Ludovic Le Moan, le sprinter de l'IoT

Le fondateur et CEO de Sigfox demeure un mystère pour nombre de ses interlocuteurs. Avec son profil de chef d’entreprise, technophile et engagé pour la création d’une IoT Valley à Toulouse, il est une personnalité aussi clivante qu’incontournable. Portrait.

Nulle trace chez lui du chef d'entreprise lisse, formaté ou brieffé par la com. Les interviews, il peut aussi bien les accorder dans un bar qu'assis en tailleur à la terrasse de son grand bureau de Labège. À 52 ans, Ludovic Le Moan assume son indépendance d'esprit. C'est même sa marque de fabrique et il la revendique de plus en plus  sereinement. Il faut dire que les 100˜millions d'euros levés il y a dix-huit mois ont à la fois crédibilisé l'entreprise aux yeux du marché et légitimé le patron. Dans la vie du Toulousain d'adoption (né au Havre et après des études à Grenoble), il y a clairement un avant et un après les "100 millions". "Avant, les gens étaient sceptiques, reconnaît-il aujourd'hui. Ils se disaient : too good to be true... Après les 100 millions, beaucoup ont pris l'avion pour voir ce qu'il se passait chez Sigfox !"

Depuis, les visites ont été nombreuses, de même que les distinctions en tout genre. Membre du Conseil national du numérique depuis février dernier, il a été décoré en avril
de la Légion d'honneur des mains d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie et du Numérique. Il a aussi reçu le Technology Pioneer 2016 du World Economic Forum, ce qui lui vaudra de participer en janvier prochain au Forum économique de Davos. À cette date, peut-être aura-t-il encore franchi une nouvelle étape, car une autre levée de fonds est en préparation. "200 à 300 millions", avance Ludovic Le Moan avec un mélange de prudence et de fierté. De quoi en tout cas battre le record de Blablacar (177 millions d'euros levés il y a un an), accélérer le déploiement du réseau Sigfox (24 pays aujourd'hui, 30 d'ici à trois mois) et tenter de battre de vitesse les opérateurs télécoms.

Car pour l'entreprise née en 2010, il s'agit bien de cela : tuer le match et devenir le standard de référence pour l'Internet des objets. Que la menace, pour une partie du monde des télécoms, vienne d'une startup d'un village du Sud-Ouest et d'un homme qui n'est pas du sérail continue de déjouer les pronostics. "Les attaques se démultiplient, il y a une espèce de coalition du monde des télécoms", regrette Ludovic Le Moan sans que l'on sache s'il en souffre vraiment, ou si cela dope sa combativité. Ce qui est sûr, c'est qu'avoir des ennemis ne lui fait pas peur et qu'il n'hésite pas à porter les coups. Le maire de Toulouse en sait quelque chose, accusé en mars dernier dans une tribune publique de manquer de vision. Le patron de Sigfox a en effet, depuis plusieurs années, pris la tête de la mobilisation de chefs d'entreprise en faveur d'un métro à Labège, la commune en plein développement économique qui souffre d'embouteillages chroniques. Ludovic Le Moan aura ainsi été l'un des rares, avec Alain Lacour (Lyra Network), à exprimer publiquement sa colère et le sentiment que ceux qui créent des emplois ne sont pas assez soutenus par les pouvoirs publics. Sauf qu'aujourd'hui, dans ce combat, la lassitude point...

Lancé dans une course de vitesse au point de ne plus être à Toulouse qu'un jour par semaine, Ludovic Le Moan, le sprinter, se détache peu à peu des enjeux locaux avec d'autres défis dans le viseur. D'abord, il veut tout faire pour que son entreprise reste en "mode startup" quitte à lancer des alertes quand il sent que son groupe aurait tendance à s'embourgeoiser. Ensuite, il veut pousser la fondation Sigfox, créée début 2016, afin de mettre l'Internet des objets au service des causes humanitaires et "délivrer l'espoir que les bénéfices de la technologie ne sont pas vains". Enfin, il rêve d'avoir plus de temps pour travailler à son grand sujet du moment : "prouver l'hypothèse que nous vivons dans un gigantesque simulateur" à la puissance de calcul phénoménale. Ses réflexions lui ont valu d'être invité en août par le MIT aux États-Unis à tenir une conférence sur le thème "IoT as the Path to Decode the Universe". Sans doute la plus belle des consécrations pour ce technophile qui lit des livres de maths et de physique pendant les vacances. Inclassable, parfois insaisissable, Ludovic Le Moan est peut-être cela finalement : un mathématicien qui fonctionne à l'instinct.

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