Essor de la "chimie verte" : des doutes sur l'aspect éthique et écologique

14 ans après la catastrophe AZF, l'industrie trouve un nouvel élan en Midi-Pyrénées en se tournant vers la "chimie verte". Les produits issus du pétrole y sont remplacés par des matières d'origine végétale et cela suscite un véritable engouement dans le monde industriel. Mais la chimie verte est-elle si écolo que ça ? Certains spécialistes émettent de sérieux doutes, notamment sur le plan écologique et éthique.
Un scientifique dans les locaux de TWB.

Prendre de la paille de blé et l'utiliser comme matière première pour des biocarburants ou des matériaux de construction : ce type de raffinerie végétale, également appelée bioraffinerie, est désormais à portée de main en Midi-Pyrénées. Dans le Tarn, la société CIMV fait figure de pionnière. L'entreprise a mis au point un procédé unique au monde pour séparer les trois composants de la paille de blé et les transformer en produits à haute valeur ajoutée. Ces composants sont l'hémicellulose (un sucre transformable en biocarburant), la cellulose (qui sert à faire du papier) et la lignine (qui permet d'obtenir des résines pour remplacer ceux d'origine pétrolière dans la composition des adhésifs, des plastiques...).
Sur son site de Lavaur, la PME espère transformer sa future unité de démonstration en véritable usine, capable de produire jusqu'à 1 000 tonnes de biomatériaux par jour.

Un nouveau souffle pour l'industrie chimique

À l'image de l'initiative de CIMV, la chimie verte connaît un essor grandissant en Midi-Pyrénées. 14 ans après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, les industriels cherchent à limiter les substances dangereuses en remplaçant les produits issus du pétrole par des matériaux d'origine biologique. Au-delà de l'utilisation des agroressources, la chimie verte (ou "durable") vise également l'optimisation des procédés en réduisant les déchets toxiques. La chimie durable peut être à la base de la fabrication de plastiques biodégradables, peintures et colles sans solvants nocifs.

Plus écologique, cette démarche est censée lutter contre les émissions de CO2 et faire face à la pénurie des réserves de pétrole. Sur le plan économique, ce marché porteur pourrait devenir un grand pourvoyeur d'emplois et donner un nouveau souffle à l'industrie chimique régionale. qui emploie aujourd'hui plus de 5 000 personnes dans 134 sociétés. Dans le Tarn, le cofondateur de CIMV, Michel Delmas estime :

"Environ 40 emplois seront créés au lancement de l'unité de démonstration mais les effectifs seront multipliés en cas d'ouverture de l'usine."

En Haute-Garonne, le centre de recherche Toulouse White Biotechnology (TWB) connaît lui aussi un beau succès. En trois années d'existence, la plateforme a déjà signé pour 12,8 millions d'euros de contrats et ses travaux ont généré 9 brevets. Une trentaine de projets est en cours : biocarburants pour Airbus, matériaux plastiques biodégradables à base d'enzymes, ou transformation génétique de la levure de boulangerie en micro-algues pour en faire de l'alcool carburant.

Pour Pierre Monsan, son dirigeant, "la région dispose de nombreuses surfaces agricoles et la chimie verte permet de donner plus de valeur ajoutée à ces terres".

Pour encourager cette dynamique, un cluster chimie verte a été lancé en janvier 2014 en Midi-Pyrénées. "Notre objectif est de mutualiser les compétences des entreprises régionales afin d'acquérir une part importante du marché de la chimie verte qui envisage un chiffre d'affaires de 200 milliards d'euros en Europe d'ici à 2020", précisait alors Cédric Cabanes, PDG d'Agronutrition. 38 sociétés adhèrent à ce nouveau cluster par lesquelles figurent des piliers régionaux comme les Laboratoires Pierre Fabre ou Agronutrition.

TWB TOULOUSE

--> Un des laboratoires de TWB, à Toulouse

Doutes sur l'impact écologique et Éthique

Mais certains experts émettent de sérieux doutes sur l'impact écologique de cette nouvelle forme de chimie. Chercheuse en économie à l'université Toulouse 2 et membre du conseil scientifique d'Attac, Geneviève Azam considère ainsi :

"Les terres cultivables se sont considérablement réduites du fait de la bétonisation. Si on convertit de plus en plus de terres pour de la culture intensive (par exemple sur du maïs) dans le but de faire de l'énergie, cela pose des problèmes au niveau agricole. Nous sommes face à des enjeux qui nous dépassent et beaucoup croient que nous pouvons nous en sortir par de la technique. Or, nous devons d'abord diminuer notre consommation d'énergie."

L'économiste pointe aussi des problèmes éthiques:

"Il existe plusieurs formes de chimie verte : la chimie de synthèse, et les agrocarburants. Avec la chimie de synthèse, il est possible de concevoir des organismes qui n'existent pas dans la nature et capables de produire de l'énergie. Or, nous ne maîtrisons absolument pas les conséquences de ce type de manipulation."

Pour parer ce genre d'écueils, TWB a implanté depuis sa création dans le centre de recherche un plateau éthique piloté par le philosophe et physicien Vincent Grégoire-Delory. Objectif : apporter un regard extérieur sur le travail des scientifiques et veiller au respect d'une démarche éthique.

"Je ne travaille pas avec les startups à partir d'une liste d'écueils à éviter, ce serait trop caricatural, explique le philosophe. Il s'agit plutôt de mener une réflexion globale autour du vivant puisque la chimie verte permet de modifier en profondeur certaines molécules. Il faut se demander : que se passe-t-il si ces molécules transformées sortent de la zone confinée et se promènent dans la nature ? De la même manière, si l'homme absorbe une bactérie modifiée, quel impact cela aura-t-il ? Des scientifiques ont démontré que le type de bactéries logées dans votre intestin pourrait influer sur le risque de contracter des maladies."

Cette vigilance éthique et écologique est essentielle dans le développement de la chimie verte pour éviter tout phénomène de "greenwashing", autrement dit un procédé marketing à couleur verte qui ne sert qu'à donner une image responsable à l'entreprise...

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