Enquête sur la filière cinéma à Toulouse (1/2) : y a t-il un manque de volonté politique ?

Quand un film est tourné à Toulouse ou en région, les retombées économiques sont importantes : 9 millions d'euros en 2015 sur l'ex région Midi-Pyrénées. L'année dernière, 290 jours de tournage ont été recensés sur le territoire. Trop peu, selon plusieurs acteurs du secteur, qui voudraient rendre Toulouse plus attractive et dénoncent un vrai manque de volonté politique. Dans la deuxième partie de cette enquête, qui sera publiée le 22 avril, se posera la question de la transparence dans le fonctionnement de cette filière cinéma, notamment dans l'attribution des subventions aux films.
Collection de la cinémathèque de Toulouse
Collection de la cinémathèque de Toulouse (Crédits : Rémi Benoit)

Quatre longs métrages de cinéma ont été tournés à Toulouse et sa région en 2015 pour 76 jours de tournage (lire encadré : Les longs métrages tournés en 2015). En comptant les documentaires, courts-métrages et films d'animation, un total de 290 jours de tournages a été recensé dans l'ex région Midi-Pyrénées. C'est peu.

"Si on fait la moyenne sur trois ans (selon les chiffres de la revue spécialisée Écran Total), on compte en moyenne 80 jours de tournage de longs métrages par an en Midi-Pyrénées. À titre de comparaison, c'est 160 en Aquitaine, 160 en Languedoc-Roussillon, 420 en Paca. Au-dessus il y a Rhône-Alpes et bien sûr Paris (plus de 1100)", commente Joël Attard, coauteur du livre Clap Sur Midi-Pyrénées (édition Un Autre Reg'Art).

Pourtant, les atouts locaux ne manquent pas : des paysages variés et beaux, un patrimoine historique riche et une filière cinéma qui regorge de compétences : on compte environ 500 techniciens du cinéma en Midi-Pyrénées.

"Nous avons à Toulouse une formation qualifié et reconnue avec, notamment, l'Université Toulouse Jean-Jaurès et l'ESAV. Le public est très cinéphile (lire encadré Midi-Pyrénées, terre de cinéphiles NDLR), nous avons une multitude de festivals de cinémas, et un riche tissu de sociétés de production. Toulouse dispose également de la 2e cinémathèque de France", indique Natacha Laurent, historienne du cinéma et ex directrice de la Cinémathèque de Toulouse.

"De la formation à la conservation des films en passant par la production et la diffusion, nous disposons d'une filière complète, ce qui est rare. Notre région n'est pas seulement un cadre exotique pour réalisateur parisien, elle a des atouts extraordinaires".

Alors, qu'est-ce qui cloche ? Pourquoi Toulouse n'est-elle pas une terre de tournages ? Pourquoi la production de longs métrages constitue l'angle mort de cette filière ?

Midi-Pyrénées, terre de cinéphiles

Selon le CNC, la fréquentation des salles midi-pyrénéennes en 2014 a atteint 9 millions d'entrées, et les recettes des salles de la région se sont élevées à 55,32 millions d'euros. Selon Joël Attard, auteur de Clap sur Midi-Pyrénées,Toulouse est même la deuxième ville de France pour la fréquentation des salles avec plus de 5 millions de spectateurs par an. Le cinéma d'Art et d'Essai est particulièrement plébiscité en Haute-Garonne (plus d'un million d'entrées en 2014), et les 92 établissements Arts et Essais représentent 68,7 % des établissements de Midi-Pyrénées.

Manque de volonté politique ?

Plusieurs acteurs de la filière s'accordent à le dire : Toulouse a souffert d'un manque de volonté politique en matière de filière audiovisuelle.

"Midi-Pyrénées a été la première région de France, en 1985, à mettre en place un fonds d'aide à la création audiovisuelle. Mais depuis, ce fonds n'a pas beaucoup évolué ! Il représente 1,4 million d'euros par an. En Poitou-Charentes, c'est trois fois plus. Il y a, en Midi-Pyrénées, un vrai problème de volonté politique. Aucune personnalité politique n'a saisi ce sujet comme étant une priorité", analyse Joël Attard.

Dans les années 80 pourtant, le ministre de la Culture Jack Lang a opéré la "décentralisation culturelle" et Toulouse a fait partie des 5 villes sélectionnées pour y implanter des centres de production. C'est la naissance des Ateliers Cinématographiques Sirventès, qui ont notamment permis l'émergence de réalisateurs locaux connus comme Alain Guiraudie (sélectionné à Cannes cette année avec son film Rester Vertical).

"Les Ateliers Sirventès ont duré 10 ans et ont permis aux collectivités locales de découvrir comment le cinéma fonctionnait et quel intérêt elles pouvaient y trouver. La structure a fermé au début des années 90 faute de financements", se souvient Natacha Laurent. Depuis quelques années pourtant, les choses bougent dans le bon sens affirme-t-elle : "Depuis l'expérience des Ateliers Sirventès, le politique a exprimé sa volonté de soutenir et de structurer la filière." L'audiovisuel est même "une priorité" assure la vice-présidente de la région LRMP en charge de la Culture, Dominique Salomon :

"La filière audiovisuelle s'inscrit dans le cadre des industries culturelles que nous souhaitons accompagner davantage dans leur développement. Nous devons être plus présents sur les salons, à Cannes ou Paris, pour faire connaître notre potentiel. C'est un secteur auquel je crois beaucoup. On pourrait aussi se rapprocher du secteur du tourisme : le tourisme lié aux tournages de films fonctionne, cela se fait beaucoup en Paca."

