Pierre Fabre prophète en son pays, portrait d'un homme d'influence

Âgé de 87 ans, le fondateur des Laboratoires Pierre Fabre s'est éteint samedi dernier dans sa résidence à Lavaur. Plus qu'un groupe pharmaceutique, c'est toute une région qui pleure cet homme de science et d'industrie. Retour sur le parcours de "Dieu le Pierre" comme le surnommait certains. Entre discrétion, amour de Castres et sens du combat politique.
Hommage à Pierre Fabre, fondateur des laboratoires pharmaceutiques

C'était il y a quelques semaines. Au lendemain du sacre du CO, l'ancien président du club et fidèle de la maison Fabre Pierre-Yves Revol déclarait : « Pierre Fabre pourrait se passer du Castres Olympique, mais le Castres Olympique ne pourrait pas se passer de Pierre Fabre. » Idem pour la ville tarnaise d'ailleurs serait-on tenté d'ajouter tant l'industriel aura imprimé sa marque sur le développement et l'économie locale.

Humble à l'heure du tout-à-l'égo, défenseur du patriotisme industriel face à l'ascension irrésistible de la mondialisation, et résolument tourné vers l'autre alors que triomphe le culte de l'individu, Pierre Fabre restera comme l'un des derniers iconoclastes de l'entreprise à la française. Il faut se rappeler les mots qu'avait eu Nicolas Sarkozy alors qu'il décorait le pharmacien de la Grand-croix de l'Ordre de la Légion d'honneur en 2009 : « Votre parcours représente à mes yeux l'exemple même du capitalisme familial (...). Un capitaliste qui réinvestit ses bénéfices et qui croit aux hommes et aux femmes qui dépendent de lui. »


L'homme d'une vision
Cet humanisme si rare chez les capitaines d'industrie explique l'unanimité des réactions après l'annonce du décès du Castrais, « homme le plus puissant de Midi-Pyrénées » comme nous l'avions surnommé dans nos colonnes (Objectif News n°12) en 2010. Politiques locaux et élus nationaux, responsables patronaux et figures sportives, jusqu'aux nombreux anonymes, tous ont rendu hommage pour saluer la mémoire de « ce grand homme ». Même le président de la République venu au mois de mai inaugurer l'extension de l'usine de Soual a salué « un entrepreneur exceptionnel (...) constamment en avance sur son temps, ne cessant jamais d'innover, d'inventer, d'investir. » Car au-delà des qualités humaines de ce passionné d'ovalie, sa disparition marque surtout la fin d'une époque, celle d'un capitalisme entrepreneurial nourri au forceps de l'innovation et de la recherche (20% du CA du groupe), celle aussi d'une industrie qui privilégie l'indépendance et le bien-être de ses salariés aux dividendes du CAC 40 (Pierre Fabre a toujours refusé une entrée en bourse de son groupe), celle enfin où le 'produire français' n'était pas qu'un slogan politique mais une réalité réaffirmée chaque jour par le pharmacien dont 95% de la production provient du sol national pour une cinquantaine d'usines répartie aux six coins de l'hexagone.

L'avenir du groupe
Si le décès du fondateur des laboratoires Pierre Fabre n'a pas surpris tant les alertes sur son état de santé s'étaient multipliées ces dernières années, il questionne malgré tout l'avenir du groupe. Pas de panique pourtant ! De ses débuts en 1961 avec l'ouverture de sa première pharmacie et le lancement du Cyclo 3 traitement à base de houx contre les douleurs aux jambes à l'acquisition quatre ans plus tard des laboratoires Klorane, puis Galenic et Avene, l'entrepreneur a toujours eu un coup d'avance. Et pas seulement en dermo-cosmétique, premier secteur d'activité de l'entreprise ! Concernant sa succession, la plus grande fortune de la région (800 M€) a assuré ses arrières : sans enfant ni héritier désigné, Pierre Fabre s'est occupé de son "après" en transférant, en 2009, 65% du capital de son groupe à la fondation d'utilité publique éponyme. Une mesure qui permet au fondateur de ce géant industriel de s'assurer que son entreprise continuera à se développer en respectant les principes de la maison Pierre Fabre.


Homme d'influence
Avec un CA de 1,98Md€ en 2012, et une présence dans plus de 130 pays, le groupe aux 10 000 employés suscite bien des ambitions, même si Pierre-Yves Revol, bras droit de l'ancien pensionnaire du Carla, le siège de l'entreprise, semble tenir la corde. Un climat de bouillonnement familier à la structure, elle qui a vu passer en quinze années, plusieurs directeurs généraux à sa tête, tous débarqués par Pierre Fabre. Question de tempérament paraît-il. Derrière Fabre l'humaniste, celui qui n'hésite pas à se faire mécène, à soutenir par passion des activités économiques chancelantes (seul actionnaire du Castres Olympique en 1988 alors en deuxième division, rachat des éditions Privat en 1995...), à préférer la chaleur de ses unités de production au faste des réceptions, se cachait un redoutable meneur d'hommes, ne se privant pas parfois de diriger son entreprise d'une main de fer. Statutairement en retrait de la direction de la société depuis plusieurs années, le Castrais ne pouvait cependant se résoudre à céder totalement les clés de l'entreprise. Jusqu'au bout, il aura participé activement aux prises de décisions, qu'il en aille des projets d'implantation du groupe ou des détails d'installation sur le site de l'Oncopole, quitte à ce que certains de ses collaborateurs lui reprochent son incapacité à déléguer le pouvoir. Symbole de ce penchant autoritaire : le renvoi du directeur général d'alors Jean-Pierre Garnier dont le grand patron n'aurait pas apprécié qu'il se pose en sauveur du groupe au cours d'une interview donnée aux Échos. À Castres, durant les années Fabre, il était possible de réussir, à condition de ne pas dépasser le premier de ses résidents.

Midi-Pyrénées d'abord
Les politiques l'ont d'ailleurs bien compris. Dans le Tarn, aucune carrière publique n'a pu voir le jour sans sinon le soutien du moins la non opposition de l'industriel. D'autant qu'à chaque échelon du pouvoir local, on retrouve des proches de l'industriel. En 2001, Arnaud Mandement, maire PS de Castres, en a fait les frais. Les deux hommes se sont opposés sur des dossiers plus ou moins importants (dématriculation de voitures, refus de construction du stade de rugby promis) au point que certains mettent sur le compte de Pierre Fabre la défaite de l'édile en 2008 face à l'actuel maire Pascal Bugis.

Pierre Fabre a également pesé de tout son poids en matière de développement régional. Le projet de l'autoroute Castres-Toulouse ? Il a toujours été à la manœuvre y compris jusqu' à ses derniers jours. L'Oncopole ? L'un des premiers à y croire. Le développement économique de Castres (Technopole, réseau internet, aéroport) ? Encore lui aux manettes. Résultat, son groupe emploie sur ses 25 sites tarnais (18 à Castres) quelques 2 700 salariés. Pour cet homme que l'on disait de droite, politique et économie constituaient les deux leviers d'une même stratégie de développement. Homme d'influence, il aura également choisi d'investir dans de nombreux médias (La Dépêche du Midi, le Journal d'ici, Sud Radio..).

Aujourd'hui, élus politiques de premier plan et décideurs ont tenu à rendre un dernier hommage au plus célèbre des Castrais montrant, s'il le fallait, l'étendue de son aura et de son influence. Un enterrement médiatisé jusque sur la place principale de la ville avec ses écrans géants comme un dernier pied de nez à cet amoureux de la discrétion.

Jérémy Lacoste
Photo© Rémi Benoit

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