le développement régional."

L'Europe, un levier précieux à activer par les entreprises ? C'est sur ce thème qu'est intervenu Didier Cujives, président de Midi-Pyrénées Europe. "Notre rôle consiste à simplifier la vie des entreprises, en identifiant les différents fonds susceptibles d'être mobilisés, qu'il s'agisse des fonds structurels (FSE, Feder, Feader, NDLR) ou de fonds sectoriels." Un travail réalisé parallèlement aux actions des pôles de compétitivité, comme le souligne Agnès Paillard, présidente d'Aerospace Valley. "Il y a une espèce d'idée reçue selon laquelle les projets européens collaboratifs seraient difficiles à mettre en oeuvre. C'est inexact. Ils sont directement mobilisables, y compris pour les PME."

"Accélerer les démarches pour respecter le time to market"
Un message parfaitement reçu par Yoann Barbey, directeur de l'innovation et du développement de la société Sterela, basée à Pins-Justaret, qui vient de coordonner un projet collaboratif. "Nous avons monté notre dossier avec l'aide d'un cabinet spécialisé, qui a également recherché pour nous les différents partenaires européens qui composent notre consortium. Tout s'est très bien passé. Le seul bémol : nous avons attendu un an et demi entre le montage du projet et le versement des premiers fonds."

De son côté, Denis Laplane, directeur de la clientèle entreprises et membre du comité exécutif de la banque de détail de BNP Paribas, a rappelé le déploiement européen de l'établissement bancaire, destiné à faciliter l'accompagnement des entreprises à l'international. "Avec ce dispositif, nous créons un effet d'entraînement global", estime-t-il.

Un lobbying indispensable
La fin du débat a porté sur la question du lobbying. Avec notamment le témoignage de Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, en conflit, jusqu'à il y a quelques mois, avec les institutions européennes sur un sujet technique. "Nous avons été contraints de nous battre afin de fédérer l'ensemble des acteurs de la filière à l'échelle européenne, ainsi que les élus, explique-t-il. Ce combat a duré quatre ans". Mais il s'est finalement avéré payant.

Le lobbying fait également partie du quotidien des six permanents de Midi-Pyrénées Europe installés à Bruxelles. "Nous sommes l'un des 2.600 bureaux de lobbying dûment enregistrés, explique Didier Cujives. En France, le lobbying est presque un gros mot. A Bruxelles, c'est le quotidien. Notre mission consiste à accompagner les entreprises régionales, à les aider dans leurs démarches auprès des institutions européennes. A Bruxelles, ce n'est pas la voix du plus fort, mais du plus efficace, du plus compétent". Un constat partagé par Michel Gardel. "Il vaut mieux toujours travailler au niveau technique qu'au niveau politique", ajoute-t-il.

L'interview de Filippo Bagnato
Le deuxième moment fort de la matinée était l'intervention du président d'ATR, interrogé par Alexandre Léoty. Avec un CA de 1,6 Md€, leader sur le marché européen des avions régionaux, ATR est une entreprise vraiment européenne, filiale d'Airbus Group et de Finmeccanica. "Un avantage", selon Filippo Bagnato. Lors de son témoignage, Filippo Bagnato est revenu sur les points mis en avant au court de la première table ronde. Convaincu que l'Europe a un avenir industriel, il a fait sien le vœu prononcé par Tom Enders dans son intervention, à savoir "un plus grand équilibre entre l'Europe des règles et l'Europe de la propulsion".

Sur la question de l'euro, il a plaidé pour le "quantitative easing", soit l'assouplissement quantitatif. Selon lui, un taux de l'euro compétitif se situe entre 1,15 et 1,25 dollar. Filippo Bagnato a également mis l'accent sur trois points essentiels de la compétitivité des entreprises : "la réactivité, le courage et la prise de décision. A Bruxelles, s'ils se rappellent de ça, cela permettrait de relancer l'Europe." Une Europe qu'il reconnait "à l'écoute mais qui tarde à mettre en œuvre des actions concrètes, notamment sur les règles du commerce international." Selon lui, le respect de ces règles est "un des points clé pour relancer l'Europe. Il faut également un effort de réindustrialisation." Le président italien d'ATR est enfin revenu sur les élections européennes. Un scrutin qu'il voit comme "crucial. Il faut que l'on revienne à l'Europe des citoyens, que l'on retrouve l'équilibre entre contrôle et dynamisme. L'Europe doit trouver des leaders pour combattre le populisme."

Europe : peut-on arrêter la fuite des talents ?
La fuite des talents est un enjeu important. Entre 1,5 et 2 millions de français vivent à l'étranger et chaque année, 60.000 à 80.000 fotn le choix de l'expatriation. Une étude indique que 27 % des diplômés français voient leur avenir à l'étranger. Pour 19 % d'entre eux, la France ne présente pas les arguments suffisants pour les retenir. Invité à débattre de la question, Bruno Sire, président de l'Université Toulouse 1 Capitole, se félicite lui "que les étudiants partent. On les encourage. Il faut des gens mobiles qui maîtrisent les langues. Le problème est plus de les faire revenir. Est-on en mesure de leur proposer quelque chose pour les faire revenir ?'" s'inquiète-t-il. Pour lui, un étudiant qui ne revient pas, "économiquement, c'est dramatique, vu son coût pour la société".

