Filière cinéma : le cri d'alarme du loueur de matériel de tournage Papaye

La société toulousaine Papaye fait figure d'incontournable dans la filière cinéma locale. Loueur de matériel pour les plateaux de tournages, elle a contribué à de nombreux films français de renommée. Mais, aujourd'hui, Papaye se porte mal. Son fondateur et dirigeant Philippe Payet assure que les films tournés en Midi-Pyrénées ne profitent pas au tissu local. Il dénonce le manque de volonté politique mais tente de rebondir avec la création d'un studio de cinéma dans le Lot-et-Garonne. Interview.
Philippe Payet

Papaye est une société connue par les professionnels du cinéma, mais peu du grand public. Quel est votre métier ?

Ancien technicien de cinéma, j'ai commencé dès 1986 à développer une activité spécialisée dans la location de matériel de tournage (cela va de la caméra à la machine à café en passant par l'éclairage, la machinerie, les camions et les groupes électrogènes pour les tournages) et la prestation de service pour le cinéma et la télévision. Au début, je travaillais uniquement dans le sud-ouest, d'une part car je suis originaire de cette région, d'autre part car je voulais prouver qu'on peut "fabriquer" du cinéma ailleurs qu'à Paris. Exister en Province dans ce secteur relève du défi. J'ai construit lentement mais sûrement la réputation de ma société qui a pris son nom "Papaye" au 1er janvier 1994 (Papaye était mon surnom sur les plateaux de tournage). Nous avons travaillé pour les plus grands noms du cinéma, tels qu'André Téchiné, le regretté Claude Chabrol, Pierre Granier-Deferre, Bertrand Tavernier et d'autres encore.

Pour quelles raisons votre société est-elle en difficulté ?

Depuis 2013, la société traverse de graves difficultés liées à la monopolisation des marchés par les équipes parisiennes sur notre secteur, ce qui me peine d'autant plus que je participe depuis toujours à l'économie locale et à sa richesse. Je m'acquitte localement de diverses taxes et je contribue à la dynamisation du tissu professionnel et économique du cinéma en région. Pour vous donner un ordre d'idée, je réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires deux fois moins important qu'en 2012 (500 000 euros, NDLR). L'effectif de mes salariés est passé, sur la même période, de 12 à 3. C'est très dur.

Plusieurs raisons expliquent cette chute d'activité : un partenaire peu scrupuleux résident en Ile-de-France (l'affaire est en justice), mais également le fait que la majorité des tournages qui ont lieu dans la région se font aujourd'hui sans le matériel ni le personnel technique de Papaye. Je m'explique : aujourd'hui, les producteurs qui viennent tourner en Midi-Pyrénées préfèrent faire venir des professionnels de Paris plutôt que d'embaucher des compétences sur place. C'est absurde et ça tue encore plus le marché. Ainsi, ma société et d'autres, locales, ne sont même plus consultées pour être prestataires. C'est un mépris total vis-à-vis du savoir-faire régional.

Il y a donc des films tournés en région qui n'ont aucune retombée économique en local ?

Nous possédons en région tous les moyens techniques, les compétences, le savoir-faire pour répondre aux besoins des productions, quelle que soit leur importance ou la nature de leurs exigences. Ma société sait parfaitement répondre à toutes les exigences des maisons de production. Par ailleurs, notre proximité nous permet d'intervenir dans le cadre d'imprévus et nous rend plus compétitifs sur le plan financier. Or, la majorité des films se fait sans nous ! Pourquoi ? Les producteurs ont leurs habitudes et préfèrent tourner avec des sociétés parisiennes avec qui - c'est vrai - beaucoup de choses se décident autour d'une bonne table... La mienne n'est pas moins bonne, au contraire, mais elle est à 650 km de Paris.

Les producteurs perçoivent pourtant des subventions des Conseils régionaux, qui prennent en compte les potentielles retombées économiques locales...

L'idée de la politique d'attribution des aides régionales est de subventionner les productions tout en garantissant des retombées économiques locales. Les producteurs se soumettent effectivement à cette obligation, mais à leur manière. Ils considèrent qu'étant donné qu'ils font marcher les hôteliers et les restaurateurs locaux, ils remplissent leur obligation de faire marcher l'économie locale. Or, les producteurs auraient de toute façon besoin de faire marcher l'hôtellerie et la restauration locale car jusqu'à preuve du contraire, ils ne peuvent pas faire venir les hôtels et les restaurants de Paris ! Je déplore depuis longtemps que ces catégories entrent dans l'enveloppe des dépenses locales. Contrairement à Papaye, les hôtels ne vivent pas que du cinéma. Cette donne incite aussi les producteurs à augmenter le nombre de techniciens venant de Paris puisque leurs hébergements sont éligibles. Et le summum de l'absurdité, c'est que ces producteurs utilisent l'argent des subventions pour payer des camions, du carburant et des péages pour acheminer leurs équipes et matériel, à l'heure même où l'on parle de réchauffement climatique et de protection de l'environnement...