Une agence régionale du cinéma ?

La Région se penche actuellement sur l'éventualité de créer une agence, telle qu'elle existe en LR (Languedoc Roussillon Cinéma - LRC) pour être mieux représentée et plus efficace pour attirer des tournages. C'est d'ailleurs le souhait des professionnels de la région, qui s'inquiètent néanmoins de la tournure de la réflexion en cours. Dans un communiqué rédigé le 20 avril 2016, les associations Midi Film, Real et Film Languedoc indiquent :

"Alors qu'il faudrait étendre les compétences de cette agence à l'ensemble de cette nouvelle région, il semblerait que l'on s'oriente vers la solution de l'échec. Comment prétendre soutenir la création dans cette grande région si on ne préserve pas les outils qui comme LRC soutiennent efficacement la filière régionale ?"

Une déclaration que ne comprend pas la vice-présidente en charge de la Culture. "Je suis très étonnée par les propos tenus dans ce communiqué, a-t-elle réagi ce jeudi 21 avril. Je rappelle, une fois encore, qu'une large et nécessaire réflexion est effectivement en cours autour de la politique culturelle à conduire dans le cadre de la nouvelle grande région. La filière audiovisuelle est concernée au même titre que toutes les autres mais je conteste vivement les insinuations faites par les auteurs de ce texte et aucune menace ne pèse sur Languedoc Roussillon Cinéma dont l'expertise et le travail sont reconnus de tous."

Source Conseil régional de Midi-Pyrénées.

Les chiffres montrent d'ailleurs qu'en Languedoc-Roussillon est plus performante dans l'accueil de tournages de fiction que Midi-Pyrénées, davantage tournée vers le documentaire. On note par ailleurs qu'il y a plus de tournages en Languedoc-Roussillon (542 jours en 2015).

"Il y a davantage de tournages en LR car la politique régionale a poussé en faveur de cela. En Midi-Pyrénées, c'est l'animation qui a été accompagnée. C'est bien la preuve que quand il y a une volonté politique, ça marche", remarque Isabelle Dario, réalisatrice de documentaires et membre de l'association de techniciens Midi Film.

Le secteur animation, largement porté par la société TAT Productions, a en effet engendré 7,8 millions d'euros de retombées économiques en 2015 (voir encadré : L'animation, un nouveau souffle).

L'animation, un nouveau souffle

L'animation représente environ 150 emplois et un chiffre d'affaires de 8 millions d'euros dans la région (ex Midi-Pyrénées). Le nombre d'emplois pourrait "doubler d'ici à 4 ou 5 ans" selon Jean-François Tosti, PDG de TAT Productions et président de l'Arpanim. Cette association regroupe les sociétés Xbo Films, Double Mètre Animation, le Lokal Productions, Anoki, Milan Presse et TAT Productions (connue pour le succès télé des As de la Jungle). Des synergies sont envisagées avec le secteur du jeu vidéo, très représenté du côté de Montpellier (avec Ubisoft notamment). L'installation à Toulouse il y a quatre ans du festival Cartoon Forum a donné un sérieux coup de projecteur sur la filière toulousaine. En 2015, la filière animation a permis 7,8 millions d'euros de retombées économiques en LRMP (dont 6,1 millions d'euros en Ex Midi-Pyrénées, grâce à TAT productions essentiellement). À titre d'exemple, Les As de la Jungle saison 1 a généré 5 945 982 euros de retombées économiques locales, dont 53% pour le salaire des 74 techniciens pour 15 700 jours de travail.

Une élection symbolique

L'élection de Serge Regourd à la tête de la commission Culture du Conseil régional en février dernier est un signe positif pour la filière : le professeur de droit des médias est également vice-président de la cinémathèque et un spécialiste reconnu du cinéma avec plusieurs ouvrages publiés sur ce sujet.

Décrié par certains professionnels qui lui reprochent d'avoir "les pleins pouvoirs dans le milieu du cinéma local", Serge Regourd est jugé très légitime par d'autres. C'est en tout cas "un acteur de premier plan à Toulouse pour le rayonnement de la filière cinéma", assurent les auteurs de Clap Sur Midi-Pyrénées.

Les longs métrages tournés en 2015

Sur les 100 dernières années, le nombre de long-métrages produits en petite ou grande partie dans la région est estimé à 250. Récemment, quatre longs-métrages y ont été tournés : - Quand on a 17 ans d'André Téchiné (40 jours de tournage à Luchon, sortie prévue printemps 2016). - Le Gang des Antillais de Jean-Claude Barny (24 jours de tournage à Toulouse, sortie prévue à l'automne 2016). - Le Serpent aux Mille Coupures d'Eric Valette (10 jours de tournage dans le Tarn). - Rester Vertical d'Alain Guiraudie (2 jours de tournage en Aveyron, sortie prévu en août 2016).

La seconde partie de notre enquête sera publiée vendredi 22 avril.

Vous y découvrirez que le fonctionnement d'attribution des subventions aux films est parfois jugé opaque, laissant cours aux rumeurs de "copinage". Par ailleurs, vous comprendrez pourquoi les tournages de films ne profitent pas forcément au tissu économique local et pourquoi les professionnels se battent pour créer une web télé de service public locale.

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