Aéronautique : comment la fabrication additive va bouleverser la supply chain

La fabrication additive industrielle va accélérer la restructuration (déjà en cours) de la supply chain aéronautique française. Sans forcément remplacer les techniques de production traditionnelles, cette innovation va rebattre les cartes entre les sous-traitants, surtout quand Airbus lancera un nouvel avion. Explications de Patrick Desiré, directeur du pôle de compétitivité Aerospace Valley, basé à Toulouse. Entretien.
Patrick Désire, directeur du pôle de compétitivité Aerospace Valley

Lors de la présentation de l'étude de Madeeli sur la fabrication additive, vous avez dit que cette technologie allait accélérer la restructuration de la supply chain. Comment ?

Il y a deux phénomènes qui se conjuguent : d'un côté, nous avons un tissu industriel qui doit déjà faire face aux besoins de montée en cadence et de réduction de coûts. Dans la région Occitanie, cet enjeu à lui tout seul va probablement entraîner une restructuration de la supply chain, qui doit composer avec un fort "émiettement" du tissu industriel. Ces TPE et PME doivent se consolider pour être robustes et pouvoir répondre à cet enjeu industriel.

De l'autre côté, il y a les fabrications additives, car il y en a plusieurs. Des technologies industrielles qui vont - indépendamment de notre premier sujet - entraîner des modifications, notamment sur la chaîne de valeur. On constate ce que j'appelle "l'effet Nespresso" : qui du fabricant de machine (cafetière / machine ALM) ou du fabricant de matière (capsule de café / poudre de métal) apporte le plus de valeur ? La création de la société Prismadd (groupe We Are Aerospace) où l'on a réuni dans une même entreprise un fabricant de matière, un fabricant de machines et un usineur est, en ce sens, assez significative. À titre de comparaison, aujourd'hui, dans les PME qui fabriquent des pièces en titane, on a rarement dans la même entreprise un producteur de titane, un producteur de machines à usiner et un usineur.

Ce sont ces deux éléments qui vont donc restructurer la supply chain?

On se retrouve en effet à la conjonction de deux événements : d'un côté la supply-chain qui doit monter en cadence avec une probable restructuration du tissu industriel de cette région et, de l'autre côté, la fabrication additive qui génère vraiment de nouvelles questions industrielles. Cela génère à mon sens une accélération de cette restructuration.

Est-ce que c'est une bonne nouvelle ?

Difficile de prédire ce que sera la situation dans 10 ans mais, comme je suis un optimiste, je pense que oui. La mobilisation de tous les acteurs locaux est importante, comme en témoignent les diverses initiatives en cours. De plus, cela va forcer des discussions et des alliances qui, dans un monde établi, ont du mal à se faire. Aujourd'hui, on pourrait avoir l'impression que la restructuration se fait sous la contrainte et par peur de l'échec : "attention à la montée en cadence, attention à la réduction des coûts". L'arrivée de la fabrication additive est un moyen d'accélérer cette restructuration de manière positive, et il faut en profiter pour aller vite. Je ne pense pas qu'Airbus soit en danger. En revanche, le tissu de PME de cette région (qui représente quand même des dizaines de milliers d'emplois), pourrait être potentiellement en danger si les donneurs d'ordres décident d'aller chercher ailleurs les compétences, que ce soit en low cost ou bien en Allemagne, qui est en avance sur nous.

De nouvelles alliances entre PME auront donc lieu ?

On peut imaginer que, dans les 10 années qui viennent, des coopérations différentes d'aujourd'hui voient le jour : un spécialiste de la fabrication additive aura besoin d'autres compétences pour retravailler la pièce derrière (ce que l'on appelle le parachèvement). Cela va nécessiter et générer des besoins d'alliances et de regroupements spécifiques.

Par ailleurs, on a aujourd'hui un tissu industriel qui est issu de la politique industrielle des grandes entreprises aéronautiques définie ces 20 ou 30 dernières années, et plus particulièrement de leur politique de "make or buy" (fabrication en interne vs fabrication externalisée). Là, nous avons une nouvelle technologie qui nécessite une nouvelle réflexion des grands industriels sur ce qu'il faut faire en "make" et en "buy".

