Les raisons de la grogne des agriculteurs d'Occitanie contre la future PAC "plus verte"

Des centaines d’agriculteurs se sont mobilisés en Occitanie pour faire entendre leur colère à propos de la réforme de la politique agricole commune qui entrera en vigueur en 2023. Ils s’inquiètent tout particulièrement de la transformation du premier pilier de cette aide européenne : le “paiement vert”, qui représente 30% de leurs revenus. Il devrait être remplacé par des “éco-régimes” dont la redistribution pourrait varier d’une exploitation à l’autre en fonction de critères plus écologiques. Les agriculteurs craignent un manque d’accompagnement financier et humain pour mettre en place les mesures permettant de respecter ces critères et dénoncent un système inadapté aux réalités des territoires. Reportage.
Plus de 200 agriculteurs étaient réunis au centre-ville de Toulouse le 8 avril 2021 pour protester contre les nouvelles conditions d'accès aux aides de la PAC.
Plus de 200 agriculteurs étaient réunis au centre-ville de Toulouse le 8 avril 2021 pour protester contre les nouvelles conditions d'accès aux aides de la PAC. (Crédits : Rémi Benoit)

Une dizaine de rassemblements d'agriculteurs ici et là sur le territoire régional, une opération escargot sur le périphérique toulousain et une mobilisation de plus de 200 exploitants déambulant dans le coeur de la Ville rose avec leurs tracteurs : il n'y a pas de doute, les agriculteurs d'Occitanie étaient en colère et tenaient à le faire savoir jeudi 8 avril 2021. Tous ont répondu présent à l'appel lancé par la FDSEA et les Jeunes agriculteurs. Si la manifestation a réuni tant de cultivateurs, c'est parce qu'ils s'inquiètent du plan stratégique national actuellement en discussion à Paris. Il s'agit de la déclinaison française de l'aide européenne de la politique agricole commune (PAC).

La modification qui fait débat concerne les exploitants de grande culture (céréales, oléagineux, protéagineux...). Jusqu'au 1er janvier 2023, le premier pilier de l'actuelle PAC (et plus précisément "le paiement vert") leur permet le versement de 70 à 80 euros d'aide par hectare de surface agricole, soit 30% de leurs revenus. Mais après cette date et si le texte définitif reste en l'état, le paiement vert, jusqu'ici accessible à la grande majorité des exploitations de grande culture, sera remplacé par des éco-régimes qui ne pourront être perçus qu'en respectant un certain nombre de critères plus écologiques. L'Union européenne, en partenariat avec ses États membres, souhaite ainsi les contraindre à adopter des pratiques environnementales renforcées.

Les conditions pour bénéficier des aides font polémique

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Les agriculteurs sont venus des quatre coins de la région. (Crédits : Rémi Benoit)

Si l'enveloppe occitane devrait rester sensiblement la même (220 447 euros ont été reversés à 45 658 agriculteurs en 2019), sa redistribution devrait, en revanche, être complètement revue. Les exploitations les plus traditionnelles ou bio toucheraient plus de subventions qu'auparavant et à l'inverse, celles n'étant pas assez "vertes" selon lesdites conditions en toucheraient moins... voire plus du tout. "Le milieu agricole est confronté aux contraintes environnementales, législatives, et liées aux prix ainsi qu'à l'opinion publique. Si désormais la PAC nous sanctionne, nous allons droit dans le mur !" estime Guillaume Cigal, céréalier depuis 2011 dans l'Aude.

"Nous avons l'agriculture la plus durable au monde et les autorités continuent à nous mettre des contraintes que les pays voisins n'ont pas. Certains pays européens continuent d'utiliser des OGM. Je ne suis pas pour, mais c'est inégal !", complète son ami Nicolas Montiel, également céréalier.

D'ailleurs, quelques cultivateurs détenant une exploitation biologique sont présents en soutien à leurs collègues alors que la nouvelle PAC leur profiterait. Devant le monument aux morts situé place François Verdier, lieu de rendez-vous de fin de parcours des agriculteurs occitans à l'occasion de cette mobilisation, l'un d'entre eux ne comprend pas la démarche du gouvernement français et de l'Union Européenne.

