Qu'a appris Adam Smith durant son voyage à Toulouse ?

En 1764, l'économiste Adam Smith a sillonné pendant plusieurs mois le Sud-Ouest et notamment Toulouse. Dans un récent ouvrage, deux chercheurs reviennent sur ce périple de l'inventeur de "la main invisible". Entre Canal du Midi, capitouls et affaire Calas, Adam Smtih découvre le fonctionnement des institutions économiques, judiciaires et politiques de la France dont il fera abondamment référence dans la Richesse des Nations.
Adam Smith a séjourné pendant plusieurs mois à Toulouse.
Adam Smith a séjourné pendant plusieurs mois à Toulouse. (Crédits : Rémi Benoit)

C'est une anecdote peu connue. Adam Smith, "père de l'économie politique" et mondialement connu pour le concept de "main invisible" dans La Richesse des Nations (1776) a séjourné auparavant pendant plusieurs mois à Toulouse entre 1764 et 1765. Chargé de l'éducation d'un jeune aristocrate écossais, le professeur de Glasgow a fait un tour de France où en partant de la Ville rose, il s'est rendu à Bordeaux, dans les Pyrénées et même à Montpellier pour étudier le fonctionnement des institutions politiques et économiques.

Pourquoi Toulouse ?

 Dans un ouvrage qui vient d'être publié aux Éditions Privat (Adam Smith à Toulouse et en Occitanie), Alain Alcouffe et Philippe Massot-Bordenave retracent ce séjour initiatique. Ils expliquent notamment pourquoi le grand économiste avait choisi de poser ses bagages dans la Ville rose :

"S'il a choisi Toulouse, c'est que la ville possédait alors de multiples atouts : second Parlement de France, ville au centre d'une importante région, ville universitaire, ville marchande, ville industrielle, ville bourgeoise enfin. De Toulouse, il a facilement pu rayonner car la ville est idéalement située dans le vaste sillon aquitain qui court de Bordeaux à Nîmes.

Au sein de la Ville rose, l'économiste et son élève découvrent une administration économique et judiciaire dirigée par des capitouls qui siègent à l'hôtel de ville et le parlement qui relaie les lois prises à Versailles. Au-delà des institutions, Adam Smith est marqué par les multiples particularismes locaux qui complexifient la compréhension du système des impôts en France. Quelques années plus tard dans La Richesse des Nations, il écrit :

"En France, on ne se plaint pas beaucoup des droits de timbre ; on se plaint beaucoup de ceux d'enregistrement, qu'on y nomme contrôle. Si les plaintes du peuples sont bien fondées, il faut que les abus proviennent moins de l'impôt en lui-même que du manque de clarté et de précision dans la teneur des édits ou des lois qui l'ont établi".

Le professeur fait aussi la connaissance de l'une des fiertés de la ville à l'époque : les moulins du Bazacle, l'une des toutes premières sociétés par actions du pays. Adam Smith est plutôt opposé à cette forme d'entreprise, considérant que les propriétaires ne comprennent pas le fonctionnement de la société et ne s'intéressent qu'aux dividendes. En revanche, il est impressionné par l'organisation du travail mise en place dans le Canal du Midi. Pierre-Paul Riquet embauche des hommes et des femmes entre 20 et 50 ans qu'il organise en sections formant des ateliers dirigés par un contrôleur général. Cette rationalisation du travail permet d'optimiser les tâches et de réaliser plusieurs chantiers à la fois. Dans la Richesse des nations, Adam Smith cite fréquemment le Canal du Midi au sujet de la division du travail. Cette dernière consiste en une répartition toujours plus spécialisée du processus de production de sorte que chaque travailleur peut devenir spécialiste de l'étape de la production à laquelle il se consacre, accroissant l'efficacité de son travail, donc sa productivité.

Adam Smith indigné par l'affaire Jean Calas

Autre point d'intérêt, la Ville rose est au coeur de multiples affaires qui ont une portée nationale et dont l'affaire Calas est la parfaite représentation. L'affaire porte le nom de Jean Calas, commerçant protestant de Toulouse qu'on accuse d'avoir assassiné son fils pour l'empêcher de se convertir au catholicisme. Entachée de nombreux abus, la procédure est aussi rendue célèbre par l'intervention de Voltaire.

Informé de l'erreur judiciaire, Adam Smith insère dans une nouvelle édition de la Théorie des sentiments moraux un passage y faisant référence : "Le malheureux Calas, un homme pourtant d'une constance hors du commun sembla dans son dernier souffle réprouver non pas tant la cruauté du supplice que la honte qu'apporterait cette imputation sur sa mémoire".

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.