Hafid El Mehdaoui, l'entrepreneur du changement, c'est lui

Faire du business en respectant les gens et l'environnement, c'est le crédo d'Hafid El Mehdaoui, cofondateur de la société toulousaine Comm1Possible. Ce trentenaire à la fois paisible et hyperactif s'inscrit complètement dans le mouvement des entrepreneurs sociaux. Portrait.
Hafid El Mehdaoui, cofondateur de la startup Comm1possible

Poignée de main franche, sourire accueillant, voix posée, look simple mais soigné : au premier abord, Hafid El Mehdaoui est le genre d'homme que l'on a envie d'avoir parmi ses amis. De ceux avec qui l'on refait le monde autour d'une bière, qui donne confiance et envie de faire de grandes choses. Et même en grattant un peu, en provoquant, en cherchant bien, difficile de lui trouver un vice. Rien à faire, l'entrepreneur toulousain, fondateur de la startup Comm1Possible, dispose d'un solide capital sympathie. Son seul défaut selon ses proches, est d'être "parfois un peu difficile à suivre car c'est un fonceur". Pour un chef d'entreprise, le défaut passerait presque pour une qualité.

 Les Nacelles

Actuellement hébergée dans les locaux d'Ekito, au centre-ville de Toulouse, la startup cofondée par Hafid El Mehdoui et son associée Clémence Le Nir (150 000 euros de chiffre d'affaires au bout de neuf mois d'exercice) s'inscrit dans le mouvement encore frémissant des "startups sociales".

Comm1Possible se présente comme une entreprise de conseil en communication, en organisation et en aménagement d'espaces. La nouveauté : l'utilisation des Nacelles, un mobilier montable et démontable en quelques minutes et qui permet aux gens d'échanger dans l'espace public, puis de traiter et utiliser les données recueillies. Une sorte de mobilier collaboratif et connecté auquel Hafid El Mehdaoui doit un de ses plus beaux souvenirs récents :

"Nous avons posé à Marrakech sept Nacelles pour le compte de l'agence française de développement au Maroc lors de la Cop 22. C'était incroyable. D'une part, nous avons réussi ce pari fou de poser sept vaisseaux spatiaux comme les Nacelles en plein milieu de la place Jamaa Lefna, qui est la place emblématique des conteurs au Maroc. Et puis, ce qui était vraiment fou, c'est d'avoir rassemblé 9 000 personnes en quinze jours dans les sept Nacelles. Ces personnes ont écouté des contes sur le climat, qui ont été écris pour l'occasion. Il y avait une cohésion incroyable, une véritable équipe de conteurs qui venait de partout au Maroc. C'était enthousiasmant, c'était juste dingue, c'était magnifique, ce sont de très très beaux moments."

Ainsi parle Hafid El Mehdaoui : avec ferveur. Actuellement, la société possède douze nacelles entre la France et le Maroc (Paris, Toulouse et Marrakech) et prévoit d'en déployer à Québec et Montréal. Le modèle économique est basé sur la location du matériel et le traitement des données recueillies.

Startup et sociale ?

Une startup, dont l'objectif est l'hyper-croissance, peut-elle remplir une mission sociale comme l'espère l'entrepreneur ? La réponse vient en partie de Naoile Jouira. L'épouse d'Hafid El Medhaoui est la responsable nationale du développement de Mouves (le mouvement des entrepreneurs sociaux) et figure montante de l'ESS à Toulouse : "Il y a bien un antagonisme entre super-croissance et impact social. Néanmoins, il existe des startups qui essaient de concilier leur croissance rapide et l'idée de créer de la valeur sociale, sociétale ou environnementale. Celles-là misent aussi sur tout un univers et un écosystème qui vont aller dans leur sens, et s'appuient sur des investisseurs qui sont sensibles à l'impact social des entreprises qu'ils accompagnent."

Pour le Toulousain, qui est déjà passé par deux burn-out dans une précédente vie, l'impact positif doit avant tout se ressentir au sein même l'entreprise :

"Si je me suis lancé dans l'aventure entrepreneuriale, c'était d'abord en portant des valeurs qui sont celles du partage, de plus de cohésion, de plus de dialogue dans les territoires et en entreprise. Mais aussi pour plus de parité et d'équité entre hommes et femmes."

Et ce n'est pas chose facile, admet-il. Se risquant à casser le "story-telling" caractéristique des startups, il avoue que des difficultés relationnelles sont déjà apparues entre lui et son associée Clémence Le Nir l'année dernière. Elle aussi se souvient de ce moment pénible : "Nous étions débordés, nous communiquions moins bien, il y a eu des incompréhensions. Ce n'était la faute de personne."

