Carnet de commandes plein et perspectives radieuses : y a-t-il une "bulle" aéronautique ?

Y a-t-il un emballement autour du secteur aéronautique ? Trafic aérien mondial en croissance, explosion du low cost, course à l'innovation, carnets de commandes pleins, recrutements : selon l'étude annuelle menée par le cabinet Deloitte sur l'aéronautique civil et la défense en 2016, le secteur se porte très bien. La grande question qui se pose selon Pascal Pincemin, associé responsable Aerospace and Defence chez Deloitte, est : "tout cela est-il constitutif d'une bulle ?". Interview.
Y a-t-il un emballement autour du secteur aéronautique ?

Vous évoquez un secteur économique aux perspectives "remarquables", pourquoi ?

Tous les déterminants du secteur sont au vert, en premier lieu le trafic aérien mondial qui est la donnée clé du secteur. La demande de transport augmente entre 4 et 6 % par an avec des prévisions stables pour 20 ans, ce qui est remarquable. Peu de secteurs de l'économie ont de telles perspectives. Cela s'explique par des phénomènes démographiques dans les pays émergents (Chine, Inde, Indonésie), dont les classes moyennes ont désormais accès au transport par avion. Pendant ce temps, le prix des billets décroît (baisse de 47 % entre 1990 et 2015). En 2016, au moins un habitant sur 4 dans les pays émergents a voyagé en avion. On passera à 75 % en 2035 (soit 3 sur 4).

La question n'est finalement pas de savoir s'il y aura de la croissance mais qui la captera. Alors ?

Sur le segment des constructeurs, il y a un duopole Boeing / Airbus dont l'avenir s'annonce brillant avec 35 155 avions à construire dans les vingt ans qui viennent et un carnet de commandes qui représente 9,5 années de production. L'enjeu sera donc de gérer les ramp-up de production plutôt que d'aller trouver du chiffre d'affaires.

Idem du côté des compagnies aériennes, à la différence qu'elles font face à un univers concurrentiel beaucoup plus important. Il y aura donc une guerre pour capter le chiffre d'affaires et l'élément de différenciation sera le confort dans les cabines. Cela signifie que seuls les acteurs qui auront les moyens d'investir massivement dans des univers de cabines plus ergonomiques et connectés s'en sortiront. À l'heure actuelle, dans les grandes majors (Air France KLM, British Airways et autre Lufthansa), aucune compagnie ne paraît en situation de faiblesse. Les compagnies du Golfe semblent quant à elle disposer de moyens quasi-infinis pour investir.

Le chiffre

Au cours des dix prochaines années, la production d'avions commerciaux devrait afficher une progression prononcée d'environ 29,3 % et de plus de 62,2 % à horizon 2035


Vous évoquez le duopole Airbus / Boeing. Quand sera-t-il rompu ?

On sait qu'il y aura une rupture du duopole des constructeurs avec l'arrivée d'un troisième constructeur mondial qui sera l'acteur chinois Comac. On parle de moyen terme, c'est-à-dire dans 10 ou 15 ans. Il faut le temps à cet acteur de pouvoir mettre sur le marché un avion répondant à toutes les exigences de sécurité et de confort, ce sera probablement un moyen courrier qui servira le marché intérieur chinois. Un marché conséquent puisque d'ici à 2029, le marché intérieur chinois remplacera les États-Unis comme le plus grand marché de l'aviation au monde.

Mais Airbus et Boeing ont encore une réelle avance technologique et leur façon de se préparer est de maintenir un positionnement à la pointe. Néanmoins, pour fabriquer leurs avions en Chine (et aussi en Inde), ils passent par des contrats de transfert de technologies, donc ils savent que le moment viendra ou Comac sortira son avion.

pascal pincemin

Pascal Pincemin, associé responsable Aerospace and Defense chez Deloitte ©photo DR

Deloitte mène depuis 10 ans cette étude annuelle sur l'état du secteur aéronautique et défense. Finalement, peu de changement d'une année sur l'autre : les prévisions sont à chaque fois excellentes. Quelle conclusion en tirez-vous ?

C'est vrai qu'il n'y a pas de changement de tendance d'une année sur l'autre. Depuis quelques années, la question qui se pose est donc de savoir si tout ceci est constitutif d'une bulle qui pourrait "éclater". Les tendances sont-elles robustes et durables ? Il est important de se reposer la question chaque année.

Quelle est votre analyse sur cette question ?

Je pense que les tendances sont très robustes. En revanche, si l'on considère des périodes de quelques années (et non l'horizon à 20 ans), on peut avoir des phénomènes de décalage de livraisons du fait de tensions dans la supply chain et des paris de capacité des compagnies aériennes. En effet, d'une année sur l'autre, et en fonction de leurs prévisions d'activité et de rentabilité, les compagnies modulent les capacités, c'est-à-dire le nombre de sièges / kilomètres offerts (SKO), et peuvent donc retarder leur prise de livraison d'avions en commande. Mais je ne vois rien là qui soit constitutif d'une "bulle". Chaque année qui passe, on devrait constater une consolidation de la tendance.

L'étude montre la grande fragmentation de la supply chain aéronautique française. Est-ce un problème ?

On constate en effet que 45 % des entreprises du secteur comptent moins de 10 salariés et 60 % ont moins de 50 salariés. Il y a donc énormément de petites entreprises qui ne sont pas toujours structurées au niveau organisationnel et financier pour sécuriser la montée en cadence. C'est le rôle des constructeurs d'encadrer les entreprises de leur écosystème et éviter une rupture dans leur capacité à livrer des appareils.

À ce titre, le rapprochement de Zodiac et Safran en 2016, deux acteurs importants de la chaîne de valeur, est une excellente chose. On parle de deux très gros groupes, mais c'est un exemple emblématique du type de consolidation qui est nécessaire à tous les niveaux. Le private equity doit à mon sens avoir un rôle plus important dans le futur pour accompagner cette intégration.

Les principaux chiffres de l'étude Deloitte sur l'aéronautique

- Croissance mondiale de l'industrie aéronautique en 2016 : +1,7%
- Chiffre d'affaires des 20 plus gros acteurs en 2016 (janvier à septembre): 347,7 milliards de dollars
- 62 000 recrutements sur les 5 dernières années en France
- 235 opérations de fusion-acquisition recensées dans le monde (dont 173 de réalisées)
- Pour les 20 prochaines années, le trafic de passagers et de fret devrait croître respectivement de 4,8% et 4,2% par an
- Le low-cost représente 28% des passagers transportés

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