Économie : l'Université doit-elle choisir entre "Main stream" et "hétérodoxes" ?

Alors que le débat fait rage entre économistes "main stream" et "hétérodoxes" à l'Université, l'un de ces derniers se réjouit de la décision de la ministre de l'Éducation nationale de ne pas créer une seconde section d'économie au conseil national des universités (CNU). Pour Gabriel Colletis, économiste toulousain de la régulation, le courant libéral doit, en revanche, laisser plus de place aux autres pensées économiques à l'université. Interview.
Gabriel Colletis, économiste de l'Université Capitole 1 à Toulouse.

Que pensez-vous de la décision des ministres ?

L'Association française d'économie politique (Afep) est pour la création d'un nouveau Conseil national des universités en Économie, mais ce n'est pas une position que j'ai défendue. Cela a été débattu plusieurs fois en assemblée générale et en conseil d'administration. Le courant que je représente n'a pas réussi à faire prévaloir son analyse. J'estime que seuls 30 à 40 % des membres de l'Afep sont défavorables à cette création, 60 à 70 % étant pour. Ma position est clairement minoritaire à l'Afep.

Pourquoi n'êtes-vous pas favorable à la création d'une nouvelle section d'économie au Conseil national des universités ?

Dans un contexte de contraintes budgétaires très fortes, on a tendance à ne pas remplacer les postes des professeurs qui partent à la retraite, plutôt qu'à en créer. Si on crée une nouvelle section, c'est au mieux dans un périmètre constant. Dans ce contexte, prélever un nombre de poste significatif sur l'actuelle section V "Sciences économiques" pour en doter la nouvelle section, c'est une vue de l'esprit. Les gens qui sont aujourd'hui montés au créneau contre la nouvelle section le feront encore davantage car ils ne se laisseront pas déposséder de leurs postes.

Le second risque est qu'on transforme cette nouvelle section en "une réserve d'indiens" où l'on parquerait les économistes non "main stream", dits orthodoxes. Les jeunes qui envisagent d'être maîtres de conférences et qui ne sont pas dans l'orthodoxie économique, sont nombreux. Ils devraient alors candidater dans une nouvelle section où il n'y aurait presque pas de postes. Ce serait un piège fatal.

Mes collègues me disent qu'il est plus difficile de devenir professeur que maître de conférence dans la section V. C'est donc un problème de promotion et non de recrutement.

Je pense qu'il est plus facile aujourd'hui, pour un économiste hétérodoxe, de devenir professeur qu'à mon époque. Le ministère a supprimé l'agrégation externe où les économistes non orthodoxes étaient éliminés. Les procédures de recrutement des professeurs ont profondément évolué et laissent davantage d'ouverture aujourd'hui. Le combat mené par l'Afep pour la création d'une nouvelle section ne me paraît pas le meilleur mais je respecte pleinement le point de vue majoritaire de mes collègues.

Que faudrait-il faire selon vous ?

Il faut renverser le rapport de force dans la section V telle qu'elle existe aujourd'hui. Plutôt que de botter en touche et de créer une nouvelle section, battons nous pour que la section V fonctionne de manière plus satisfaisante.

Quelque chose de bon va sortir de cette mobilisation, car il y a une prise de conscience des ministres qu'il y a un problème d'ouverture de la section V à d'autres courants de pensée que celui, dominant, néolibéral, de Jean Tirole.

Les ministres ont dit qu'elles allaient veiller à l'avenir à ce que le pluralisme soit plus garanti. L'Afep va demander la création d'un comité du pluralisme dans la section V pour y veiller.

L'Afep va-t-elle accepter la décision des ministres ?

Une pétition nationale va être lancée. L'Afep va continuer à mener ce combat. Mais je pense qu'il y a un avant et un après la décision des ministres. Elles ont tranché. Un comité va se mettre en place. Je m'en félicite. J'espère qu'il va bien fonctionner et qu'il sera la garantie d'un pluralisme dans la section V.

Comment améliorer ce pluralisme ?

J'ai coordonné un travail d'une trentaine de personnes proposant de nouveaux critères d'évaluation des enseignants chercheurs et des laboratoires. Il y a des améliorations possibles et souhaitables dans ce domaine, même si la clef de voute du système est toujours le nombre de publications dans les revues reconnues.

En quoi est-ce un problème ?

Les revues sont plus accessibles pour les économistes "main stream" car elles sont d'inspiration libérale et concentrent leurs thématiques de recherche sur le programme des économistes libéraux.

Ce sont des revues qui sont souvent anglo-saxonnes. Il y a très peu de revues françaises convenablement classées. Les économistes de la fameuse Toulouse School of Economics fréquentent souvent les colloques internationaux d'économie. Ils reçoivent des collègues américains qu'ils invitent de manière très confortable. Ils font partie des comités éditoriaux qui décident l'orientation des revues et évaluent les articles qui leur sont soumis. Ce dispositif fonctionne comme un filtre pour les autres courants d'économie.

Les orthodoxes acceptent-ils cette critique ?

Pas du tout. Ils considèrent que ce sont les meilleures revues. Pour eux, les autres formes d'économie ne sont pas bonnes. Je travaille par exemple sur la question d'ancrage territorial des activités économiques. Pour les économistes orthodoxe, cette problématique ne représente aucun intérêt. Cela n'entre pas dans leur écran radar.

Gabriel Colletis

Actuellement président du comité de laboratoire du Lereps (Laboratoire d'études et de recherches sur l'économie, la politique et les systèmes sociaux) de l'Université de Toulouse 1 - Capitole, Gabriel Colletis a dirigé ce laboratoire en 2005 et 2006, avant d'être membre du comité de direction jusqu'en 2011. Il se réclame de l'école de la régulation, créée par Robert Boyer, André Orléan et Michel Aglietta.
=> Son parcours.

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