Jean-Pierre Vinel (UT3), l'université comme moteur de développement économique

Jean-Pierre Vinel a pris la tête de l'université Paul-Sabatier, à Toulouse, il y a un an. Se mettant à dos les syndicats, il a lancé un plan d'économies drastique pour résorber le déficit de l'établissement et défend une vision de l'université tournée vers l'entreprise. Portrait d'un président qui aime les responsabilités, même dans l'adversité.
Jean-Pierre Vinel est à la tête de l'Université Paul-Sabatier depuis janvier 2016

Jean-Pierre Vinel le dit lui-même, il aime "mettre les mains dans le cambouis". Élu il y a un an à la présidence de l'université Toulouse 3 - Paul-Sabatier, alors endettée de 16 millions d'euros, il n'a pas hésité à annoncer cinq mois après son arrivée des gels de postes et une remise à plat de la gouvernance.

"J'aurais préféré arriver avec un petit pactole d'économies en réserve mais l'université était en déficit depuis deux ans avec le risque d'une mise sous tutelle par l'État : la pire chose qui pourrait arriver. Nous avons dû agir de façon plus rapide et plus drastique que je ne l'aurais pensé afin de remettre le budget à l'équilibre et de reconstituer des réserves qui sont indispensables pour faire un projet", assume-t-il.

Ce pacte de développement a déclenché immédiatement une levée de boucliers chez les syndicats et un appel à la grève pour dénoncer "un plan social avec 200 postes sur la sellette". Au contraire, pour Marie-France Barthet, ancienne présidente de l'Université fédérale de Toulouse, "il faut un courage fou pour proposer un gel des postes, beaucoup auraient opté pour le statu quo".

"Il fait preuve d'un vrai courage et de détermination dans l'adversité, c'est un marin qui tient la barre dans la tempête", décrit de son côté Didier Carrié, qui lui a succédé comme doyen de la faculté de médecine de Purpan.

Malgré ce contexte financier difficile, Jean-Pierre Vinel affectionne tout particulièrement "ce rôle de chef d'orchestre". "Ce n'était pas du tout dans mes objectifs de devenir président d'université mais quand on a commencé à m'en parler, je me suis dit qu'à ce niveau, j'aurais des leviers plus puissants pour changer la politique de l'université, des leviers que je n'avais pas en tant que doyen de la faculté de médecine. De toute façon, je n'aurais pas aimé faire la même chose toute ma vie", poursuit-il.

pragmatique et novateur

Fils d'un médecin rhumatologue, ce Toulousain de naissance a suivi les pas de son père en s'inscrivant à la faculté de médecine (déjà à Paul-Sabatier). D'abord intéressé par la psychiatrie, il se spécialise finalement dans l'hypertension portale, une complication des maladies chroniques du foie. "Nous sommes peut-être 150 ou 200 dans le monde à travailler sur le sujet. C'est une discipline très variée, vous pouvez suivre un patient de la consultation à l'exérèse d'une tumeur. Et puis, il y a beaucoup d'urgences, on échappe à la monotonie, j'aimais bien ça", se remémore-t-il. Et quand on lui demande ce dont il est le plus fier dans sa carrière, le médecin de 65 ans répond sans hésitation :

"Quand j'étais jeune médecin, le taux de mortalité d'une hémorragie digestive liée à une hypertension portale était de 35 à 40 %, actuellement il est de 10 %. Ces progrès sont liés à de multiples facteurs mais il y a quand même des techniques de prise en charge des patients qui ont été développées. C'est quelque chose de concret."

"Pragmatique", "réaliste", et "novateur" sont les adjectifs qui reviennent le plus pour décrire Jean-Pierre Vinel. À Purpan, il innove en instaurant pour les élèves des sessions d'immersion complète dans les services hospitaliers. "Pendant un ou deux mois, les étudiants voyaient les malades en néphrologie (maladies des reins, NDLR) et ils suivaient à la fac les cours théoriques correspondants à ces maladies", décrit Didier Carrié. À l'université, son cheval de bataille est de créer plus de liens entre les disciplines universitaires, mais aussi entre la fac et les entreprises.

