Pénurie de main-d'oeuvre : « En France, on travaille sur la rétention plutôt que l'engagement » (Bernard Coulaty)

Ancien DRH chez Danone et Pernod Ricard, Bernard Coulaty est l'auteur du livre « L'engagement 4.0 ». Dans une période où les entreprises cherchent désespérément du personnel dans tous les secteurs, le grand témoin de l'édition 2023 du StartEmploi livre une partie de la recette pour permettre aux entreprises d'attirer à nouveau les talents. Pour le directeur académique exécutif du master Transformation et développement humain à l’IÉSEG, l'engagement dans un équilibre entre le besoin d'un sentiment collectif et une certaine individualisation du parcours salarié. Interview.
Grand invité du StartEmploi 2023, Bernard Coulaty a livré sa recette pour favoriser l'engagement des salariés.
Grand invité du StartEmploi 2023, Bernard Coulaty a livré sa recette pour favoriser l'engagement des salariés. (Crédits : Frédéric Scheiber)

La TribuneDans une période où la quête de sens des salariés devient une obligation, vous êtes l'auteur de l'ouvrage "L'engagement 4.0". Tout d'abord, à qui est destiné ce livre et pourquoi avez-vous pris la plume pour aborder ce sujet ?

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Bernard Coulaty - Je ne suis pas un doctorat ou un académique. J'ai écrit un livre à partir de mon expérience, donc c'est plutôt un partage d'expérience car j'en ai assez d'entendre parler d'engagement, sujet sur lequel on dit un peu n'importe quoi. J'avais envie de rétablir la vérité sur cette thématique. Ce qui m'a frappé sur l'engagement, c'est qu'on se focalise trop sur les différences, entre générations, cultures, etc, et on essaie de segmenter les approches par rapport à ces différences, comme dans le marketing. Donc ce qui m'intéresse de mon côté, c'est voir ce qui fait sens commun, ce qui rassemble les personnes.

Au départ, je ne voulais pas écrire un livre, mais plutôt établir un modèle pédagogique avec les grands axes de l'engagement et comment cela fonctionne. Je suis parti du principe que nous faisons tout à l'envers... En France, on travaille sur la rétention plutôt que sur l'engagement. On travaille plutôt sur la satisfaction avec de beaux bureaux, etc, mais des choses qui créent zéro engagement. Après, on travaille sur la motivation avec la rémunération et les primes variables. Mais on ne crée toujours pas de l'engagement et l'engagement c'est tout le contraire. L'engagement c'est de l'appropriation, c'est le fait de décider de s'engager pour quelque chose ou quelqu'un.

Aujourd'hui, la finalité dans la vie ce n'est plus le travail mais c'est s'épanouir dans la vie. Tout s'est inversé. Ce n'est pas dire que les gens sont fainéants, on a simplement inversé l'équation et il faut la résoudre. Ce n'est plus la longévité dans l'entreprise qui compte, mais l'engagement quelle que soit la durée passée dans la société. Je suis resté 10 ans en Asie, il y avait un énorme turnover dans ma société. Les salariés restaient au maximum trois à quatre ans, mais faisaient preuve d'un engagement énorme durant leur passage et leur loyauté était très importante. C'est la nouveauté sur laquelle il faut se concentrer aujourd'hui.

Les États-Unis ont été touchés par le phénomène dit de la Grande Démission, avec des millions de salariés qui ont quitté leur emploi. En France, on sait qu'il y a eu un phénomène de départs massifs aussi, mais dans une proportion moindre. Est-il juste de parler de Grande Démission pour la France aussi et selon qu'est-ce-que cela traduit sur la situation actuelle du marché du travail ?

Oui en France, il y a un phénomène de départs massifs. Quand le marché de l'emploi est un peu meilleur pour le salarié, certains se sentent pousser des ailes et il y a des tentations. C'est humain, c'est normal. Plutôt que de parler de Grande Démission, il y a deux phénomènes de fond en France. Tout d'abord, le rapport entre le collaborateur et l'employeur s'est inversé ou est en train de s'inverser.

Enfin, et surtout, c'est un peu la fin de la fidélité. Et pour moi, il y a un phénomène plus grave que les gens qui partent : ce sont ceux qui restent et qui sont désengagés. Si je ne suis pas recruté ailleurs alors que j'ai une opportunité, ce n'est pas grave car je peux rester dans mon poste actuel, ou il y a ceux qui restent sans en faire trop et qui s'assurent une qualité de vie. C'est là que le danger réside selon moi. Si aucun manager ou leader n'est capable de créer de l'envie en eux, car l'engagement c'est avant tout de l'envie de s'engager dans l'entreprise, il a donc échoué dans sa mission.

