"Éviter la crise de croissance." Interview de Patrick de Castelbajac, président exécutif d'ATR

Patrick de Castelbajac, le nouveau président d'ATR, qui a succédé à Filippo Bagnato début juin, fait le point sur la stratégie du constructeur d'avions turbopropulseurs. ATR vise cette année un chiffre d'affaires de 1,8 Md$ et espère dépasser les 2 Md$ en 2015. Le groupe, qui compte 1.200 salariés, va poursuivre sa montée en cadence et son développement sur les marchés porteurs. ATR cible la Chine, dernier pays où l'avionneur n'est pas présent. Interview.
Patrick de Castelbajac.

La montée en cadence était la priorité du dernier mandat de Filippo Bagnato pour répondre aux nombreuses commandes. Où en est aujourd'hui ATR ?
La montée en cadence reste la priorité numéro 1. Le groupe a trois priorités : réussir la montée en cadence, améliorer la satisfaction client et améliorer les plateformes en production. Pour en revenir à la montée en cadence, nous étions à 74 avions l'an dernier et nous serons à plus de 80 cette année. ATR vise une production de 95 avions en 2015 et plus de 100 en 2016. Le carnet de commandes compte plus de 300 avions avec beaucoup d'options, dont le taux de conversion est bon. La production est donc assurée pour les 4 prochaines années.

Comment ATR s'est adapté ?
Nous avons dû adapter nos outils industriels. Nous avons récemment créé un deuxième poste d'assemblage du fuselage et des ailes. L'usine, qui faisait 8.000 m2 en 2007, atteint aujourd'hui les 30 000 m2. Cela nous permet de répondre aux exigences actuelles tout en préparant l'avenir, car la capacité de production peut encore augmenter.

La supply chain arrive-t-elle à répondre à cette montée en cadence?
Elle est sous tension car notre production a augmenté de 85 % entre 2011 et 2016. Il s'agit certainement du ramp-up le plus élevé de l'industrie. C'est énorme, ambitieux, mais ce n'est pas simple. Nous travaillons avec nos fournisseurs de manière étroite, en leur donnant un maximum de visibilité, et nous sommes encore sur des volumes raisonnables. Les relations sont bonnes et nous permettent de maintenir nos objectifs en termes de quantité, de qualité et de rapidité.

Quels sont aujourd'hui les marché les plus porteurs pour ATR ?
La zone Asie-Pacifique est un marché très très porteur. Il y a quelques semaines, nous avons livré un ATR qui a fait passer l'Asie devant l'Europe pour le nombre d'appareils opérés. Ces pays connaissent une croissance forte et il y a un véritable besoin de transports. Nous sommes aujourd'hui capables d'apporter des solutions de transport régional à des coûts imbattables. L'Amérique du Sud est également un marché sur lequel nous sommes très présents. Le transport régional y est considéré comme un vecteur majeur de développement économique et un point essentiel de la continuité territoriale. Enfin, à moyen terme, l'Afrique est un marché sur lequel ATR ne peut que se développer.

Le marché intérieur chinois, qui va devenir le premier marché mondial, vous intéresse-t-il ?
C'est un marché difficile. Pour tout dire, c'est le seul marché où ATR n'est pas présent. Les Chinois ont leur propre avion, dérivé d'un Tupolev. Il y a des barrières douanières importantes aujourd'hui. Nous devons arriver à les convaincre de la pertinence d'ouvrir le marché à la concurrence. Nous y travaillons en renforçant nos équipes en Chine. Si ce marché s'ouvre, cela peut devenir un marché très important.

Qu'en est-il de l'Europe ?
Il ne faut pas exclure les marchés matures comme l'Europe ou les États-Unis, qui ont une flotte d'avions régionaux vieillissante. Les dirigeants y sont de plus en plus sensibles aux questions d'écologie. Et ATR produit des avions efficaces de ce point de vue-là. À l'occasion du salon de Farnborough, nous avons calculé qu'un passager d'un ATR sur un trajet Bruxelles-Londres émet autant de CO2 qu'un passager du train sur le même trajet.

Envisagez-vous d'éventuelles délocalisations pour être plus près de vos clients et plus productifs ?
Non. ATR n'envisage pas encore de délocalisation. Nous avons beaucoup investi dans notre outil industriel qui répond parfaitement à nos besoins. Nous n'avons aucun projet de FAL (chaîne d'assemblage, NDLR) à l'étranger. Maintenant, si un client nous dit demain qu'il achètera 150 avions en cas d'installation d'une FAL dans son pays, nous nous interrogerons. Mais ce n'est pas à l'étude aujourd'hui.

Comment se positionne ATR vis-à-vis de ses concurrents ?
Notre concurrent direct est Bombardier avec le Q400. Leur appareil fait 6 à 7 tonnes de plus que notre avion et dispose de moteurs plus puissants pour être plus rapide. Tous ces facteurs font que le Q400 consomme davantage que notre appareil. Mais le nombre de passagers dans les cabines a été augmenté, ce qui est intéressant pour les compagnies, d'autant que Bombardier mène une politique agressive en terme de pricing. C'est un challenge pour nous. Enfin, nos prochains avions à vendre le seront fin 2017 ou en 2018 et certaines compagnies ne peuvent pas attendre et ne veulent pas avoir recours à du leasing.

Quelle est la réponse d'ATR ?
ATR poursuit sa stratégie. C'est l'avantage d'être leader, puisque nous représentons 80 % du marché. Nous n'allons pas sacrifier nos prix. Nous allons augmenter un peu la capacité pour atteindre 76 passagers mais pas davantage, car nous voulons conserver des normes de confort, de qualité. C'est l'une des clés de notre succès avec notre efficacité. Nous sommes présents dans 90 pays pour 180 opérateurs. 99,7 % de nos avions décollent dans le quart d'heure prévu, ce qui est exceptionnel.

Où en est le projet d'un avion de 90 places, voulu par Filippo Bagnato ?
Les avions en place sont excellents. Le premier vol de l'ATR-72 a eu lieu après le premier vol de l'A320. C'est donc un avion encore récent ou potentiel de développement important. Nous discutons avec nos partenaires, les motoristes... Nous ne pouvons faire un nouvel avion qu'avec nos actionnaires, Alenia et Airbus. Il nous faudra les convaincre que l'avenir passe par le lancement d'un avion de 90 places mais, aujourd'hui, l'avenir est ouvert. Ce projet n'est pas aux oubliettes mais il n'est pas d'actualité. Nous devons éviter la crise de croissance. Ce n'est pas une course en avant permanente.

Quelle est aujourd'hui la place d'ATR au sein d'Airbus Group ?
Je viens d'Airbus, ce n'est pas un mystère. Mes relations avec Tom Enders et Fabrice Brégier sont excellentes. Nous sommes en contact et ils nous soutiennent. Nous avons également le soutien d'Alenia. Cela est essentiel pour notre développement.

Êtes-vous concernés par l'objectif de Tom Enders d'atteindre 10 % de marge ?
L'objectif de toute société est d'améliorer sa rentabilité mais nous ne sommes pas filiale à 100 % d'Airbus Group. En même temps, nous ne sommes pas le plus mauvais élève de la classe Airbus Group.

Propos recueillis par Paul Périé
© photo ATR - Pierre Barthe

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