"Là où le bât blesse, c'est que l'on va demander aux agriculteurs de financer eux-mêmes ces nouvelles mesures. Les agriculteurs, au vu de leur situation économique, n'ont pas les moyens de perdre 30% des aides qui leurs sont allouées. C'est quand même la société qui est demandeuse d'une agriculture plus verte, donc c'est à elle de financer ces nouvelles mesures. Contrairement à ce que pense le ministre de l'Agriculture, le problème n'est pas de savoir si 70, 80 ou 90% des agriculteurs vont rentrer dans les cases de ces éco-régimes, le problème c'est que personne ne doit être mis sur le banc de touche", explique Axel Tran Van, agriculteur bio à Merville (Haute-Garonne), à qui profiterait la mesure.

Une autre problématique soulevée par les agriculteurs de l'Aveyron, du Gers ou encore de la Haute-Garonne, départements qui bénéficient le plus du paiement vert en Occitanie, est le manque d'adaptabilité de la PAC 2023 en fonction de la taille des exploitations. Parmi les conditions évoquées pour bénéficier des éco-régimes figurent par exemple une meilleure rotation des cultures (cinq minimum), la mise en place de haies ou encore "l'introduction de plus de légumineuses dans les rotations car elles limitent l'utilisation d'engrais azotés", rappelle Philippe Jougla, président de la FRSEA (Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles) d'Occitanie.

Lire aussi : Pourquoi l'Occitanie mise sur les légumineuses ?

Le souhait d'une territorialisation des conditions d'accès aux aides

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L'antenne locale des Jeunes Agriculteurs avait demandé aux exploitants de rester pacifiques. (Crédits : Rémi Benoit)

Des mises en place qui seront parfois impossibles sur les plus petites exploitations, pourtant gages d'un savoir-faire plus traditionnel, moins productiviste et donc plus écologique.

"Quand on vous impose de faire cinq cultures sur une petite exploitation, des fois, ce n'est tout simplement pas réalisable. Pour celui qui a beaucoup de surface comme moi (130 hectares, ndlr), c'est facile. Mais pour les autres non. Tout cela va à l'inverse de ce que demande le consommateur. C'est-à-dire que si on impose autant de contraintes sur des petites exploitations, les agriculteurs vont finir par agrandir leur exploitation", fait remarquer Alain Iches, président de la FDSEA du Tarn-Et-Garonne.

Pour cette raison, Philippe Jougla souhaite le retrait pur et simple de cette condition pour accéder à l'aide. Il fait remarquer qu'elle n'est pas adaptée aux réalités agronomiques départementales : "Tous les agriculteurs ne peuvent pas planter des tournesols par exemple. Cela dépend vraiment de l'année et de la météo. Nous savons au dernier moment, fin mai, début juin, si nous pouvons en cultiver. Cette mesure obligerait des agriculteurs à semer des tournesols ou du maïs alors que leur terre ne le leur permettrait pas...".

Marie Gagneux, référente agricole à Greenpeace Toulouse et participante aux débats publics organisés en 2020 concernant la PAC 2023, partage cet avis et s'étonne d'un manque de cohérence de la réforme vis-à-vis des politiques environnementales mises en place localement : "Les parcs régionaux ou les régions incitent à aller vers plus de local, plus d'installations 'vertes', plus de bio, mais pas la PAC ! En favorisant les grosses exploitations, la Politique Agricole Commune crée une contradiction avec ce que l'on entend dans les institutions publiques". Des propos complétés par Nicolas Girod, porte-parole de la confédération paysanne de Haute-Garonne :

"C'est toujours ceux qui auront le plus de surface qui auront le plus de primes. Il est dramatique de continuer à porter ce message là quand on en voit les conséquences. Les trente dernières années, le nombre de paysans a été divisé par trois !"

Selon les organisations syndicales, 80% des exploitations françaises ne respecteraient pas les conditions de la nouvelle PAC si elle entrait en vigueur demain. Pour une partie d'entre elles, les efforts d'aménagement à faire pour respecter les nouvelles conditions des éco-régimes ne seraient pas très importants, mais financièrement conséquents.

Des mesures d'accompagnement financier comme solution ?

