Les 40 qui font Toulouse (2/7) : les "trublions"

Ce sont les personnalités les plus influentes de Toulouse. Chefs d'entreprise, élus, chercheurs, décideurs ou entrepreneurs, ils marquent de leur action la vie économique de Toulouse. Ils sont réunis par La Tribune Toulouse dans un trombinoscope inédit, actuellement en kiosque. Deuxième volet : les trublions.
jacques Oberti, Christophe Lèguevaques, Ludovic Le Moan, Dominique pon, Jean-Louis Chauzy

Jean-Louis Chauzy, président du Ceser d'Occitanie

Jean-Louis Chauzy

©photo Rémi Benoit

C'est peu dire que Jean-Louis Chauzy représente le Ceser. L'ancien syndicaliste CFDT y siège sans discontinuer depuis trente-trois ans et préside l'assemblée consultative régionale depuis... vingt-quatre ans. Président du Conseil économique, social et environnemental régional de Midi-Pyrénées depuis 1992, il s'est imposé en janvier dernier à la tête de la nouvelle assemblée d'Occitanie. Ne dites surtout pas à Jean-Louis Chauzy qu'il préside une assemblée de sages. Sous ses dehors affables, le natif de Rodez (où il siège au conseil municipal et comme vice-président de l'agglomération) est connu pour ses coups de gueule. Élu pour donner son avis, il ne manque jamais une occasion de le faire. Désertification médicale, LGV, Idex, les sujets ne manquent pas... La parole est toujours franche et directe. "Les universités toulousaines doivent se ressaisir !", alerte-t-il au sujet de l'Idex, alors que le gouvernement donne un sursis de dix-huit mois à Toulouse pour présenter une nouvelle copie.
À l'occasion du choix du nom de la nouvelle région, Jean-Louis Chauzy n'a pas hésité à clamer "Nous sommes Languedoc-Pyrénées", au nom d'un équilibre entre les deux territoires et d'une "meilleure visibilité internationale". Las, son avis - qui était aussi celui de nombreux décideurs économiques - n'a pas été suivi. Lors de la privatisation de la société Aéroport Toulouse-Blagnac, il avait exprimé sa crainte de voir les acteurs français écartés. Craintes justifiées avec la cession à un consortium chinois. Pugnace, il a renvoyé les autorités à leurs responsabilités. En juin, il interpellait Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie : "L'actionnaire majoritaire veut puiser dans les fonds propres de la société pour la rémunération des actionnaires. Outre le fait que ces fonds ont été acquis par le sérieux de la gestion qui a  précédé leur arrivée il y a un an, cette décision fragiliserait (...) l'activité de la société." Jean-Louis Chauzy n'hésite pas non plus à interpeller les acteurs privés. En juin dernier, suite au débarquement surprise du directeur général de Latécoère, Frédéric Michelland, il estime que "c'est la crédibilité des fonds de pension américains qui est posée", appelant l'État et Bpifrance à "en tirer les leçons parce que l'industrie nécessite une stratégie et une vision à long terme, ce qui est à l'opposé de la spéculation financière".

Christophe Lèguevaques, fondateur du cabinet d'avocats Clé

Christophe Lèguevaques

©photo Rémi Benoit

Sur tous les fronts. Surirradiés de Rangueil, AZF, Dexia, reprise de Spanghero après le scandale de la viande de cheval et, plus récemment, privatisation de la société Aéroport Toulouse-Blagnac. L'avocat toulousain Christophe Lèguevaques semble de tous les combats judiciaires, notamment ceux avec une forte dimension médiatique. Mais passer à la télé, dans les journaux, ce spécialiste du droit des affaires, des collectivités et du risque collectif, l'affirme : il "s'en fout". "Les médias sont un outil du dossier. La seule question que je me pose est : est-ce utile de parler aux médias dans ce cas précis ?" L'homme maîtrise parfaitement le système médiatique. Depuis juillet 2014, il le connaît même de l'intérieur puisqu'il a  accompagné les anciens salariés dans la reprise du Journal Toulousain sous forme de scop, après la liquidation judiciaire du titre.

Médiatique, Me Lèguevaques est aussi un avocat engagé politiquement. Candidat à la primaire PS pour l'élection municipale à Toulouse, il affronte Pierre Cohen en 2007. Sa candidature fait un bide (3,6 %). De son passage en politique, Christophe Lèguevaques estime que cela a été "une expérience à la fois intéressante et rebutante". "J'y ai découvert que les politiques, contrairement à ce que l'on croit, ne sont pas là pour faire bouger les choses." L'agitateur médiatique va plus loin. "Le PS est sclérosé. Son fonctionnement est féodal et clanique", confiait-il en février 2015 à La Tribune Toulouse. Pour autant, il ne se laisse pas abattre par cet échec politique. Il poursuit son combat avec sa robe d'avocat : "Par certains aspects, je pense avoir au moins autant d'impact que les hommes politiques." S'il tire aujourd'hui le bilan de son passage en politique avec philosophie, il reconnaît que, "sur le moment, ça a été dur. Je l'ai eu mauvaise, car je n'aime pas perdre". Il a alors besoin de "se ressourcer, de remettre sa vie en perspective". Son épouse envisage de racheter un hôtel à Pondichery et ils décident de partir en Inde en famille, le temps d'une année scolaire. À son retour, il crée Indian Desk, un regroupement de compétences professionnelles au service des entreprises françaises  souhaitant s'installer dans le sous-continent et inversement. Il se réjouit ainsi qu'en 2013, le maire de Toulouse, Pierre Cohen, ait accompagné François Hollande lors de sa visite en Inde et se félicite d'avoir fait venir la même année l'ambassadeur d'Inde en France dans la Ville rose.