Semaine des quatre jours, télétravail à volonté, jeux dans les espaces de travail, espaces de corpoworking, primes à tout va, rémunérations parfois délirantes... Les entreprises mettent tous les moyens possibles pour recruter en France. Ne nous dirigeons-nous pas vers une génération de salariés pourris gâtés ? N'est-ce-pas dangereux sur le long terme pour les employeurs ?

Le grand dilemme est que nous avons envie de satisfaire les gens pour leur donner envie de rester, mais je le répète, cela ne crée pas de l'engagement. On pourrait parler de « RH washing », je ne sais pas si ce terme existe mais nous pourrions l'inventer. On a eu la période avec le droit à la déconnexion, le bonheur au travail, l'entreprise libérée où les chefs ont été remplacés par la tyrannie des processus, etc. Nous sommes en train de sortir de cela grâce au Covid, qui a un peu fait reset sur tout cela.

Ce qui marche aujourd'hui, c'est que nous sommes moins attachés à l'entreprise mais davantage à nos collègues et aux managers de proximité. Il reste des choses à creuser là et c'est intéressant de revenir sur ces fondamentaux. Pour créer de l'engagement, il faut trouver cette ligne de crête entre la bienveillance et l'exigence, qui prend en compte le développement personnel et professionnel des personnes. Les meilleurs managers que j'ai connus ce sont ceux qui arrivaient à alterner la bienveillance et l'exigence selon les contextes et ça, le salarié s'en souviendra. On se souvient plus d'un manager que des conditions de travail dans l'entreprise où nous étions.

Vous dîtes qu'il n'y a pas de recette miracle pour créer de l'engagement, bien qu'il existe quelques fondamentaux. Néanmoins, si vous deviez faire une to do list pour une entreprise pour créer de l'engagement en interne, quelle serait-elle ?

Il faut tout d'abord recréer du collectif car nous sortons d'une période complexe mais cela ne veut pas dire faire des summer party, etc. Je parle d'un vrai collectif et avec le travail à distance ce n'est pas facile. Ce qui marche bien c'est un alignement entre nos valeurs personnelles et celles de l'entreprise. Il faut peut-être être plus sélectif dans le recrutement, bien que le marché soit tendu, mais il vaut mieux se priver de profils qui ne collent pas avec les valeurs de la société. Il faut pouvoir combiner les projets et les ambitions des salariés avec ceux de l'entreprise. Parfois, nous y arrivons, sur des projets RSE sur l'environnement par exemple. Deuxième point, il faut être dans l'apprentissage permanent. Quitte à ne pas rester longtemps dans une entreprise, autant y apprendre beaucoup et on se souviendra longtemps de certaines choses que nous avons appris chez un employeur, plutôt que de rester 20 ans à faire un job quelconque. Le RH a un rôle à jouer sur ce point, mais aussi le manager à travers le mentorat notamment.

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La formation par le mentorat fait de plus en plus d'adeptes dans les entreprises pour leurs recrues. La personnalisation de l'intégration et des parcours dans l'entreprise est-elle l'une des clés sur laquelle doivent miser les employeurs ?

La recherche de l'individualisation est une clé pour l'avenir. C'est d'ailleurs un paradoxe, il faut recréer du collectif et faire un peu d'individuel. Le mentorat se développe, comme la notion de manager-coach et manager mentor. Le mentorat marche bien aussi entre plusieurs populations dans l'entreprise pour créer de l'intelligence collective, entre des jeunes et des séniors notamment. Le paradoxe aujourd'hui c'est que parfois aujourd'hui nous allons préférer écouter un collègue plutôt que son chef. Un collègue reconnu par ses pairs pour son expertise ou son engagement peut avoir un pouvoir fédérateur auprès des autres, parfois plus important que le manager.

Dans une société, plusieurs générations se côtoient. Alors, nous parlons beaucoup de comment attirer la génération Z vers le marché du travail. Mais n'est-ce pas une erreur de concentrer l'attention principalement sur ces jeunes ?

Quatre générations se côtoient dans une entreprise. Quand je prends une liste de la définition de ce qu'est la génération Z, finalement peu de choses les différencient des autres générations. La seule vraie différence c'est qu'aujourd'hui ils ont besoin de comprendre pourquoi ils font les choses. C'est tant mieux car ceux d'avant n'étaient peut-être pas capables de le demander. Il y aussi le côté dit « slasher » pour les définir, avec cette capacité de passer d'un grand groupe à une startup. Mais le côté slasher des séniors peut être une solution pour combattre la précarité des séniors, qui sera l'un des gros sujets des années à venir. Les jeunes, quand ils créent leur startup particulièrement, ils sont ravis d'être accompagnés par un sénior donc il y a sûrement quelque chose à creuser là. Avec les deux bouts du marché du travail, il y a sans aucun doute des solutions à creuser.

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