Que comptez-vous faire pour faire entendre votre voix ?

Il n'est pas toujours facile de se faire entendre auprès des élus mais je m'y atèle, et je compte écrire à Carole Delga. Je pense que des mesures doivent être prises afin que les productions gèrent les fonds d'aide régionaux de manière plus cohérente. Une sanction et un retrait partiel de la subvention accordée seraient nécessaires, ainsi qu'une réflexion quant au plafond et à la répartition des dépenses.

Quelle est votre stratégie pour "sauver" Papaye ?

Je lance clairement un appel aux investisseurs du Sud-Ouest car mon entreprise a un fort potentiel mais, à l'heure actuelle, ne dispose pas de trésorerie suffisante pour son développement. J'ai également besoin d'embaucher une à deux personnes compétentes pour pouvoir me concentrer sur mon métier de dirigeant. Je suis profondément attaché à ma région et je le prouve en permanence en parrainant les festivals de cinéma locaux, en fournissant gracieusement du matériel aux élèves de nos écoles d'audiovisuel de Toulouse en fin de formation et en les intégrant régulièrement en stage. Je crois à la relation humaine et aux gens qui auront confiance en mon entreprise.

Vous portez par ailleurs un projet de studio de cinéma dans le Lot-et-Garonne, de quoi s'agit-il ?

Avec mon autre société, Cinépay, en voie de développement, je suis en train de rénover une bâtisse du 12e siècle (en état de ruine lors de l'acquisition), afin de pouvoir accueillir dans un proche avenir des réalisations cinématographiques. Le but : en faire une plateforme d'accueil de tournage unique en France. Cette rénovation, qui nécessite nombre de moyens, fait appel encore une fois à des entreprises locales, ce qui relève d'une volonté personnelle.

Ce lieu va permettre de recevoir des tournages complets grâce à un atelier de post-production, des projections sur grand écran, un studio "cover set" et un atelier de fabrication de décors. Il va également permettre de loger une quinzaine de techniciens et de nourrir 80 personnes tout en leur offrant une piscine et un jacuzzi afin qu'ils se détendent.

J'ai autofinancé ce projet, dont les travaux sont arrêtés depuis quelques mois, faute de financements. Aujourd'hui, je cherche des investisseurs. Grâce à mon carnet d'adresses, je peux accueillir 2 à 3 films par an et j'ai déjà refusé des projets. En 2017, nous allons accueillir le tournage d'un film américain, "Kiss the frog" avec Sigourney Weaver. Il faut que ce soit prêt !

Mieux encadrer l'utilisation des subventions ? La réponse de la Région

Interrogée sur la question de l'utilisation des subventions par les producteurs de films, Dominique Salomon, vice-présidente de la région LRMP en charge de la Culture, est catégorique : "Nous sommes déjà préoccupés par les potentielles retombées économiques lorsque nous finançons un projet de film, cela fait partie des critères de sélection des dossiers. Suite au versement de notre subvention, si le producteur s'est engagé à un certain niveau de dépenses en Région, notamment sur le volet emploi, nous nous assurons par exemple qu'il respecte effectivement ses engagements mais nous nous gardons de toute forme d'ingérence dans le choix de tel technicien ou de tel prestataire. Le contraire constituerait une discrimination à l'embauche au regard du droit européen. Cette question de l'emploi d'intermittents installés en Région ne peut donc pas faire partie de nos critères d'éligibilité mais représente un critère d'appréciation important, voire déterminant, dans la sélection des projets retenus (par les membres du comité-conseil). Le point de vue de Monsieur Payet me semble donc excessif."

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Commentaires 3
à écrit le 10/01/2017 à 9:36
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C'est une honte !!! Un prestataire local qui joue le jeu d'être en région, qui fait des dépenses professionnelles en région, qui paie des impôts en région.... qui fait vivre des familles en ragion... et qui est obligé de se battre car les politiques...

à écrit le 10/03/2016 à 18:35
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Je lis et je suis choqué! ça ne vous dérange pas de tout mettre sur le dos de l'Europe? Le rôle d'un politique n'est-il pas de défendre ses administrés? D'ailleurs, est-ce légal de prendre de l'argent des impôts pour le reverser à des sociétés privée...

à écrit le 10/03/2016 à 17:13
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Monsieur Salomon, je suis moi-même technicienne et les subventions, qui étaient censées favoriser l'embauche locale, ne nous aident pas du tout. Les producteurs ne jouent pas le jeu et font venir des techniciens de Paris. Le quota de dépenses locales...

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