En juin dernier, l'avocat trublion s'est attaqué à l'année lombarde, ce système par lequel les banques calculent les intérêts des crédits immobiliers sur 360 jours et non 365, d'où un surcoût pour le client. Pour faciliter l'action en justice d'une multiplicité de clients, Christophe Lèguevaques a créé MySmartCab, une plateforme en ligne "d'actions collectives, conjointes, citoyennes et coopératives". L'intérêt est de mutualiser les coûts et donc de réduire les frais de justice pour les plaignants. L'objectif est ambitieux : "Faire entrer la justice dans le XXIe siècle, rendre le pouvoir d'agir aux citoyens pour lutter à armes égales avec les grandes entreprises et certaines entités publiques qui ont perdu le sens de l'intérêt général." L'idée a convaincu puisqu'il comptabilise à ce jour plus de 2 100 inscrits sur sa plateforme d'action collective alors qu'il envisageait initialement de réunir un millier de plaignants.

Fort de cette première expérience d'action collective conjointe, Christophe Lèguevaques s'attaque à un nouveau combat : l'annulation par le Conseil d'État du fichier TES instauré par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Il compte bien, par la même occasion, provoquer un véritable débat public autour de ce méga-fichier regroupant l'ensemble des données des cartes d'identité et des passeports des citoyens français créé par un décret publié en toute discrétion en plein week-end de la Toussaint. Avec la pointe d'humour  nécessaire pour résister à "un monde de plus en plus sinistre", il a baptisé son action via MySmartCab : "60 millions de suspects et moi, émois..."

Lire aussi : L'atypique maitre Christophe Lèguevaques

Ludovic Le Moan, CEO de Sigfox

Ludovic Le Moan

©photo Rémi Benoit

Qui est Ludovic Le Moan ? "L'homme qui valait 100 millions", comme le titrait La Dépêche du Midi ou "L'homme qui vaudra 1 milliard", si l'on écoute le JDD ? La réponse est tombée le 18 novembre à la veille de la visite de François Hollande chez Sigfox : 150 millions d'euros. C'est le montant record levé par le fondateur de la pépite toulousaine de l'Internet des objets (IoT), qui accueille dans son tour de table Total ou l'éditeur de logiciels Salesforce. La visite présidentielle  est apparue comme une consécration pour l'ancien gamin du quartier de la Mare-Rouge au Havre. Ado turbulent, mis en marge du système scolaire avec un CAP de tourneur fraiseur, le jeune Ludovic, opiniâtre, s'accroche, intègre les classes prépas, puis une école d'ingénieur à Grenoble. Après avoir créé Anyware Technologies à Toulouse, puis Goojet
(devenu Scoop.it!), il crée en 2010 Sigfox, un réseau bas débit pour relier les objets connectés, un marché alors largement méconnu. "Au début, on me prenait pour un illuminé", reconnaît Ludovic Le Moan. Mais ce n'est pas forcément pour lui déplaire : "Je suis quelqu'un d'assez provocateur, ça fait bouger les lignes."

Initiateur en 2012 de la TIC Valley à Labège, rebaptisée IoT Valley, en 2015, Ludovic Le Moan veut tirer le centre de gravité des géants de l'Internet vers Toulouse en ajoutant le "S" de Sigfox aux Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). Au printemps dernier, il annonce la construction d'un campus de 8 hectares et table sur l'installation de 1 500 startups. Parallèlement, Ludovic Le Moan s'agace que les infrastructures et les moyens financiers ne suivent pas pour permettre le déploiement de l'IoT Valley. Premier coup de gueule en mars 2016 contre le maire de Toulouse qui refuse le prolongement de la ligne B du métro (lire ci-dessous le portrait de Jacques Oberti) : "Toulouse serait-elle en panne d'idées, en manque de perspectives d'avenir, pour s'abaisser à tenir sous son joug le territoire labégeois ?" Deuxième coup de semonce, le 21 septembre, lorsque le fondateur de Sigfox confie à La Tribune qu'il pourrait déménager, faute d'un véritable soutien financier des collectivités. "Il y a l'opportunité que Toulouse devienne la référence nationale,  européenne ou mondiale des objets  connectés", expliquait-il alors. Depuis, les élus se mobilisent pour convaincre Sigfox de ne pas abandonner Toulouse au profit de Bordeaux.

