Quel diagnostic faites-vous de la situation économique régionale ?
Alain Di Crescenzo - La région est économiquement puissante (entre 150 et 160 milliards d'euros de PIB, à comparer aux 200 milliards de la Catalogne) avec un fort taux de création
d'entreprises. C'est la quatrième région exportatrice et la première région pour le solde commercial. Comparée à Paca et à la Nouvelle Aquitaine, l'Occitanie s'en sort mieux sur tous les plans : meilleure croissance 2015 dans l'industrie et meilleure prévision de croissance en 2016. Même diagnostic pour ce qui concerne les services. Dans la construction, la situation est
difficile, car le secteur est en crise, mais l'Occitanie n'est pas, loin de là, dans la pire des situations.
Mohed Altrad - En tant qu'observateur, je remarque que plusieurs niveaux de pouvoir économique, centralisés jusqu'ici, ont été délégués à l'occasion de la fusion des Régions, qui a
vu naître l'Occitanie. On lui a donné les moyens pour que les deux anciens pôles régionaux travaillent en synergie sur les ressources internes, les finances, les outils économiques, etc. Sinon, je ne vois pas l'intérêt de créer une région unique.
Quelles sont les forces et faiblesses de l'Occitanie ?
M. A. - L'Occitanie est une des trois premières régions en France. Avec 5,7 millions d'habitants, c'est un territoire de la taille de la Suisse. Le conseil régional brasse des compétences sur l'économie, le sport, l'éducation, etc. Mais est-ce une Région résultant d'une vraie fusion, à l'image de deux entreprises qui fusionnent et mettent en place une synergie de moyens? Ou bien est-ce une juxtaposition? Il faut dire que, jusqu'ici, on a peu avancé en ce sens. De plus, la Métropole de Montpellier est entrée dans un rapport d'opposition à la Région, ce qui n'est pas de bon augure.
A. D. C. - L'aéronautique, le spatial et les systèmes embarqués sont l'ADN de Toulouse et de
sa périphérie et vont continuer à porter l'économie. Les montées en cadence sont historiques et les régions de Béziers-Montpellier et d'Alès-Nîmes ont un rôle à jouer dans le domaine de la mécanique. L'agroalimentaire est un secteur de premier plan qui doit augmenter sa production,
préserver la qualité et exporter. Pour cela, il a besoin d'être transformé en industrie 4.0. Le tourisme (qui représente plus de 10 0000 emplois) est l'autre secteur porteur. L'ex-Midi-Pyrénées doit s'inspirer des résultats de l'ex-Languedoc-Roussillon, qui est sensiblement meilleur en termes de chiffre d'affaires, de visites et de nombre de nuitées.
Des synergies sont-elles possibles entre les deux territoires ?
A. D. C. - Oui, particulièrement sur le numérique et la santé. Les pouvoirs publics doivent soutenir Sigfox dans son projet d'université du numérique et des objets connectés. Quant
à la santé, malgré la concurrence sur la protonthérapie, nous sommes très heureux d'avoir deux pôles de santé à rayonnement international. Je pointe un risque cependant : le changement de périmètre régional qui peut ralentir la prise de décision et nous faire perdre du temps dans une compétition stérile. Opposer Toulouse à Montpellier serait une erreur. Le grand enjeu est celui des transports qui est notre point faible, car notre région est un no man's land.
M. A. - Leur vocation couvre tous les domaines : économie, social, transports, etc. Mais je n'ai pas vu d'initiatives communes à ce jour. J'ai lu beaucoup d'interviews d'élus, j'ai assisté à de nombreuses réunions, et je sais qu'il n'y a toujours pas de projet notable. Dans le monde économique, un projet d'entreprise est toujours un sujet technique, qui suppose qu'on travaille et qu'on dialogue avec une volonté d'aboutir à un compromis et d'obtenir des résultats.
Les patrons se sont-ils suffisamment intéressés à la politique de la ville qui conditionne une partie de la donne économique ?
M. A. - Personnellement, j'ai accepté de prendre la présidence de l'Agence France Entrepreneur, qui a une vocation sociale : former, informer, et financer. Il existe de très nombreuses zones (quartiers prioritaires, ZUS, etc.), où vivent 11,5 millions de personnes sur le plan national, avec hélas 70 % d'inactifs, 26 % de taux de chômage, de fortes populations immigrées. Paradoxalement, c'est aussi dans ces zones qu'on observe un taux de création d'entreprises deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Ma mission consiste à aider ces gens. Dans le budget de la nation, 2,7 Md€ sont destinés à des actions de ce type, mais seuls 4 % y parviennent, car le reste s'évapore dans l'arborescence nationale. Mon idée est de mieux irriguer le système. Il faut les coordonner avec d'autres acteurs, tels que les ministères et la Caisse des dépôts, sous l'autorité de l'Agence. Aujourd'hui, c'est calé. Cela m'a pris six mois pour tisser des liens entre toutes les parties prenantes.