Est-ce qu'il n'y a pas un risque que les donneurs d'ordres s'équipent avec des grands parcs de machines de fabrication additive au détriment des sous-traitants ?

Au début, quand vous souhaitez maîtriser votre supply chain, vous devez savoir de quoi vous parlez. Donc, dans un premier temps, les grands industriels comme Airbus vont se doter d'un certain nombre de moyens pour être capable de maîtriser la techno (il y a encore beaucoup de paramètres à comprendre). Par ailleurs, ces grands "donneurs d'ordres" ne veulent pas être pieds et poings liés et faire aveuglement confiance à un fournisseur. Dans un premier temps donc, des choses seront faites en interne.
Après, dans la mesure où la techno sera comprise et maîtrisée, on pourra s'appuyer sur un certain nombre de fournisseurs dont on a la certitude qu'ils maîtrisent les paramètres de fabrication. L'étude de Madeeli le montre bien, dans un premier temps, on va avoir du "make" et après on va aller vers du "make or buy" qui peut ressembler un peu à ce qu'on a aujourd'hui.

Est-ce que cela signifie que les TPE ou les PME qui ne feront pas de la fabrication additive risquent de disparaître ?

Non, du moins pas sur les 10 années à venir. Il y a par exemple de la place pour les entreprises qui font des pièces titane structurales de grandes dimensions comme Aubert & Duval ou Mkad en Ariège. Il reste de gros progrès en R&D à accomplir avant que les pièces qu'ils fabriquent soient faites en FA.

Je crois par ailleurs que le point de rendez-vous important est le jour où l'on lancera un nouvel avion. En effet, utiliser la FA pour faire la même pièce avec la même définition qu'en fabrication classique peut-être intéressant dans certains cas, mais nous franchirons vraiment un palier quand nous concevrons différemment l'avion et ses composantes. Et, tant qu'il n'y a pas de nouveaux programmes, on ne va pas changer de manière radicale la conception d'un train d'atterrissage, par exemple.

Il y a de l'innovation aussi dans les techniques traditionnelles, qui sont de plus en plus performantes. Du coup, y aura-t-il des cas où la FA ne sera pas efficace ?

C'est sûr que les technologies seront complémentaires. Je fais souvent l'analogie avec le composite, que j'ai vu arriver quand j'ai commencé à travailler il y a une trentaine d'années. On se posait la même série de questions : où est-ce qu'on va fabriquer ? Qui va fabriquer ? Quels fournisseurs pour les matières premières ? Quelles machines à développer ? Quand on regarde aujourd'hui la situation, il est clair qu'il y a davantage de composites qu'avant. Mais nous avons pu opérer cette transition de manière importante uniquement quand Boeing et Airbus ont lancé de nouveaux programmes, comme l'A350. Auparavant, nous avons procédé par implémentation incrémentale de certaines pièces ou sous-ensembles.

Néanmoins, il est difficile de prédire aujourd'hui comment, dans la conception mécanique du nouvel avion, on va prendre en compte dès le premier coup de crayon la possibilité de faire un certain nombre de choses en fabrication additive. C'est pourtant cela qui permettra d'évaluer la part que va prendre la fabrication additive dans l'industrie aéronautique.

Quel sera l'impact de la FA sur la maintenance des avions ?

C'est une vraie question. Fantasme ou réalité : on peut imaginer que dans quelques années, chaque aéroport dispose d'une machine FA et qu'il n'y aura qu'à appuyer sur un bouton pour fabriquer une pièce de rechange. Il y aura certainement des réflexions sur cet aspect et, au pôle Aerospace Valley, nous allons mettre en place une commission dédiée au sujet de la maintenance, qui est un marché en pleine croissance. Il faut anticiper en quoi les nouvelles technologies de la fabrication additive vont changer le paysage de la maintenance dans son organisation et, pourquoi pas, dans son modèle économique.

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