Pour Camille Le Gal, étudiante à TBS et présidente d'Escadrille, la junior entreprise de l'école, cette question n'en est pas vraiment une. "J'ai l'impression que les étudiants reviennent vraiment en France. Ils sont à la recherche d'un climat de travail. Il faut différencier étudiants et entrepreneurs. Pour eux, c'est une question de marché, un accélérateur de business." "La viticulture est un secteur hyper mondialisé dans lequel la France tient sa place. Il y a des flux humains dans tous les sens. Œnologues et sommeliers accumulent des expériences à l'étranger. Des étrangers viennent en France. Tout cela est positif", s'est lui félicité Paul Favre, président de l'Interprofession des vins du Sud-Ouest. Il reconnaît cependant qu'il faut créer les conditions pour inciter les talents à rester. "Ce n'est pas que le volet salarial. Il faut libérer un peu de créativité, créer des environnements propices."

En direct depuis San Francisco, Marc Rougier a de son côté expliqué que l'international "est une action de conquête. Je suis parti aux US pour exporter le savoir-faire français." Pour le fondateur de Scoop.it, cette question est franco-française. "La France continue de faire rêver. Il y a plus de gens qui viennent que de gens qui partent. La situation globale n'est pas catastrophique. La France doit jouer avec ses atouts et casser les castes." Directeur de cabinet de l'agence 2e2f, Jean-Luc Prigent est revenu sur le programme Erasmus. "C'est l'Europe qui marche. La France est le 3e pays le plus attractif pour les jeunes diplômés dans le monde." Il explique qu'il "n'y a pas de véritable fuite des cerveaux mais une augmentation de la mobilité. La compétition est cependant mondiale pour les grands talents. A nous de vendre la qualité de nos chercheurs."

Enfin Mauricio Ortiz, fondateur de la start-up Wriha. Double diplômé de l'université de Bogota et de l'Insa, ce Colombien, arrivé en France à 2007, a donné son point de vue. "J'avais le choix des États-Unis, du Canada mais j'ai choisi la France. Tous ces échanges me permettent de connaître un marché international directement."

Le Grand Sud et l'Espagne : quels nouveaux liens économiques ?
Le dernier temps fort de la matinée était dédié au développement des relations de business entre le Sud-Ouest de la France et le nord de l'Espagne. L'occasion pour Pere Torres, secrétaire aux entreprises et à la compétitivité de la Generalitat de Catalogne, de revenir sur le lancement, le 15 décembre dernier, de la LGV Toulouse-Barcelone, qui place les deux villes voisines à trois heures l'une de l'autre, sans interruption. "Les distances ne se mesurent plus en kilomètres, mais en heures, constate-t-il. Gagner du temps sur les trajets permet de faciliter des échanges économiques. Je rappelle d'ailleurs que l'idée de la construction d'une LGV est venu pour la première fois de la Catalogne en 1985. A l'époque, il s'agissait de relier Barcelone et Paris. C'est simple : les relations économiques de la Catalogne étaient davantage tournées vers la France que vers le reste de la péninsule ibérique. Aujourd'hui, nous attendons le LGV jusqu'à Paris." Eurorégion Pyrénées-Méditerranée, rapprochement des clusters, partenariats industriels, échanges académiques : tout le spectre des collaborations entre les deux territoires a été balayé.

Mais loin d'un portrait idyllique, le débat a permis de faire émerger un point de crispation : le phénomène de "concurrence déloyale" dénoncé par les professionnels du secteur du bâtiment du Grand Sud, qui voient leurs confrères espagnols grignoter peu à peu leurs parts de marché. "L'un des problèmes de l'Europe est de ne pas avoir d'harmonisation de son cadre social, estime Martin Malvy, président du conseil régional de Midi-Pyrénées. En revanche, s'il n'y a pas de respect des règles du travail, il existe des services chargés de contrôler les chantiers." Pere Torres, de son côté, dit "comprendre la situation". Mais il précise : "les marchés ouverts ont aussi leurs désavantages. En matière de construction, l'Espagne a connu une bulle immobilière, qui a éclaté. La situation du secteur est désormais très difficile. Pour certaines entreprises, la solution est venue de l'internationalisation. Ce sont les règles du jeu."

Martin Malvy a conclu la matinée de débats, avant que ne soit lancé, en début d'après-midi, un grand forum mettant huit étudiants de grandes écoles toulousaines face à cinq candidats du Sud-Ouest aux élections européennes : Louis Aliot (FN), Michèle Alliot-Marie (UMP), José Bové (EE-LV), Robert Rochefort (UDI-MoDem) et Virginie Rozière (PS-PRG).

Alexandre Léoty, Paul Périé, Adeline Raynal, Adrien Serrière
© photo Fred Lancelot

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