A. D. C. - À Toulouse, le maire a associé des chefs d'entreprise et la CCI à la définition d'un
schéma de développement économique et nous avons créé ensemble une agence de développement économique, Invest in Toulouse. Dans les quartiers, la CCI, le Medef et la préfecture ont instauré une permanence, afin d'expliquer comment créer une entreprise, trouver du financement, etc. Mais, lorsqu'il y a plus de 50 % de taux de chômage dans certains quartiers qui sont par ailleurs minés par des problèmes de sécurité, il faut se poser les
vraies questions.
Quel est le bilan de François Hollande et de Manuel Valls sur le plan économique ?
M. A. - On accable beaucoup François Hollande, injustement selon moi, car il a fait ce qu'il a pu. Imaginez un train qui se met à dérailler. Il ne pourra jamais se redresser d'un coup. François Hollande est dans la même situation que quelqu'un monté dans un wagon. Il subit l'inertie du mouvement d'ensemble, alors que le train continue de dérailler. Dit autrement, on ne peut pas casser le système d'un coup. Il faut créer cette culture du résultat, qui à ce jour n'existe pas, et ça peut être long.
A. D. C. - Si l'on regarde les chiffres, le bilan n'est pas bon. Mais il faut reconnaître que, depuis 2012, les gouvernements n'ont pas peu de chance. Par ailleurs, le temps de l'économie s'est raccourci (on a divisé le temps de production d'un avion par quatre) et le temps de l'administration doit lui aussi se réduire. Dans la perspective des prochaines échéances électorales, un vrai projet économique doit être proposé et je pointe trois chantiers prioritaires : les formalités, la fiscalité et le coût du travail.
À huit mois de la présidentielle, quelles sont les attentes du monde entrepreneurial ?
A. D. C. - Les chefs d'entreprise demandent que la voix de l'entreprise soit entendue. Le gouvernement veut baisser la fiscalité des entreprises à 28 %, c'est une bonne chose. Mais il faut aller vite. L'ISF devra aussi être supprimé, car il tue les entreprises familiales. Il faut aussi accélérer l'apprentissage. On sait ce qu'il faut faire, maintenant il faut un certain courage politique.
M. A. - Le gouvernement a fait beaucoup pour les entreprises, entre le CICE et de nombreuses aides. Mais a-t-on utilisé cet argent à bon escient dans les entreprises ? Je ne le pense pas. Ce qui ne va pas, c'est cette culture de l'irresponsabilité. Il faut y mettre un terme. L'État dispose d'un budget que tout le monde dépense sans aucun contrôle quant à son efficience. Peut-être devrait-on imaginer un système de sanctions politiques, qui frapperait ceux qui dilapident cet argent.
Redoutez-vous de voir le débat politique des prochains mois dominé par les questions de sécurité et non par l'économie ?
A. D. C. - Je ne le crois pas. On ne peut pas faire du "tout sécurité" avant de s'occuper de
l'économie. Ce qui va dominer le débat politique, en dehors des questions sociétales, c'est la question de la position économique de la France dans une Europe et un monde qui bougent. L'évolution du PIB, la compétitivité et l'emploi doivent être une priorité. La sécurité est une question transversale et permanente.
M. A. - Oui, le débat ne doit pas tourner ainsi. Bien sûr, il nous faut plus de mesures de sécurité dans le contexte actuel. Mais si on ajoute des policiers, est-on sûr qu'ils seront bien répartis sur l'ensemble du territoire ? Ce n'est pas dit. Il faudrait d'abord voir si l'on ne peut pas faire mieux avec ce que l'on a déjà.
Êtes-vous tenté par une carrière politique ?
A. D. C. - Je suis tenté par la carrière consulaire, puisque je me présente à nouveau aux élections de la CCI d'octobre prochain. Il est clair que je suis altruiste et que je m'intéresse
à la vie économique. Et, en ce sens, la politique m'intéresse.
M. A. - Non. Le but de la politique est d'être au service du pays. Je pense que je le suis déjà. Certains se lancent pour le pouvoir. Moi, j'ai déjà ce pouvoir au sein de mon entreprise et de mon club, celui de changer les choses.
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