Lucides sur leurs problèmes, les deux associés ont fait appel à la société canadienne Percolab, qui les a aidé à travailler sur la question du management.

"On s'est donné des petits jalons, des gardes-fous qui nous ont permis de rebondir et de retrouver ce plaisir de travailler tous les jours ensemble, d'avoir le temps d'échanger sur le commercial, le stratégique, l'opérationnel, mais aussi sur nos envies, nos intentions, nos intuitions, nos inspirations. Quand on partage plus que du factuel, qu'on partage un rêve, là, le plaisir commence à venir", soutient Hafid El Medhaoui.

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Hafid El Mehdaoui dans une Nacelle chez Ekito ©photo Rémi Benoit

Le plaisir, fil rouge d'une vie ?

Si le jeune homme arbore aujourd'hui un air apaisé, presque inspiré ("c'est quelqu'un d'une grande sagesse", décrit même sa compagne), il n'en reste pas moins un trentenaire hyperactif. Régulièrement en voyage, participant à des forums et tables rondes, adepte de calligraphie (certaines de ses œuvres se sont vendues), "il a un côté obsessionnel" sourit Naoile Jouira : "il peut passer des heures et des jours sur un truc. Quand il a décidé de fabriquer lui-même un vélo, il a passé plusieurs longues heures sur internet pour trouver la meilleure pièce !"
Une personnalité un peu hybride, à l'image du parcours du jeune homme. Géographe de formation, Hafid El Mehdaoui est également passé par l'école supérieure de commerce de Paris. Il a été journaliste au Monde Diplomatique, consultant pour une entreprise de conseil en démocratie participative, a travaillé en Inde et en Chine sur la distribution de l'eau aux populations pauvres, puis au Maroc sur des projets de développement. "Et puis, j'ai décidé de réaliser mes rêves. J'avais alors 30 ans."

Et quand Hafid El Mehdaoui décide de réaliser ses rêves, il apprend l'espagnol (en Espagne), il se forme à la construction des maisons en terre ("antisismique, écologique, et économique !") et enfin, il crée son entreprise, Comm1Possible : un moyen pour lui de changer la démocratie sans faire de politique. Celui qui ne se "reconnaît pas dans le PS d'aujourd'hui" a été meneur des mouvements lycéens au moment du CPE. Il n'a pas voté à la primaire de gauche car il était à l'étranger et assure qu'Emmanuel Macron l'intrigue : "au premier abord l'homme m'inspire plutôt la sympathie, mais je me méfie toujours de ma première impression surtout en ce qui concerne les personnages politiques !"

L'Algérie, la déchirure

Hafid El Mehdaoui est un enfant d'Alger, qui a grandi dans les hauts plateaux de l'Atlas, dans la région de Setif. Ses racines sont un des points communs qu'il partage avec son maître à penser, son mentor, l'essayiste et poète Pierre Rabhi.

"Mes deux parents étaient médecins. Nous avons beaucoup bougé et je suis retourné à Alger vers l'âge de sept ans, jusqu'à mes quatorze ans. Ensuite, nous avons dû malheureusement fuir l'Algérie, parce que mes parents étaient considérés comme intellectuels." À cette époque, en 1994, c'est le cœur de la "décennie noire", un conflit qui opposa le gouvernement algérien, disposant de l'Armée nationale populaire, et divers groupes islamistes à partir de 1991. Une guerre civile qui coûta la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Pour l'adolescent Hafid, c'est un traumatisme :

"Je pense que tous les Algériens, à cette époque, ont été marqués par des faits totalement atroces. Mais ça a été aussi une déchirure de quitter l'Algérie, combinée au choc culturel d'arriver en France, à Paris en plus ! J'ai été choqué par l'individualisme, le manque de solidarité et la société consumériste."

Au fil des ans, le Franco-algérien s'attache à la France et, aujourd'hui, n'envisage pas de quitter Toulouse où il vit et travaille. Optimiste sur son avenir comme sur celui de sa génération, il reste dans l'action et conclu lui-même : "Il y a une citation attribuée tantôt à Romain Rolland, tantôt à Antonio Gramsci, qui dit qu'il faut en même temps un certain pessimisme pour ne pas tomber dans l'illusion, et être dans l'optimisme de l'action, et je pense que ça me va bien."

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