Recherche et entreprises doivent encore s'apprivoiser

Par La Tribune Toulouse  |   |  1099  mots
(Crédits : Rémi Benoit)
Ce jeudi à l'espace Diagora à Labège, La Tribune Toulouse organisait une table ronde sur l'innovation et les relations entre les entreprises et la recherche. Nadia Pellefigue (Région), Emmanuelle Meuillet (Theraxen Technologies), Vincent Menny (Authentic Material), Mustapha Derras (Berger-Levrault) et Lionel Suchet (Cnes) se sont exprimés à cette occasion.

Dans la région, le lien entre les entreprises et le monde de la recherche est bon. C'est en tout cas le jugement de Gilbert Casamatta, président de l'IRT-Saint-Exupéry. "Depuis 20 ans, le chemin parcouru est extraordinaire, constate-t-il. L'écosystème est complexe mais redoutablement efficace. Les relations avec l'administration sont également excellentes."

Attention cependant à ne pas se reposer sur ses lauriers. Comparé aux États-Unis, la France compterait une demi-douzaine d'années de retard en la matière, selon Emmanuelle Meuillet, chercheuse en oncologie. La fondatrice de Theraxen Technologies s'est installée à Toulouse en 2014 après 20 ans passés outre-Atlantique. "La façon dont on travaille est complètement différente. On est à l'opposé du spectre, estime-t-elle. Aux États-Unis, on dit depuis 10 ans aux chercheurs d'aller vers les industries. Ce n'est pas le cas en France où on a l'impression que l'industriel va piller la technologie du chercheur."

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Malgré cette perception, les relations se renforcent, grâce notamment aux Satt (sociétés d'accélération du transfert de technologies). Hébergée à l'Itav (Institut des technologies avancées en sciences du vivant), Theraxen Technologies côtoie aujourd'hui startups et grandes entreprises, comme Evotec avec laquelle elle a noué un partenariat.

"Ce qui se fait à Toulouse, à l'Itav par exemple, n'est pas tellement loin de ce qui se fait aux États-Unis, admet Emmanuelle Meuillet. Toulouse Tech Transfer nous soutient et tout se déroule bien. Cependant, nous ne sommes que 6 ou 7 entreprises à l'Itav issues de la recherche publique. Il faudrait que l'on soit au moins une quinzaine pour pouvoir peser davantage."

Emmanuelle Meuillet, fondatrice de Theraxen Technologies. © photo Rémi Benoit

L'intérêt des Satt, ce n'est pas Vincent Menny qui va le remettre en cause. PDG d'Authentic Material, une société spécialisée dans le recyclage de cornes de vache pour l'artisanat d'ameublement, il était jusqu'à peu responsable technique à Toulouse Tech Transfer. C'est là qu'il a pris connaissance de l'écosystème et des acteurs locaux. Un paysage parfois complexe à décortiquer.

Alors qu'il ne connaissait rien au monde de la recherche quatre ans auparavant, Vincent Menny a pu nouer des partenariats avec les laboratoires Cemes et Cirimat du CNRS, ainsi que le laboratoire Elsa de l'INP.

Vincent Menny a quitté Toulouse Tech Transfer pour fonder sa société. © photo Remi Benoit

"Je m'appuie sur la science du Cirimat et du Cimes non pas pour avoir des solutions industrielles mais pour ce qu'ils savent faire : on ne peut pas demander à un laboratoire de faire un produit fini, explique-t-il. Il faut prendre en compte la différence de rythme entre l'entreprise et la recherche. L'effort doit être fait de part et d'autres : le chercheur doit se mettre à la place de l'industriel et l'industriel doit faire un pas dans la compréhension de ce qu'apporte un labo. Pour réussir une collaboration, les objectifs et les actions doivent être clairement fixées au démarrage du projet. Et ce, avant de parler finance. Enfin, la relation industriel-laboratoire ne doit pas s'inscrire dans une relation de fournisseur."

Une analyse partagée par Mustapha Derras, directeur de la recherche et de l'innovation chez l'éditeur Berger-Levrault :

"Il faut respecter la recherche pour ce qu'elle est. Elle vit dans un espace différent de celui de l'entreprise. Il faut accepter sa finalité à elle. C'est à nous de boucher les trous. Les Satt sont là pour nous aider à créer des ponts. En tant qu'ancien chercheur, je sais qu'il faut montrer aux chercheurs que nous ne sommes pas des pilleurs ou des agresseurs. C'est la première étape."

C'est pour repenser sa politique d'innovation que Berger-Levrault a fait appel au milieu de la recherche. "Il y a 10 ans, nous avons senti que nos métiers allaient se réinventer, mais la vraie question était de se demander comment nous allions évoluer, rappelle Mustapha Derras. Pour prendre de la distance et de la hauteur, nous nous sommes tournés vers le monde de la recherche."

Mustapha Derras, directeur de la recherche et de l'innovation chez Berger-Levrault
© photo Rémi Benoit

L'entreprise compte actuellement 15 contrats de recherche signés avec différents laboratoires. Elle dispose également de cinq doctorants recrutés pour que "la recherche envahisse" la société.

Partager la science avec les entreprises, c'est justement l'objectif du tout récent département de l'innovation, des applications et de la science du Cnes (DIAS).

"Le spatial s'est développé sur la science et la défense car c'était fondamental et stratégique. Nous sommes arrivés à mesurer de plus en plus de paramètres terrestres, autant d'informations qui peuvent être transformées en services, et ce d'autant plus que la révolution numérique donne les moyens d'analyser ces données", explique Lionel Suchet, son directeur.

Lionel Suchet, directeur Innovation, applications et science du Cnes
© photo Rémi Benoit

"Nous devons travailler pour faire passer l'innovation spatiale d'un petit monde d'utilisateur à un monde plus ouvert. Il faut aider les entreprises et les collectivités à utiliser les données spatiales", ajoute-t-il.

Le Cnes renforce également les liens entre la recherche et l'entreprise via son incubateur ActInSpace qui a accueilli plus de 20 startups depuis deux ans. Il est enfin membre d'Inspace, l'institut des applications spatiales qui met en relation 45 collectivités territoriales et entreprises pour promouvoir l'utilisation de ces technologies.

Membre du conseil d'administration d'Inspace, la conseillère régionale Nadia Pellefigue est en charge du Développement économique, de la recherche, de l'innovation et de l'enseignement.

"Le rôle de la Région est de soutenir la recherche applicative, affirme-t-elle. Nous allons aider l'acculturation entre la recherche et l'industrie en incitant financièrement les entreprises à recruter des chercheurs."

Nadia Pellefigue et la Région sollicitent les entreprises pour connaître leurs besoins
© photo Rémi Benoit

Pour l'élue socialiste, les outils ne manquent pas pour nouer des liens entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise, mais encore faut-il les utiliser. Pour recueillir les avis, la Région a mis en place des consultations qui lui permettront d'élaborer son schéma de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), celui dédié à l'enseignement supérieur, à la recherche et à l'innovation (SRESRI) ainsi que le futur Contrat de plan de développement des formations et de l'orientation professionnelle.

"Il faut relever le défi dans le contexte de l'accélération digitale, conclut Nadia Pellefigue. Nous attendons des propositions que nous pourrons décliner rapidement. Les propositions du monde économique sont les bienvenues et c'est le moment de les partager."