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Les manifestants ont usé de tous les moyens pour se faire entendre par la préfecture de Haute-Garonne. Ici, du fumier est déposé devant les forces de l'ordre. (Crédits : Rémi Benoit)

Alors une demande émane : les agriculteurs, soucieux d'améliorer leurs pratiques, souhaiteraient que l'Etat accorde plus de fonds au deuxième pilier (développement rural / pratique agricole) de la PAC, destiné à accompagner la transformation de leur industrie. Contrairement au premier pilier, uniquement financé par l'Union européenne, celui-ci est cofinancé par l'Europe et la France. Selon les agriculteurs rencontrés au cours de la mobilisation, cet ajustement leur permettrait de bénéficier de subventions pour améliorer plus rapidement leurs pratiques environnementales sur leurs exploitations agricoles. En 2019 en Occitanie, les aides dédiées à ce pilier étaient de 455.962 euros.

"Nous demandons des mécanismes européens et français qui permettent de récupérer des prix à la production beaucoup plus en lien avec la réalité des pratiques de nos agriculteurs et de doter le second pilier de la PAC de plus de subventions pour accompagner la mise en place de pratiques plus vertes", commente Nicolas Girod, porte-parole de la confédération paysanne de Haute-Garonne.

La confédération paysanne de Haute-Garonne regrette le système actuellement en place en France. Celui-ci compense les revenus en baisse des agriculteurs par les subventions : "Forcément, à chaque fois qu'on vient rediscuter la PAC, on ne touche pas seulement aux aides des agriculteurs mais directement à leurs revenus, et c'est là que cela pose problème. En revoyant la répartition, on revoit les équilibres financiers et cela remet en cause, pour certains, la pérennité économique de leur ferme", explique le porte-parole. De fait, Nicolas Girod n'est pas étonné de la colère des agriculteurs occitans.

Une compétitivité européenne jugée déloyale

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Une centaine de tracteurs ont occupé les rues du centre-ville de Toulouse, jeudi 8 avril 2021. (Crédits : Rémi Benoit)

Une autre problématique soulevée par les agriculteurs est celle de la compétitivité au sein même de l'Union européenne, qu'ils jugent déloyale. Une partie des agriculteurs se dit fortement affaiblie psychologiquement et financièrement par un prix des récoltes impacté par la concurrence roumaine, hongroise ou polonaise. L'agriculture traditionnelle ou biologique renforcerait cette problématique selon certains. Raison pour laquelle ils souhaitent que cet élément soit pris en compte dans la future PAC.

"Il ne faut pas se voiler la face, lorsqu'on veut aller un peu plus vers le verdissement, vers des mesures plus respectueuses de l'environnement, il y a toujours un manque de production qui en découle. Si tous les agriculteurs occitans respectent les nouvelles règles, l'opération ne serait pas rentable pour l'exportation", explique Axel Tran Van, agriculteur bio à Merville (Haute-Garonne).

Le SMIC n'étant pas le même dans l'ensemble des pays européens, le taux de masse salariale ne l'est pas non plus, et c'est donc sur la productivité de chaque exploitation au sein des différents pays de l'Union européenne que les écarts se créent.

"Nous avons une agriculture à deux vitesses avec des pays qui ont un coût de main d'œuvre bien inférieur au nôtre. Il faut tenir compte de cela dans l'attribution des aides dans tous les pays d'Europe pour avoir une équité en termes de rentabilité d'exploitation, de production et de coûts de production", rappelle Alain Iches, président de la FDSEA du Tarn-Et-Garonne.

Mais comme le fait remarquer Marie Gagneux, de Greenpeace Toulouse, certains ne pourront de toute manière pas mettre en place ce qu'il faut pour respecter ces nouvelles mesures : "Il y en a qui sont vraiment pieds et poings liés à leur coopérative. Concrètement, ceux-là ne peuvent pas changer de modèle, ou alors ce serait un bouleversement pour eux. Pour autant, la PAC de demain, bien qu'imparfaite, prend une bonne orientation sur quelques mesures écologiques".

L'Etat tranchera

Au cours de la manifestation toulousaine, Étienne Guyot, le préfet de la région Occitanie, a reçu les responsables des syndicats de Jeunes agriculteurs, de la FDSEA 31, de la FDSEA 32 et de la FDSEA 82. Ils se sont dits satisfaits de l'écoute du représentant de l'Etat mais prudents quant aux conséquences de cette rencontre. Le préfet a indiqué à la presse avoir "porté une très grande attention aux sujets présentés par les agriculteurs" et s'être "engagé à faire remonter au niveau national l'ensemble des difficultés évoquées". Le gouvernement français aura pour mission de trouver un juste équilibre, à commencer par le ministre de l'Agriculture, le Lotois Julien Denormandie.

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