Jacques Oberti, président du Sicoval

Jacques Oberti

©photo Rémi Benoit

"Si le Sicoval n'avait qu'un seul projet à défendre, ce serait le prolongement de la ligne B du métro jusqu'à Labège." Lors de la campagne pour son élection à la présidence de la communauté d'agglomération, Jacques Oberti a été très clair. Ce projet est "fondamental et structurant". Élu il y a dix-huit mois à la quasi-unanimité des votants (58 voix sur 59 exprimées) en remplacement de Claude Ducert, le maire PS d'Ayguesvives avait donc fait du prolongement de la ligne B (PLB) non seulement un thème de campagne, mais aussi un quasi-casus belli. Deuxième pôle d'activité de  l'agglomération toulousaine, Labège souffre - faute de métro ou de tram - d'embouteillages systématiques au niveau de l'accès du Palays, au grand dam des entreprises du secteur et de leurs salariés. Or, depuis son élection à la mairie de Toulouse et à la présidence de la métropole, Jean-Luc Moudenc n'a jamais caché sa préférence pour une troisième ligne de métro, Toulouse Aerospace Express (TAE), pour desservir Labège, cœur économique du Sicoval. L'abandon annoncé du PLB au mois de mars dernier a provoqué l'ire de Jacques Oberti et des élus du Sicoval, mais aussi l'incompréhension des décideurs économiques. Hervé Schlosser, président de l'Association pour le prolongement de la ligne B (PLB) et alors vice-président de l'IoT Valley, a fait part à La Tribune de sa grande déception, regrettant les "querelles de clochers entre deux collectivités voisines". Moins diplomate, le fondateur de Sigfox, Ludovic Le Moan (lire notre portrait ci-dessus), s'est emporté dans une tribune : "Comment peut-on, aujourd'hui, imaginer vivre avec une vision aussi étriquée des enjeux économiques et écologiques ?" Ainsi soutenu par les chefs d'entreprise et le conseil départemental, Jacques Oberti a poursuivi son bras de fer avec Jean-Luc Moudenc. Il faudra toutefois la médiation du secrétaire d'État aux Transports Alain Vidalies, début avril, pour que le maire de Toulouse donne fin juillet son "feu vert politique" au PLB. Mais, prudent et combatif, le président du Sicoval estime qu'il ne doit rien lâcher : "Le combat n'est pas terminé tant que nous n'aurons pas inauguré ces deux lignes de métro. Il faudra sans doute se battre chaque mois, chaque année, pour que ce projet ne se rétrécisse pas."

Lire aussi : Métro : Pour le Sicoval, "le combat continue"

Dominique Pon, directeur de la Clinique Pasteur

Dominique Pon

©photo Rémi Benoit

Si Dominique Pon peut se vanter d'une qualité, c'est de savoir transmettre la confiance à ceux qui l'entourent. Car force est de constater qu'il dégage un enthousiasme communicatif. Après un premier contact un peu réservé, le directeur de la Clinique Pasteur de Toulouse vous entraîne avec bonheur dans le tourbillon des initiatives qui se déroulent autour de lui. Gêné que les projecteurs se concentrent sur lui, il cherche à attirer la lumière sur les héros du quotidien de la clinique : "Je représente 1 400 personnes. Les héros ce sont eux." Et de commencer à raconter l'initiative de Martine Belloc, aide-soignante de nuit, son "héroïne de l'année", qui a initié un parcours découverte des métiers de l'hôpital à l'intention des jeunes du quartier Bagatelle, via l'association Desbals Services. L'exemple n'est pas isolé. Dominique Pon en a à foison : le cuistot qui se met en quatre pour le repas d'un patient ou pour installer un jardin potager sur le toit ; l'épicerie solidaire qui s'est récemment créée en interne ; la mise au point - il y a près de dix ans - du premier dossier patient informatisé ou encore la création de l'incubateur de startups Hi-Lab, porté par l'équipe du service informatique...

Il ne s'agit pas d'élucubrations émanant d'un idéaliste déconnecté de la réalité. Celui qui se revendique "pragmatique" peut s'enorgueillir d'un bilan plus que satisfaisant. Référence hexagonale en matière de cardiologie, la Clinique Pasteur, qui appartient à ses médecins, est le deuxième établissement privé de santé avec 55 000 hospitalisations par an et un CA de plus de 92 millions d'euros en 2015 (et près de 2 millions d'euros de résultat net). Celui qui s'est fait connaître comme l'un des plus brillants orateurs de la place de Toulouse via ses prises de parole à La Mêlée Numérique ou au TEDx prône inlassablement le management par la confiance. "Pas pour être plus performant ou plus humain, mais parce que c'est uniquement ainsi que je conçois les choses." Et de s'étonner qu'on vienne l'interroger sur sa méthode si originale : "Ce qui m'étonne moi, c'est que l'on considère comme normal d'exclure la confiance de l'entreprise. Le modèle dominant qui est rentré dans nos têtes à tous les actionnaires, managers, salariés, c'est qu'il faut mettre du contrôle. Aujourd'hui, il faut faire marche arrière : c'est de confiance dont les entreprises ont besoin."

Voir aussi la vidéo : "La santé est pleine d'archaïsmes" : le pitch sans concession de Dominique Pon

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