"Quand j'étais étudiant, je suis très rarement allé à l'université Paul-Sabatier. Je vivais entre la fac de médecine et l'hôpital. Mais le problème est que nous ne pouvons pas vivre dans un monde fermé. La santé est un enjeu beaucoup plus large que l'exercice du soin : il n'existe aucune discipline universitaire qui n'est pas impactée par les problématiques de santé, détaille-t-il.

Il serait bon qu'il y ait des contacts entre les soignants, les sciences dures, la technologie, les gestionnaires, les économistes, mais aussi les sciences humaines pour aborder les problèmes d'éthique, de philosophie... La santé est un univers dans lequel les professionnels de santé ne sont qu'une partie infime au final."

Fin novembre 2016, il a présenté le "campus innovant" de l'université Paul-Sabatier qui regroupe cinq projets rapprochant le monde de la recherche de celui des entreprises : fablab, tiers-lieu collaboratif, centre spatial universitaire ou encore un démonstrateur où les entreprises peuvent tester leurs innovations dans les salles de classe. "Il faut que l'université soit vue par les entreprises comme un véritable moteur du développement économique", scande le président de Paul-Sabatier, qui a succédé à Bertrand Monthubert.

Le sponsoring pour pallier les baisses de dotations de l'État

Ce rapprochement avec la sphère économique passe aussi par la promotion du sponsoring. L'université Paul-Sabatier dispose déjà depuis quelques années d'une fondation avec pour mécènes des entreprises comme la Banque Populaire ou EDF mais Jean-Pierre Vinel aimerait développer ce type de financement. "Le sponsoring est un mode de développement de ressources propres dont l'université aura besoin puisque l'État se désengage. On voit bien par ailleurs que le financement des universités n'est pas un enjeu de la campagne présidentielle", assure-t-il.

Ces nouveaux modes de financements doivent permettre selon lui de faire face aux "injonctions contradictoires" qui traversent l'enseignement supérieur, "faire face à la massification scolaire et rivaliser dans la compétition universitaire au niveau international".

"Pour arriver à rivaliser au niveau de la compétition internationale et être un moteur d'ascension sociale, il faut des moyens que nous n'avons pas actuellement. Paul-Sabatier, ce sont 400 millions d'euros de budget et 34 000 étudiants. Les deux premières universités du classement de Shanghai sont Harvard, qui a 27 000 étudiants et plus de 7 milliards de dollars de budget, et Stanford qui a 17 000 étudiants et 5,5 milliards de dollars de budget annuel. Nous sommes dans une compétition où nous sommes un peu handicapés au départ", constate-t-il.

Pour Marie-France Barthet, le président de l'UT3 "a une vision très claire et novatrice de l'enseignement supérieur avec une université ouverte sur la société. Ce n'est pas quelqu'un de passéiste, il n'est pas dans les querelles de chapelles. Il accepte la fusion de l'université avec les écoles d'ingénieur et de tisser des liens avec les entreprises, ce qu'on l'on ne retrouve pas dans toutes les facultés. Il est un moteur dans la reconquête de l'Idex". Même constat pour Philippe Raimbault qui a succédé à Marie-France Barthet à la tête de l'Université fédérale de Toulouse :

"Il est ouvert aux évolutions du monde universitaire, il fait preuve de réalisme, il sait que nous avons besoin des entreprises."

Même s'il ne s'avance pas trop sur la hausse du tarif des inscriptions ("cela peut détourner les moins favorisés de l'enseignement supérieur"), Jean-Pierre Vinel constate de manière clinique : "Si j'avais 34 000 étudiants qui payaient 40 000 euros de frais d'université chaque année, il n'y aurait plus de problèmes financiers."

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