Les matériaux du futur s'assembleront-ils seuls ?

Skylar Tibbits est directeur et fondateur du Self Assembly Lab au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et professeur au département d'architecture. Présent à Emtech les 6 et 7 octobre deniers, il étudie les matériaux qui s'auto-assemblent et les matériaux programmables. Comment ? Dans quel but ? Entretien.
Skylar Tibbits travaille au MIT sur la question des matériaux programmables.

En quoi consistent vos recherches sur les matériaux auto-assemblant ?
C'est une façon de penser complètement différente pour la production et la construction. Il n'y a pratiquement aucun exemple de construction de ce type à l'échelle humaine. En général, on a une idée géniale, on prend des machines et des matériaux et on les force à s'assembler pour former une structure qui correspond à notre idée.

Nous allons dans une direction totalement différente. Les seuls exemples proches sont la cuisine, le jardinage, le brassage de la bière, la fabrication du fromage... Ce sont des exemples très intéressants car nous n'avons aucun contrôle sur le processus. Nous avons les ingrédients et l'énergie, qui doivent donner le produit final. Vous ne pouvez pas sculpter une rose, par exemple. En quelque sorte, nous essayons de proposer la même chose mais pour la fabrication ou la construction.

Avez-vous des exemples concrets de matériaux et d'applications ?
Récemment, nous avons montré qu'un téléphone portable pouvait s'auto-assembler. Vous avez le boîtier d'un côté et les composants électroniques de l'autre et il se construit lui-même. Des meubles, comme des chaises, peuvent s'auto-assembler. Toutes sortes de choses, mais il s'agît surtout d'essayer de mettre au point des composants et un environnement qui produisent des choses utiles.

Mais comment s'auto-assemblent ces matériaux ?
Ce sont ces trois ingrédients : la géométrie, les interactions et l'énergie. Tant que vous avez ces trois éléments, les choses peuvent se fabriquer elles-mêmes. Comment est une question très complexe.

C'est-a-dire ?
Si vous avez un tas de choses aléatoires et que vous les regroupez, il ne va rien se passer d'utile. Il faut donc faire attention à la géométrie des matériaux, qui assure que seulement les choses voulues se construisent. C'est la première chose. Ensuite, il faut que ces matériaux collent ensemble. Mais si tous se collent entre eux, comme un ensemble d'aimants, il n'en ressort rien d'utile. Il faut donc des modèles d'attraction spécifiques ou ce que l'on appelle des interactions locales faibles, qui permettent au matériaux de s'assembler et de se séparer si le résultat n'est pas le bon, pour se réassembler ensuite. Enfin, il faut la bonne quantité d'énergie  pour qu'elle s'assemblent. C'est un équilibre délicat de ces trois choses qui permet l'auto-assemblage.

L'autre sujet de vos recherches sont les matériaux programmables. De quoi s'agit-il ?
Il s'agit de matériaux physiques tels que le bois, le métal, le plastique ou le caoutchouc et nous les programmons pour qu'ils changent de forme, de propriété, qu'ils deviennent des capteurs ou des actionneurs. Par exemple, le braille est une information géométrique, un code géométrique, mais il n'envoie aucun message, ne bouge pas... Ce que nous essayons de faire est d'avoir une information géométrique et des matériaux qui répondent à l'environnement pour devenir utiles. De cette manière, ils peuvent devenir actionneurs - faire bouger quelque chose, se plier, se déplacer à travers une table - ou capteurs - ils sentent l'humidité, la lumière, la température, l'électricité. Et ils peuvent se combiner. On peut ainsi créer différentes fonctions logiques : s'il y a de l'humidité, plie toi à 90 degrés ; s'il y a du soleil, fais ceci ; s'il y a de l'humidité et de la chaleur, fais cela... Une logique basée sur les interactions.

Quelles peuvent être les applications dans la vie de tous les jours ?
L'auto-assemblage est davantage de la recherche fondamentale, dans le but de voir ce qui est possible. Au contraire, les matériaux programmables ont des applications plus concrètes. Nous travaillons avec beaucoup d'entreprises comme Airbus, mais aussi sur des meubles, des chaussures, des voitures... Pour les entreprises, l'objectif principal est de créer des produits ou des outils de production de plus en plus intelligents avec de moins en moins d'électromécanique.

Nous voulons des textiles plus intelligents, des vêtements, des meubles... Donc, nous développons des matériaux qui répondent à un déclencheur de manière utile : changement de forme, de propriétés - plus respirant, plus étanche, plus confortable par exemple. Il peut s'agir de produits existants comme une chaussure et nous développons des matériaux qui peuvent se transformer pour créer la bonne forme par exemple. Des vêtements respirants quand vous avez trop chauds, étanches quand le temps est humide.

Nous avons aussi développé de nouvelles manière de produire. Par exemple, des matériaux présentés sous forme plane peuvent se transformer en un produit voulu au lieu de faire de l'impression 3D ou des les mouler. On peut aussi programmer un matériau livré sous forme de plaque chez vous et qui se transforme lui-même en un produit, sans besoin de l'assembler, en passant d'une plaque à une table par exemple.

Quand ces produits pourraient-ils sortir sur le marché ?
Difficile à dire. Dans notre labo, nous inventons de nouveaux matériaux et de nouveaux systèmes puis nous collaborons avec l'industrie. À un certain point, l'industrie s'empare de la technologie et elle est en mesure de la mettre en œuvre ou pas. Cela dépend de leur motivation, du marché, de la demande, toutes ces choses qui n'ont rien à voir avec l'invention en elle-même. Certaines industries sont plus rapides que d'autres, comme le sportswear par exemple, parce qu'elle sont dans une logique de marketing et de performance. Donc, dans ce domaine-là, cela pourrait apparaître dans cinq ans à peu près. Mais dans l'aéronautique, le spatial ou les outils médicaux, ce sera beaucoup plus long en raison de la régulation et des nombreux challenges.

Mais la technologie est au point ?
Oui, la technologie est là. La réalité entre l'invention et la mise en œuvre, c'est l'adaptabilité. Peut-on produire à grande échelle ? À un coût raisonnable ? Le produit est-il durable ? Et il y a des choses sur lesquelles nous devons travailler pour en arriver là.

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