Incubateurs : "quand un projet est mauvais, il faut le dire aux startups"

C'est un optimiste, un fonceur, un entrepreneur au sens large : Raouti Chehi est le PDG d'EuraTechnologies à Lille, l'un des accélérateurs de startups parmi les plus reconnus à l'international avec 150 entreprises hébergées. La semaine dernière, il était l'invité de l'IoT Valley pour les Innovation Days à Labège. Interview.
Raouti Chehi était à Toulouse pour les Innovation Days 2015.

Est-ce que l'IoT Valley ressemble à EuraTechnologies ?

Non, pas en apparence, ce qui m'a d'ailleurs un peu dérouté ! EuraTechnologies est implanté dans un quartier populaire de Lille, dans une ancienne usine textile. Visuellement, ça n'a rien à voir. Néanmoins, en rentrant dans l'IoT Valley à Labège, on retrouve une composante commune : plein de jeunes gens qui ont envie de changer le monde.

EuraTechnologies évolue également dans des proportions différentes, avec 150 entreprises hébergées. Décrivez-nous cet écosystème...

EuraTechnologies a commencé en 2009. Elle héberge aujourd'hui 150 entreprises. 50 projets sont incubés chaque année, 3 500 personnes y travaillent et 60 000 visiteurs, venus de 60 pays, y sont venus. C'est un écosystème complet, avec des petites, des moyennes et des grosses entreprises. Il y aussi des gens de la recherche, de l'enseignement supérieur. Nous travaillons sur le retail, la santé, le transport, l'assurance, la banque... et de façon plus transversale sur l'IoT et le big data.

Implanter un incubateur dans une friche industrielle, où le taux de chômage était élevé, c'était un vrai risque ?

Nous avons clairement bousculé l'écosystème local à Lille. Mais on a aussi rajeuni l'image du Nord, empêtré dans ses clichés (peu de dynamisme, grisaille...). Ce que l'on fait avec le numérique, c'est difficile, car nous devons changer le "mindset", l'état d'esprit des gens, localement. Est-ce naturel de créer une startup à Toulouse ? À Lille, en tout cas, ça ne l'était pas... Mais on prouve que l'on peut réinventer l'économie en se basant sur ce que l'on a de plus cher, à savoir les talents et la ressource humaine.

 N'est-ce pas un peu cliché de dire cela ?

Je sais que je donne l'impression d'enfoncer une porte ouverte, mais c'est pourtant vrai. Je vois la même chose à Toulouse : des gens qui y croient et qui vont y arriver, car tout ne dépend que de cela. Combien de nos startups seront demain des entreprises à succès engendrant des milliards d'euros de chiffre d'affaires ? Probablement pas beaucoup. Mais l'espace d'un temps, nous aurons aidé des gens à réaliser leur volonté : être entrepreneur. II en restera forcément quelque chose. C'est dur de monter son entreprise, on devrait ériger des statues et donner des médailles aux startuppers.

Vous arrive-t-il de refuser un projet ?

Oui, très souvent. Je reproche justement aux incubateurs "institutionnels" leur manque de lucidité : dans ces endroits-là, on ne dit jamais à un jeune que son projet ne tient pas la route, on l'accompagne jusqu'au bout, même s'il court à l'échec. Les gens qui gèrent les incubateurs régionaux sont trop éloignés des préoccupations des entrepreneurs et ne donnent pas les bons conseils. Moi, quand je vois que le projet est mauvais, je le dis : "ton projet ne tient pas la route, et tu es le dixième à venir me voir avec un projet de stylo connecté, je ne vois pas ce qu'il a de plus que les autres".

Dans un accélérateur, vit-on en vase clos ?

C'est justement le piège. Tout est fait pour que l'on vive en vase clos car tout est à disposition. Mais il ne faut surtout pas le faire ! Une startup ne peut pas savoir si son projet va fonctionner si elle ne prospecte pas de clients à l'extérieur. La seule question à se poser est "quel problème vas-tu résoudre avec ton idée ? À qui vas-tu rendre service ?" En restant en vase clos, on ne peut pas le savoir. Dans les premiers jours d'incubation, j'incite les porteurs de projets à rencontrer un maximum de clients. Il faut arrêter d'avoir peur de se faire piquer ses idées, et se confronter à la réalité du marché.

Est-ce que les différents incubateurs sont en compétition ?

C'est très français d'opposer les structures entre elles, et c'est une bêtise. Pour moi, c'est comme au football : chaque équipe a des joueurs, et pour faire gagner la France à la Coupe du monde, on prend les meilleurs joueurs de chaque équipe.

Quel rôle doivent avoir les entreprises qui réussissent vis-à-vis de leur écosystèmes ?

En Province, les entrepreneurs qui réussissent ont tendance à partir, aux États-Unis ou ailleurs. C'est difficile de trouver des entrepreneurs qui ont connu le succès et qui en font profiter leur écosystème local, comme le fait Ludovic Le Moan à Toulouse par exemple. Quand vous réussissez, venez partager votre réussite avec votre écosystème, ne vous barrez pas avec la monnaie s'il vous plait !

La French Tech est-elle utile ?

Oui, elle permet de mettre un chapeau au dessus de toutes les initiatives locales, de montrer que nous sommes ensemble. Bien sûr il ne faut pas attendre de la French Tech qu'elle nous donne à manger et à boire. C'est elle qui s'appuie sur nous, pas l'inverse. Mais elle a une vertu : la communication. La French Tech permet de montrer au monde qu'il se passe des choses en France, qu'on n'est pas seulement des fabricants de luxe ou des producteurs de vin. Les français savent mettre la technologie sur les marchés.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.